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attendre deux jours pour en trouver une autre. On ne sait pas ce que c'est que la poste dans ce pays, et la malle voyage la nuit, ce qui ne me convenait pas. Nous restâmes donc deux jours dans l'hôtel de Wheeling.

Je ne sais pas comment ces deux longs jours se seraient écoulés, si nous n'avions pas été assez heureux pour rencontrer un bel esprit parmi les personnes logées dans l'hôtel. Nous descendîmes un matin pour déjeuner dans un salon commun (car on ne connaît point à Wheeling de salons particuliers); plusieurs personnes entrèrent en même temps que nous, et nous nous trouvâmes neuf ou dix voyageurs. La porte s'ouvrit de nouveau, et il parut une femme qui avait dû être fort belle et qui, suivant toute apparence, croyait l'être encore. Elle était grande, bien faite, habillée de noir, et portant sur elle beaucoup de bijoux de mauvais goût. Un fichu ponceau relevait la sombre couleur de son vêtement, et un petit bonnet élégant sur le haut de sa tête faisait ressortir une immense quantité de cheveux noirs, soit faux, soit naturels, qui ornaient sa tête. Une provision raisonnable de

rouge complétait sa toilette, qui avait un degré de prétention capable d'attirer les regards et d'exciter la curiosité. Cette femme parlait vite, et n'avait nullement la retenue américaine; je commençai à être curieuse de savoir qui, et ce qu'elle était. Ce n'était pas une dame dans l'acception anglaise de ce mot, et elle n'était pas davantage ce qu'on appelle en Amérique une femme bien née. Une belle jeune fille de dix-sept ans entra bientôt après et l'appela maman, et la mère et la fille causèrent entre elles de leurs affaires, d'une manière qui augmenta ma curiosité.

Après déjeuner, voulant m'amuser à quelque chose, je m'assis près de l'inconnue, et j'entrai en conversation. Je ne fus pas long-temps dans l'incertitude, et, au bout d'une minute ou deux, elle mit dans ma main une carte qui m'apprenait qu'elle enseignait l'art de peindre sur velours dans toutes ses ramifications.

Elle m'assura avec une grande volubilité qu'elle seule et sa fille possédaient les secrets de cette inappréciable science, mais que pour vingtcinq dollars elle les communiquerait à ceux qui le désireraient.

Quelques minutes plus tard, elle m'informa qu'elle était l'auteur de plusieurs satires des plus mordantes, et puis elle m'offrit un prospec

tus, c'est son expression, sur un roman d'une construction tout-à-fait neuve. Je fus bien tentée de lui demander s'il allait par la vapeur, mais elle ne me laissa pas le temps de lui demander la moindre chose; car, continuant la biographie qu'elle avait si obligeamment commencée, elle ajouta : - J'avais l'habitude d'écrire contre toute la faction d'Adams. Je monterai dans l'instant chez moi, et je vous rapporterai mes satires contre ce parti. Mais, ma chère madame, il est effrayant de penser combien on néglige le talent dans ce pays. Ah! je sais ce que vous allez me dire, ma chère dame, vous me direz que ce n'est point ainsi dans le vôtre. Je le sais. Mais hélas! l'Atlantique! Enfin il faut que je vous raconte comme on m'a traitée. J'ai non-seulement publié les satires les plus viru-lentes contre la faction d'Adams, mais j'ai écrit des ballades et des odes en faveur de Jackson; ma fille Cordélia a chanté devant huit cents personnes des strophes magnifiques de ma compo

sition, et qui étaient toutes à sa louange; et croiriez-vous, ma chère madame, qu'il n'a jamais fait la plus légère attention à mes écrits et ne m'a pas donné la moindre preuve de sa reconnaissance? Mais vous pouvez supposer que je ne supporterai pas patiemment une telle conduite. Non, ce n'est pas mon habitude. Le roman dont je vous ai parlé tout-à-l'heure était un roman sentimental, car, entre nous, c'est mon genre; mais après la provocation que j'ai reçue à Washington, je l'ai transformé en un roman satirique, et il s'appelle maintenant Yankee Doodle Court. De cette manière, ma chère madame, si je pouvais me décider à traverser ce terrible Atlantique, je serais passablement bien reçue dans votre pays après avoir écrit Yankee Doodle Court!

Je saisis une légère pause pour lui demander à quel parti elle allait appartenir, puisqu'elle abandonnait à la fois Adams et Jackson.

-Oh! Clay! Clay! pour toujours! s'écria-telle, c'est un véritable républicain; les deux autres ne sont ni plus ni moins que des tyrans.

Une autre fois, lorsque j'entrai dans le salon, elle m'interpella de nouveau pour déplorer le goût dégénéré du siècle.

-Le croiriez-vous, me dit-elle, j'ai dans ce moment une comédie toute prête à être représentée. Je l'appelle le Fou philosophe. Elle est réellement admirable, et son succès serait certain si on voulait seulement la jouer. Je vous assure que la négligence dont je suis l'objet ressemble tout-à-fait à une persécution. Mais je saurai leur donner la monnaie de leur pièce, et faire en même temps ma fortune. La satire est l'arme qui venge de l'oubli, et je me vante de savoir en faire usage; faites-moi le plaisir d'examiner cela.

Alors elle me présenta un petit pamphlet dont le prix, dit-elle, était de vingt-cinq sous; je payai bien vite ce chef-d'œuvre pour l'avoir en ma possession. La composition était à peu près ce que j'attendais, à l'exception que le langage était encore plus martyrisé par sa plume que par

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