Imagens das páginas
PDF
ePub

approchions de la terre fut la vue de cette immense rivière mêlant ses eaux bourbeuses aux vagues bleues du golfe du Mexique. Les côtes de ce fleuve sont si parfaitement plates qu'on ne peut apercevoir en pleine mer aucun des objets qui couvrent leur surface; nous contemplions avec plaisir cet océan boueux qui venait à notre rencontre, car il nous apprenait que nous touchions au port, et sept semaines de traversée nous avaient fatigués; cependant ce ne fut pas sans un sentiment qui ressemblait au regret que nous quittâmes ces ondes bleues et brillantes dont l'aspect changeant avait été si long-temps notre principale distraction, pour naviguer sur le sombre courant vers lequel s'élançait notre vaisseau.

Nous vîmes des troupes nombreuses de pélicans se reposant sur les îles de boue qui s'élevaient sur la surface des ondes, et un pilote vint pour nous guider au milieu de ces obstacles, long-temps avant qu'aucun autre signe visible nous annonçât la terre.

Je n'ai jamais contemplé une scène d'aussi complète désolation que cette entrée du Mississipi. Si le Dante l'avait vue, il eût tiré de nou

[ocr errors]

velles images de ces horreurs. Un seul objet s'élève sur la surface de ces écueils; c'est le mât d'un vaisseau depuis long-temps submergé en essayant de traverser la barre, et il reste à la même place, comme pour porter témoignage de la destruction qui eut lieu et prophétiser des malheurs à venir.

Peu à peu des joncs d'une énorme grosseur se montrèrent à notre vue, et quelques milles de plus, toujours au milieu de la boue, nous amenèrent en face d'un amas de huttes appelées Balyze, village le plus misérable qui servit jamais de refuge à l'homme; on m'apprit que plusieurs familles de pilotes et de pêcheurs y vivaient.

Pendant plusieurs milles au-dessus de son emnbouchure, le Mississipi n'offre pas d'objets plus intéressans que des rivages boueux, des joncs énormes et de monstrueux crocodiles se délectant dans la vase. Ce qui ajoute encore à la tristesse de cette scène, c'est la vue constante d'une grande quantité de bois flottans, qui se dirigent vers les différentes embouchures du Mississipi. Des arbres d'une énorme longueur, conservant

quelquefois leurs branches, et plus souvent leurs racines entières, victimes des fréquens orages, flottent avec le courant. Parfois ils s'accrochent les uns aux autres, et réunissent au milieu de leurs branches tout ce qui se trouve sur leur passage; cette masse ressemble à une île flottante dont les racines narguent les cieux, tandis que les branches humiliées fustigent les ondes dans leur vain courroux; lorsque ces masses s'approchent d'un vaisseau et rasent ses flancs avec rapidité, on dirait les fragmens d'un monde en ruine.

En avançant, néanmoins, nos regards furent charmés, malgré la saison avancée, par les brillantes nuances de la végétation méridionale. Les rivages étaient toujours plats; mais de nombreuses habitations de planteurs, qui ne sont quelquefois que de simples maisons de campagne souvent accompagnées par leurs champs de cannes à sucre et les huttes des nègres, varient la scène. Sur aucun point, on ne trouve ce que les peintres appellent un second plan: pendant l'espace de cent vingt milles, depuis Balyze jusqu'à la Nouvelle-Orléans, et cent autres milles

au-dessus de la ville, le rivage est défendu des invasions de la rivière par un chemin élevé, appelé Levée, sans le secours duquel les habitations disparaîtraient promptement, la rivière étant évidemment plus haute que ne le serait le rivage sans ce travail. Lorsque nous arrivâmes, des pluies constantes donnaient à cet accident du terrain une apparence plus frappante, et prêtaient aussi à une scène toute naturelle l'aspect le plus contre nature qu'il soit possible d'imaginer. On voyait non-seulement que la main de l'homme avait passé par là, mais aussi que les plus puissans ouvrages de la nature doivent se soumettre à ses lois, cela rappelait littéralement cette expression de Swift:

« La nature doit céder la place à l'art. »

Cependant le fleuve est si puissant et si indocile, que je ne pus m'empêcher de penser qu'il ressaisirait un jour ses droits : s'il en était ainsi, on pourrait dire adieu à la Nouvelle-Orléans. Il est facile d'imaginer qu'un pareil paysage totalement de beauté, mais la forme et la nuance des arbres, des plantes si nouvelles pour

manque

nous, et la privation où nous étions depuis si long-temps de tous les objets et de tous les sons qui viennent de la terre, contribuaient à nous faire paraître magnifique ce sol marécageux. Nous étions cependant impatiens de toucher aussi bien que de voir la terre; mais la navigation depuis Balyze jusqu'à la Nouvelle-Orléans est difficile et fatigante, et les deux journées que nous y employâmes nous parurent plus longues qu'aucune de celles que nous avions passées à bord.

Pour ceux qui aiment à contempler les phénomènes de la nature, un voyage sur mer peut durer bien des semaines sans paraître ennuyeux. Peut-être quelques personnes penseront que le premier regard jeté sur l'Océan et les nuages dévoile toutes les beautés qu'ils possèdent; d'autres pensent que ce premier regard peut inspirer plus de tristesse que d'enthousiasme; mais à mes yeux leur variété est sans limites et leur beauté incomparable. Tenter de décrire un point de vue dont les objets sont proéminens et palpables est une entreprise qui réussit rarement; mais lorsque l'effet en est aussi subtil que varié, elle

« AnteriorContinuar »