Imagens das páginas
PDF
ePub

Cette conclusion dépasse les prémisses et exige un beaucoup plus ample informé.

9

Un canard scientifique de haut vol: l'habitant de Mars. Une ancienne mystification astronomique : les habitants de la lune.

Le Pays du 17 juin 1864 mettait en circulation un affreux canard, d'origine prétendue américaine, mais qui sortait évidemment d'une officine de Paris, et qui a eu pour objet de mystifier le Français débonnaire par une amplification drôlatique des découvertes récentes concernant les aérolithes et l'homme fossile. Nous ne savons pas jusqu'à quel point sont autorisées ces entreprises sur la crédulité publique, surtout quand elles sont perpétrées avec une étendue et une longueur qui dénotent un grand parti pris de réussite. Nous ne voulons pas toutefois prendre les choses par le côté sombre; nous aimons mieux, comme le philosophe ancien, rire de l'événement, pour n'avoir pas à en pleurer.

L'ébouriffante pièce qui a fait le tour des journaux de province, après avoir été accueillie dans quelques feuilles de Paris, avait pour titre : Un habitant de la planète Mars; elle se donnait pour une correspondance de Richmond, et le Pays l'a publiée << sous toutes réserves! >> Nous le croyons de reste.

Voici le fond de l'histoire :

Dans le pays des Arrapahys, aux environs du Pic-James, un riche propriétaire, que l'auteur de la correspondance gratifie du nom de sir Paxton (remarquons qu'en anglais on n'associe jamais le mot sir au seul nom de famille), sir Paxton, puisqu'on le veut, avait commencé des fouilles pour chercher un gisement d'huile de pétrole. Un matin,

3

»

le pic rebondit sur un rocher très-dur; on avait déjà traversé un affleurement carbonifère, et l'on travaillait sur le terrain primitif. La sonde ramena un mélange de trapp, de porphyre et autres subtances dont les noms ont une résonnance et un cachet scientifiques. M. Davis, « géologue très-distingué de Pittsburg, dit l'auteur, ayant insisté pour qu'on suivit ce filon de matières diverses, après plus de quinze jours de travail assidu, on mit à nu une énorme masse dont aucun échantillon n'avait encore été, jusqu'à ce jour, rencontré sur notre globe. Cette masse mesure, dans son plus grand diamètre, environ 40 mètres, et 30 mètres dans le plus petit. On remarque des cassures et des anfractuosités, d'où ont dû se détacher des éclats considérables. Sa surface est couverte d'une sorte d'émail noir, d'épaisseur variable. La masse elle-même, d'après M. Davis (le géologue très-distingué de Pittsburg), contient des silicates alcalins et terreux, une foule de métaux, parmi lesquels nous n'aurons garde d'oublier le césium; enfin du chlorhydrate d'ammoniaque et du graphite. Or, le graphite et le chlorhydrate d'ammoniaque sont les deux substances dont M. Cloëz a signalé la présence dans l'aérolithe du 14 mai dernier, en insistant sur la rareté de cette circonstance. Voilà une coïncidence vraiment heureuse! Il est à croire cependant que M. Davis, le géologue distingué de Pittsburg, n'aurait pas trouvé ces deux substances dans le fameux aérolithe, si la communication de M. Cloëz à l'Académie des sciences de Paris n'eût pas encore été faite.

Une masse présentant d'une manière si manifeste les caractères des aérolithes, et renfermant un corps dont la présence dans les pierres météoriques n'était pas encore connue en Amérique au moment où le correspondant du Pays confiait sa lettre au steamer de Liverpool, une masse si bien caractérisée, disons-nous, ne pouvait laisser aucun doute sur son origine, aux géologues qui étaient accourus pour l'examiner. C'était donc bel et bien un aérolithe, mais

[ocr errors]

un aérolithe ayant de la barbe, puisqu'il était enfoui, depuis plusieurs millions d'années, dans le terrain primitif. Attendez, pourtant; voici le bouquet :

La commission qui s'était rendue sur les lieux, eut l'heureuse inspiration de faire percer l'aérolithe, probablement pour y chercher un trésor; ou plutôt parce que l'on avait un pressentiment de la grande découverte qui s'approchait. Comment expliquer sans cela l'obstination avec laquelle on se mit à trouer la pierre jusqu'à vingt mètres de profondeur? A sept mètres, on trouva le granit ; à vingt mètres, on rencontra de l'ophite. On avançait donc lentement, quand tout à coup l'outil vint à rebondir, puis s'enfonça de quelques mètres. On employa dix jours à élargir le trou suffisamment pour qu'il fût possible de descendre dans l'intérieur de l'excavation. John Paxton, le fils de l'heureux propriétaire de l'aérolithe, et M. Davis, la fine fleur des géologues, s'aventurèrent au fond du trou sinistre.

«Il se passa quelques minutes d'indécision avant qu'ils remontassent. Ils étaient tous deux fort pâles. M. Paxton portait avec lui une sorte d'amphore grossière en métal blanc (argent et zinc) toute criblée de petits trous et de dessins bizarres. >>

Nos deux héros racontèrent qu'ils avaient trouvé cette amphore enfoncée dans la roche, où la sonde l'avait déjà ébranlée. Deux mètres plus bas, leurs pieds avaient rencontré un plancher métallique qui résonnait sourdement. Après un travail de trois jours, on réussit à déplacer ce couvercle; il était en métal noir et oxydé; sa largeur était d'environ deux mètres. Les deux gentlemen déjà cités et un M. Murchison (nous supposons qu'il ne s'agit pas ici du célèbre géologue de Londres) descendirent dans la cavité, et découvrirent avec étonnement une espèce de tombeau rectangulaire, taillé dans le granit et rempli de stalagmites calcaires. Au centre se détachait très-nettement... quoi? Un

homme enveloppé d'un linceul calcaire. C'était une conserve humaine !

L'homme était couché tout de son long et mesurait à à peine quatre pieds. Sa tête, légèrement soulevée, se perdait dans un coussin de carbonate de chaux; ses jambes disparaissaient aussi sous l'enveloppe calcaire. Nous avons quelque peine à dégager ces détails d'une description fort embrouillée.

Mais allons jusqu'au bout. On attaque la roche par l'acide, comme autrefois Annibal traversant les Alpes; on scie la pièce par la moitié du corps et l'on finit par mettre à nu une momie très-bien conservée, bien qu'un peu carbonisée en quelques points. On ne put retirer les pieds sans les endommager. La tête sortit à peu près intacte pas de cheveux, peau lisse, plissée, passée à l'état de cuir; cerveau triangulaire; visage en lame de couteau; une sorte de trompe, partant du front, en guise de nez; une bouche très-petite, avec quelques dents seulement; deux fosses orbitaires, d'où l'on avait retiré les yeux; bras très-longs; cinq doigts, dont le quatrième beaucoup plus court que les autres. Apparence généralement grêle. « On s'occupe, ajoute le correspondant du Pays, de faire mouler ce singulier habitant des mondes interplanétaires, et nous en verrons bientôt des dessins. >>

A côté de la momie, on ne trouva ni armes, ni ornements. Seulement, on découvrit une petite plaque d'argent sur laquelle le Murchison que vous savez reconnut le dessin d'un rhinocéros, d'un palmier, etc.; puis une représentation très-réussie du Soleil, tel que le dessinent les enfants; > chose assez aisée à « réussir, il nous semble. A côté du Soleil étaient plusieurs étoiles. On mesura leurs distances, et l'on trouva sensiblement celles qui séparent les planètes Mercure, Vénus, la Terre, Mars, Jupiter, Neptune, etc. Seulement la planète Mars était bien plus grosse que les

autres.

[ocr errors]

« Cette distinction accordée à Mars, au détriment des autres planètes, ne décèle-t-elle pas, nous dit le perspicace corres pondant du Pays, l'amour-propre de son habitant?»

De cette sagace considération, le même correspondant, plein d'imaginative, conclut, par une vue hardie et magistrale, que l'aérolithe et tout ce qui le concerne nous est arrivé de la planète Mars. Ainsi plus de doute que les planètes soient habitées par des êtres pensants et qui nous ressemblent. L'ingénieux restaurateur des mœurs et usages des mondes extra-terrestres a même deviné comment, en ces régions excentriques, on procède pour enterrer les morts. « On creuse tout bonnement une fosse de grandeur voulue dans le rocher, et on conserve le corps en le fossilifiant à l'aide d'un bain chargé de sel calcaire. »

Voilà les pharamineux détails que l'abonné du Pays a pu lire, le 17 juin. Si nous avions trouvé ce canard atroce et infiniment trop emplumé dans le Journal pour rire ou dans le Charivari, nous l'aurions regardé comme assez indifférent. Mais quand on nous le présente comme un document sérieux, dans un grand journal politique, il nous semble que quelques coups de fouet de la critique ne sont pas de trop pour punir cette véritable atteinte portée au crédit de la presse en général.

Nous nous attendions à voir des affiches couvrir les murs de Paris, faisant savoir au bon public que M. Davis, le géologue distingué de Pittsburg, venait d'arriver avec le fameux homme interplanétaire, qu'il exhiberait moyennant 50 centimes, et qu'avec un supplément de 10 centimes on pourrait le toucher. C'aurait été une seconde édition de la célèbre histoire du roi Teutobocchus, long de 25 pieds, que le chirurgien Mazuyer, en l'an 1613, montrait au public par tout le continent, et qui n'était qu'un squelette de Mastodonte.

« AnteriorContinuar »