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que nous regardons comme un véritable et très-important progrès chirurgical.

La digitaline.

Toute lumière a son ombre, tout jour a sa nuit, toute étoffe brillante et soyeuse a son envers grossier. La science a également son ombre et son envers. Si elle se manifeste tous les jours aux yeux du vulgaire par les bienfaits qu'elle répand, si elle augmente le bien-être général et les facilités de la vie, si elle étend le cercle de l'activité intellectuelle, elle multiplie aussi, par un triste et inévitable retour, les moyens de nuire, et ajoute des agents nouveaux à l'arsenal du crime. Tout dépend de la main qui l'emploie.

Cette double face de la science et du progrès se montre avec évidence si l'on consulte l'histoire de la toxicologie, ou science des poisons. Guidés par le déplorable instinct du mal, les hommes avaient, dès les temps les plus anciens, reconnu les propriétés vénéneuses d'un grand nombre de plantes, et ils s'en servaient pour exécuter leurs criminels desseins. Les dames romaines étaient versées dans la science des poisons végétaux; les nombreuses exécutions capitales qui ont eu lieu dans l'ancienne Rome, pour punir des crimes de cette nature, prouvent assez combien les empoisonnements étaient fréquents dans la société de cette époque.

On a commencé, au moyen âge, à réhabiliter les plantes toxiques, en reconnaissant que l'on peut quelquefois en tirer parti pour l'art de guérir. C'est à Paracelse, le grand médecin-chimiste du seizième siècle, trop décrié de son temps et de nos jours, que nous sommes redevables de cette heureuse découverte. A la suite des guérisons obtenues par l'application des idées de Paracelse, on a fini par admettre

cette vérité féconde que tous les poisons peuvent devenir des agents thérapeutiques extrêmement puissants, quand on les administre à des doses convenables, parce que, troublant la marche naturelle des fonctions, ils peuvent produire dans l'économie vivante de salutaires réactions. Il en est de ces substances énergiques comme des hommes au caractère fortement trempé bien dirigés, ils peuvent accomplir de grandes et belles actions; mal surveillés ou déchaînés, ils produisent de grands crimes. Les poisons sont des médicaments héroïques, selon le terme excellent de la médecine ils sauvent ou ils tuent.

On ne pourrait citer aucune plante vénéneuse qui n'ait trouvé sa place dans les formulaires thérapeutiques et dans la pharmacopée moderne. L'arsenic même, ce poison que tout le monde a appris à redouter, trouve en médecine des emplois efficaces. L'acide arsénieux est très-utile pour la guérison des fièvres intermittentes. Les paysans de Styrie mangent l'arsenic à petite dose pour se donner des couleurs, et pour gravir plus facilement leurs montagnes. C'est là sans doute un abus, mais il prouve que des poisons peuvent avoir des effets très-différents de ceux que l'on a coutume de leur attribuer.

C'est sous la forme d'infusion ou de décoction des plantes qui les contiennent, que l'on a commencé d'administrer, comme médicaments, les poisons végétaux. Les breuvages préparés par les prétendues sorcières du moyen âge devaient leurs vertus à la présence des poisons végétaux obtenus par l'infusion de plantes narcotiques ou stupéfiantes. De nos jours, la chimie a découvert la manière d'isoler les principes actifs des plantes vénéneuses ou médicinales, ce qui a permis d'en régler beaucoup mieux l'emploi, et de les administrer sous une forme plus agréable, en les associant à des mélanges propres à masquer leur odeur ou leur saveur, ou bien de manière à contrebalancer certaines propriétés nuisibles. C'est ainsi qu'on emploie, pour

l'usage médical, la morphine, la quinine, la digitaline, et plusieurs autres principes vénéneux d'origine végétale. Le système médical homoeopathique se sert presque exclusivement de poisons de toute sorte, employés à des doses excessivement affaiblies.

Des procès célèbres ont prouvé combien il est facile de faire servir à mal les principes actifs dont la médecine fait usage. Plus d'une fois, ce sont des mains savantes qui ont changé en breuvage mortel la potion offerte à un malade confiant; d'autres fois, c'est l'erreur ou l'ignorance, qui ont fait un déplorable abus de remèdes dangereux, et produit, sans le vouloir, les plus funestes effets.

Le procès criminel de Couty de la Pommerais a remis sur le tapis la question des poisons végétaux. C'est de la digitaline que l'accusé a fait un criminel usage. Cette substance étant peu connue du public, tant dans sa nature que dans ses effets, nous pensons que l'on lira avec intérêt quelques renseignements scientifiques sur cet agent

nouveau.

La digitaline est le principe actif de la digitale, belle plante qui appartient à la famille des Scrophulariées. On la rencontre vers la fin du mois de juin, ou au commencement de juillet, dans les bois et sur les terrains pierreux des montagnes de la plus grande partie de la France. Ses corolles, de couleur pourprée et en forme de clochettes, pendent d'un seul côté de la tige, offrant une vague ressemblance avec un dé à coudre, ce qui a fait donner à la plante le nom de digitale, du mot latin digitus, doigt. Elle exhale une odeur vireuse désagréable, qui prévient les animaux et les hommes de ses propriétés vénéneuses. Administrées à une certaine dose, les feuilles de digitale agissent à la manière des poisons narcotico-âcres; elles provoquent des vomissements, une violente purgation, enfin la mort.

C'est un botaniste allemand, Léonard Fuchs, professeur

de médecine à l'école de Tubingue, qui, en 1535, décrivit le premier la digitale et lui donna son nom. Gaspard Bauhin la désigne sous le nom de digitalis purpurea folio aspero. Van Helmont et Boerhaave l'ont recommandée contre les scrofules. Telle était aussi l'opinion de Haller, de Fourcroy et d'autres médecins du siècle dernier. Ferreira dit que la digitale purge par haut et par bas, et qu'elle est propre à guérir l'apoplexie. En Italie, on la considère, à la même époque, comme un vulnéraire souverain pour la cure des plaies, ainsi que le constate le proverbe populaire : Aralda che tutte piaghe salda (la digitale qui guérit toutes les plaies). En 1775, le docteur Withering fit paraître la première monographie de la digitale. Ce médecin administrait le suc de la plante à la dose d'une cuillerée dans un quart de litre de bière. Il dit avoir vu, sous l'influence de ce médicament, le pouls descendre à trente pulsations par minute, et il signale une abondante diurèse parmi ses effets. I recommande la digitale surtout contre l'hydropisie. Beddoes crut y trouver un spécifique infaillible contre la phthisie pulmonaire.

On peut dire, en résumé, qu'il n'est guère d'affection contre laquelle on n'ait essayé la digitale. Cette plante rend, dans beaucoup de maladies, des services réels, mais surtout dans les hydropisies et dans les maladies du cœur. Selon M. Bouillaud, ce qui distingue surtout la digitale, c'est sa propriété, en quelque sorte spécifique, d'apaiser les mouvements tumultueux du cœur, et, pour ainsi dire, de narcotiser cet organe.

• De tous les sédatifs auxquels on puisse recourir, dit M. Bouillaud, le plus efficace, le plus direct, le plus spécifique, c'est incontestablement la digitale, ce véritable opium du cœur. »

De tous les effets de la digitale, le plus remarquable et le plus caractéristique est certainement celui qu'elle exerce sur le cœur; c'est sur cette action particulière que l'on a

fait le plus d'observations, mais c'est aussi le point sur lequel on s'est le moins entendu. Quelques médecins anglais ou allemands ont considéré la digitale comme ayant une action primitivement accélératrice sur le centre circulatoire, qu'elle ne déprimerait que secondairement. L'école italienne moderne place la digitale au premier rang des contre-stimulants; elle en a même fait un succédané de la saignée. Mais la grande majorité des médecins de notre. temps considèrent la digitale comme un sédatif de la circulation. Son effet général est de ralentir le pouls, bien qu'on puisse observer, dans certaines circonstances, une accélération fugitive des battements de l'artère. De soixante-quinze pulsations par minute, on a vu le pouls descendre, à la suite de l'usage de ce médicament, à quarante et à moins encore. Dans un cas remarquable, MM. Piedagnel et Heurteloup n'ont observé, chez une malade qui faisait usage depuis longtemps de la digitale, que dix-sept pulsations par minute! Mais de pareils résultats sont extrêmement rares. Du reste, un pouls abaissé à quarante pulsations par minute est déjà un fait très-curieux. C'est ce qui fait écrire à M. Barbier les lignes suivantes :

« Lorsque, le doigt posé sur l'artère, on attend les battements du pouls, on s'étonne de les sentir si loin les uns des autres : on se demande si les mouvements de la vie ne vont pas s'interrompre. >

Pour le traitement des diverses affections, ce sont les feuilles, la racine, et quelquefois la résine de digitale, qui étaient autrefois exclusivement employés dans les cas de maladie où cette plante était prescrite. La digitaline est une acquisition de la science contemporaine, et l'histoire de la découverte de cette substance doit nous arrêter quelques instants.

La médecine pratique a fait un pas immense le jour où la chimie a trouvé le moyen d'isoler des plantes officinales

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