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CHAPITRE XVII.

Départ de Cincinnati. Société à bord du bâtiment à

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vapeur.

Nous quittâmes Cincinnati au commencement de mars 1830, et je crois qu'il n'y eut personne parmi nous qui n'éprouvât un sentiment de plaisir. Nous avions vu et revu tout ce que cette ville renferme; nous nous étions amusés de son importance, de son goût et de son ton, jusqu'à ce que toutes ces choses eussent cessé d'être amusantes. Nous avions escaladé toutes ses

montagnes, nous avions parcouru toutes ses forêts, et à l'exception de deux ou trois personnes possédant des têtes et des cœurs qui ne sont particuliers à aucun pays, mais qu'on trouve répandus çà et là dans le monde, comme pour nous réconcilier avec lui, nous ne regrettâmes de Cincinnati que d'y être jamais entrés, car nous y perdîmes notre santé, notre temps et notre argent.

Nous nous embarquâmes, à trois heures, sur le bateau à vapeur qui devait nous conduire à Wheeling. C'était le plus beau bateau à vapeur que nous ayons jamais vu. Les cabines étaient à l'étage supérieur et le pont des passagers audessous. En face de la cabine des dames se trouvait un grand balcon abrité d'un auvent; il y avait des chaises et des sofas, et quoique la saison fût si peu avancée, les femmes y passaient toute la journée. Ce magnifique bâtiment s'appelait Lady Franklin. Je m'amusai souvent du penchant décidé que les Américains ont pour les titres. Les femmes des hommes éminens reçoivent toujours la qualification de lady. Nous entendions parler de lady Washington, lady Jack

son, et de bien d'autres ladys. L'éternelle répétition de leurs titres militaires est surtout ridicule lorsqu'ils sont appliqués à des aubergistes, des marchands de légumes, etc. L'exemple le plus remarquable de cet amour pour l'aristocratie eut lieu à Cincinnati. M. Trollope, en parlant d'un monsieur du voisinage, l'appela M. M....., tout — Le général M....., reprit celui auquel il adressait la parole. Je vous demande pardon, reprit M. Trollope, j'ignorais qu'il fût dans l'armée. — Il n'est pas dans l'armée, monsieur, mais il est général du district.

court.

Le temps était délicieux; toute trace d'hiver avait disparu, et nous courions rapidement sur le fleuve, en admirant toutes les beautés de l'Ohio.

Nous ne connûmes la partie masculine des passagers qu'aux courtes et silencieuses périodes accordées pour les déjeuners, les dîners et les soupers. Les messieurs nous permettaient alors d'entrer dans leur cabine et de nous asseoir à leur table.

Nous étions certainement les mieux partagées sur Lady Franklin, car nous pouvions prendre l'air sur notre magnifique balcon; sous tous les

rapports nous étions infiniment mieux que sur le bateau à vapeur qui nous avait amenés de la Nouvelle-Orléans à Memphis, où nous étions relégués dans une misérable petite chambre sous la cabine, et l'on avait donné à entendre que notre devoir était de rester dans ce réduit jusqu'à ce que la cloche annoncât l'heure des repas. La séparation des sexes, dont j'ai souvent fait mention, n'est nulle part aussi remarquable que sur les bateaux à vapeur. Parmi nos passagers nous avions un mari et une femme qui paraissaient souffrir de cet arrangement. La jeune femme était malade et son mari était rempli d'attentions pour elle, du moins autant que les règles du bateau à vapeur le permettaient. Lorsque le maître d'hôtel ouvrait la porte des cabines pour que nous pussions parvenir jusqu'à la table, le mari était toujours là en sentinelle, afin de pouvoir offrir son bras à sa femme, et lorsqu'il la reconduisait il s'arrêtait toujours quelques instans sur le seuil redoutable et ne la quittait que lorsque la dernière femme l'avait passé. Une ou deux fois, nous étions toutes sur le balcon, il enrageait de venir s'asseoir un instant auprès de sa

femine dans notre cabine; mais, dès qu'une de nous entrait, il se levait avec l'embarras d'un coupable, et s'enfuyait aussitôt.

Tandis que je parle des arrangemens particuliers qui paraissent nécessaires à la délicatesse des dames américaines et à la commodité des Américains, je suis tentée de faire allusion à une anecdote que j'ai lue dans les journaux, relative aux visites que le capitaine Basil Hall persista à faire à sa femme et à son enfant, à bord d'un bateau à vapeur du Mississipi, après avoir été instruit qu'une telle conduite était contraire aux réglemens du bateau. J'appris depuis, de bonne source, que ni monsieur ni mistress Hall n'entrèrent jamais dans la cabine des femmes pendant tout le voyage, car ils occupaient un appartement que M. Hall avait arrêté pour sa famille. La véracité des journaux n'est nulle part irréprochable; mais, si je ne me trompe, les journaux américains font circuler plus de mensonges que tous les autres journaux du monde, et le point de mire de ces volumineux ouvrages d'imagination, c'est l'Angleterre et les Anglais.

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