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nous tenons à honneur d'ètre comptés, c'est une foi vive dans l'avenir et le développement de l'humanité; c'est l'étude de l'histoire sous une face nouvelle, qui fait concevoir le genre humain comnie un vaste ensemble; qui montre toutes les générations liées entre elles par les progrès qu'elles ont tour à tour su tenter, et qui présente chaque crise sociale comme un seul acte du grand drame, comme un seul pas sur la route du bonheur, de l'égalité et de la justice. Certes, nous savons reconnaître ce qu'il y a de beau dans le passé; mais, quel besoin avons-nous d'accepter la solidarité de ses erreurs? Nous avons assez, pour notre part, des fautes nécessaires de notre tems, sans aller follement nous emparer de celles de nos pères. Imbus malgré nous d'esprit de parti dans le présent, parce que la vérité ne peut pas nous apparaître dans la pureté abstraite qui seule est exempte d'erreur, nous n'allons pas en outre nous affubler volontairement d'un esprit de parti rétrograde qui remonte à 93. Nous ne croyons pas que la pensée humaine ait, en aucun tems, été stéréotypée à toujours, pour ne subir plus tard aucun progrès; nous comptons au contraire apporter notre contingent de zèle et d'assiduité à en accélérer le développement: nous sommes de 1832, enfin, et nous regarderions l'homine enraciné au milieu des passions, des intérêts et des luttes de la terreur, comme à peu près au niveau des partisans de l'ancien régime. Pour qui sent l'immensité de la tâche à accomplir, quatre ou cinq années détermineraient entre eux une bien chétive différence à peine digne d'une mention.

Chose bizarre! en dépit de ces vérités incontestables, c'est principalement la génération étrangère par son âge aux partis de la révolution qu'on accuse de vouloir ressusciter des factions surannées! Toutefois le motif en est assez facile à saisir. Nous seuls, nous avons osé témoigner une profonde sympathie pour notre grande régénération politique et réhabiliter tout homme qui, avec des sentimens progressifs, concourut au mouvement révolutionnaire, quelles qu'aient été d'ailleurs ses erreurs, ses fautes, ou les haines qui l'ont poursuivi. Nos aînés, sous l'empire ou sous les Bour

bons, semblaient craindre le reproche d'avoir pris part à une lutte glorieuse mais sanglante; ils maudissaient à l'envi et sans examen une époque tout entière; quatre années de notre histoire étaient déchirées sans pitié et sans pudeur, comme si pendant quatre années la providence avait pu dormir, le peuple errer, la société entière se plonger dans le crime; comme si les résultats acquis du combat ne prouvaient pas que la cause était juste et sainte; comme si la bonne foi des gouvernans d'alors n'avait pas été rehaussée par le sang des martyrs ! mais l'esprit de parti ne comprend rien, surtout quand il obéit à l'ordre positif d'un maître et quand l'intérêt personnel lui ferme les yeux !

Plus désintéressés dans nos jugemens, nous avons su rendre justice au passé. Est-ce à dire que nous songions à le renouveler? non certes. Nous regardons son rôle comme terminé, et nous n'avons aucune envie de le voir apparaître de nouveau, ce qui d'ailleurs serait impossible. Les grandes crises qui changent la face des nations ne se produisent pas ainsi coup sur coup; et ce serait chose détestable à nos yeux que la parodie d'une grande époque dont on ne reproduirait ni les nécessités, ni les dévouemens.

D'ailleurs ce n'est pas comme gouvernement régulier que 93 a trouvé des défenseurs. La France d'alors était un camp, bien gardé, parce que l'ennemi le tenait toujours sur le qui vive; ce n'était pas une démocratie constituée. Qu'y a-t-il donc de commun entre cette époque et les véritables théories républicaines? Par quelle insigne mauvaise foi a-t-on cherché à établir une sorte de solidarité entre des choses si contraires? Si l'on veut parler de la convention, qu'on la prenne donc sous le point de vue qui lui est propre ; qu'on nous accuse, si l'on veut, de comprendre comme elle l'amour de la patrie, la défense du sol, nous accepterons volontiers le reproche. Qu'on parle même de la hardiesse des novateurs révolutionnaires, qu'on les accuse d'avoir détruit le passé; ce sont encore là pour nous des objets d'éloge. Mais il y a quelque chose de grossièrement ridicule à faire d'un tems de guerre acharnée

le type de la république; il y a quelque chose de coupable à présenter sans cesse cette conflagration comme l'essai d'une forme de gouvernement. On peut à la rigueur comprendre ce genre d'attaques de la part des émigrés de Charles X contre les libéraux de la restauration. Ces prétendus libéraux, qui désavouaient la révolution et paraissaient honteux de ses gloires qu'ils admiraient en secret, méritaient d'être rendus passibles de ses excès mêmes. Mais heureusement nous sommes aujourd'hui, de notre côté, exempts au moins du reproche de manquer de franchise. Comment persévèret-on à nous imputer ce que nous désavouons. Y a-t-il loyauté, y a-t-il probité à nous faire dire que la démocratie, objet de nos vœux, doit se formuler sur les souvenirs d'une époque qui n'avait pas même de gouvernement (1)!

Non, 93 ne représente par la démocratie! Dictature populaire formidable, improvisée pour le combat, sa convention, ses comités n'étaient propres qu'au combat. La crise fut horrible! Qui le nie? Ily eut des coupables. Sans doute, car il y eut du sang répandu; mais, comme dans toutes les guerres, les coupables étaient ceux qui défendaient une cause injuste, ceux qui luttaient contre la raison humaine : c'étaient les auxiliaires de l'étranger armé; c'étaient les hommes qui rappellent chaque jour avec maladresse ces sanglans débats dont toute la responsabilité pèsera sur eux dans l'histoire.

Ce qui indigne profondément, c'est dé voir comment, avec une foule de matériaux dont ressort, pour qui veut les étudier, la vérité tout entière, on ose falsifier l'histoire d'une crise sur laquelle est fondé tout notre présent. A entendre les hommes du privilége, au 10 août le roi était depuis long-tems victime, et victime innocente de la démocratie. Son rôle constitutionnel était nul. Mais, non contens de l'avoir humilié, les jacobins ont

(1) Le gouvernement révolutionnaire est l'absence de tout gouvernement. >>

SAINT-JUST.

encore voulu se baigner dans son sang. Livré pieds et poings liés à ses ennemis, il succomba, et le 10 août, qui vit sa chute, fut la première journée d'une ère de malheurs et de crimes.

Et dans tout ce récit il n'y a qu'une erreur, une mince erreur à la vérité: on ne parle ni de l'Europe menaçante, ni des frères du roi dans le camp étranger, ni du roi trahissant la cause qu'il a juré de défendre. Il est vrai qu'avec cette omission la démocratie paraît sans cesse agressive, tandis qu'en lui restituant son véritable caractère, elle se borne à défendre les conquêtes de la révolution, mais à les défendre comme on défend les causes légitimes, en leur faisant faire un pas de plus.

Il est inutile de prouver que l'agression du 10 août était nécessaire à la défense de la révolution on essaierait en vain de le nier; les conférences de Pilnitz, le manifeste de Brunswick, les mémoires de Bertrand-Molleville, et par-dessus tout, les révélations de tout genre que nous devons à la jactance des courtisans. de Louis XVIII, ne laissent aucun doute sur ce point. En général, depuis la nuit du 4 août, qui résume tous les vœux et tous les résultats de l'ère nouvelle, la contre-révolution a toujours été assaillante; ce n'est que pour conserver ses conquêtes que la démocratie s'est portée en avant. Au 10 août, les patriotes renversèrent un trône, parce qu'ils doutaient qu'on défendît sérieusement l'ordre nouveau contre l'ennemi. Sans cette secousse, n'en saurait douter, quinze jours auraient suffi pour amener les Prussiens à Paris: car, pour vaincre, un peuple n'a besoin seulement de dévouement et de courage, il lui faut encore un gouvernement qui veuille la victoire, et cherche les moyens de l'assurer; un gouvernement qui réunisse toutes ses forces pour les opposer à l'ennemi, au lieu de les disséminer par une complicité coupable, en niant les dangers que sa lâcheté officieuse ne veut pas prévoir. On trouve cependant encore des gens qui se disent Français et qui osent inscrire le 10 août au nombre des jours néfastes!....

pas

on

L'anarchie en fut le résultat! qui en doute? Jamais a-t-on vu

un peuple fonder un ordre régulier, calme dans sa marche, doux dans son action, lorsqu'il vient d'être contraint de renverser son gouvernement en face de l'étranger! Pouvait-on songer alors à un autre intérêt que la guerre? La convention était-elle autre chose qu'un général? a-t-elle dû chercher dans la France autre chose que des soldats? C'est là une transformation que les gouvernemens dès long-tems établis subissent souvent quand l'invasion s'avance! Les lois du droit commun même la prévoient. Pouvait-on l'éviter dans ces circonstances dont la gravité ne se reproduira jamais, et au milieu de la dissolution générale? Honneur donc à qui a sauvé le pays! honte à qui a suscité l'anarchic par la trahison! honte à qui a refusé de défendre la France contre les coalisés ! à qui n'a songé qu'à des intérêts égoïstes, qu'à des priviléges personnels quand s'agitait sur le champ de bataille la question de l'intégralité du territoire et de la conservation du nom français !

Pour qui comprend bien l'histoire, les quatorze mois, connus sous le nom de terreur, n'ont été que le développement de la journée du 10 août, c'est-à-dire la défense de la révolution contre les royalistes armés ou conspirant dans l'ombre, et contre l'aristocratie européenne. Aux assaillans, il faut le répéter sans cesse, aux assaillans appartient le tort du combat, c'est là qu'est le grand crime de lèse-humanité, que recèle toujours une crise sanglante. Mais nous sommes loin de dire que les torts secondaires n'aient pas été partagés entre tous les partis. Il ne s'agit pas ici d'examiner leur portée ni de savoir si la formidable défense de la convention a toujours été en harmonie avec les lois de l'équité. L'histoire pèsera les fautes des hommes de fer qui ont vaincu la coalition des rois, mais elle ne pourra manquer d'inscrire leur nom au nombre des sauveurs de la patrie. Quant à la question qui nous occupe, il suffit d'avoir établi que la terreur n'est point le résultat des idées démocratiques, mais qu'au contraire elle a surgi des tentatives contre-révolutionnaires et de l'invasion qui menaçait la France.

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