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sentir au nouveau roi de Prusse toute l'étendue du danger qui le menace, et pour lui indiquer la seule marche convenable, celle dont seule il pourroit espérer sa sûreté même présente.

"Ce ne peut être qu'en fondant son gouvernement sur les principes de moralité et de justice, si longtems méconnus à Berlin, et en renonçant absolument et pour toujours aux idées de chercher à s'aggrandir, en contribuant aux progrès d'un danger qui le menace déjà de si près, et de tous les cotés. En prenant pour base de son système politique l'integrité constitutionnelle et territorielle de l'Empire, et la conservation de l'état actuel des possessions réspectives, on ne doute nullement qu'il ne lui seroit facile d'y faire entrer, pleinement et sans reserve, l'Empereur de Russie, qui déjà, depuis quelques semaines, s'est prononçé fortement, par son ministre à Berlin, en faveur de ces principes, et qui a conçu des vives alarmes sur le progrès d'un mal qui, gagnant de près en près, ne seroit pas longtems à l'atteindre dans ses nouvelles possessions Poloncises, et delà dans les anciennes provinces de son empire. Présenté à la cour de Vienne par l'Angleterre, la Russie, et la Prusse, ce système y sera très probablement adopté avec reconnoissance et empressement, comme offrant la meilleure garantie de ses possessions actuelles. Et il est même évident que l'Autriche n'auroit aucun moyen de s'y opposer, à moins de se jetter dans les bras du gouvernement Jacobin en France; résolution bien difficile a exécuter tant qu'il restera tant de sujets de jalousie et de haine en Italie, en Allemagne, sur les confins du Tyrol, et partout où les possessions Autrichiennes se trouvent en point de contact avec la République Françoise, et ses alliés. Pour la sûreté permanente de l'empire, et surtout des provinces Prussiennes, il est sans doute absolument nécessaire de mettre les provinces Hollandoises hors de leur dépendance et asservissement actuel aux volontés de la France. Mais ce point, tout important qu'il est, et digne de toute l'attention d'un roi de Prusse, pourroit ne pas également intéresser les autres puissances Continentales; et l'on devroit peut-être l'écarter pour le moment d'un concert général, dont l'établissement et le succès améneroient nécessairement et en tout cas des mesures tendantes à ce but particulier. Mais il seroit de la dernière conséquence de ne pas perdre un instant pour donner au nouveau roi de Prusse des sentimens justes à cet égard; et pour lui montrer par combien de liens cette affaire tient à ses intérêts les plus immédiats, et à la sûreté permanente de ses états. C'est des premières impressions que ce prince recevra en montant au tróne que tout dépendra. On l'a déjà dit, personne ne peut lui donner ces impressions si ce n'est le Duc de Brunswick. Il ne refusera donc sûrement pas d'y mettre un zèle et un intérêt proportionnés à l'importance de l'objet. Les momens seront précieux. En se trouvant sur les lieux, il seroit en mesure d'écarter bien de faux conseils, de rompre bien d'intrigues. Là il jugeroit lui-même mieux des démarches qu'il pourroit et devroit faire à cet effet; mais le point principal seroit de saisir les premiers momens et d'en profiter, pour écarter les fauteurs du système jacobin qui domine aujourd'hui à Berlin.

"S'il y avoit quelque apparence de succès, il seroit facile que le noveau Roi de Prusse envoyât ici, pour le compliment de notification, une personne de confiance auquel on pourroit s'ouvrir; celui qui est ici n'étant nullement propre à suivre une pareille discussion. Mais il seroit extrêmement intéressant de recevoir de la part du Duc de Brunswick toutes les informations qui seroient nécessaires, avant que l'on puisse juger à quel point on pourroit s'ouvrir avec la personne chargée d'une pareille commission."

M. DE LUC to GEORGE III.

1797, November 21. Brunswick.-" Votre Majesté ayant eu pour moi la grande bonté de me permettre de lui adresser directement mes premières observations ici, je ne dois pas tarder

à le faire.

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'Malgré la précaution que j'avois prise d'annoncer ici ma venue, j'y suis arrivé inattendu; parceque la malle qui portoit ma lettre n'a passé la mer qu'en même temps que moi, et que m'étant déterminé à proffiter du vent favorable pour remonter l'Elbe jusqu'à Hambourg, pendant la nuit du jour de mon arrivée à Cuxhaven, je suis arrivé ici le 19, avant les lettres, qui avoient passé la mer avec moi. Mais la mort du Roi de Prusse avoit déjà précédé de trois jours, et le Duc n'avoit rien fait encore, persistant, malgré les instances de M. de Stamfort, à ne se plus mêler des affaires; parce, disoit-il, que rien ne l'y autorisoit. Malheureusement M. de Stamfort étoit, et est encore malade; ce qui seul l'auroit retenu ici; mais il en auroit eu une autre raison que votre Majesté verra dans le cours du récit que je vais avoir l'honneur de lui faire.

"Je ne tardai pas un moment à me faire anoncer à Monseigneur le Duc, qui, témoignant sa surprise de mon arrivée, ne laissa pas de me faire dire qu'il m'attendroit avec impatience le lendemain matin. J'avois dejà instruit M. de Stamford du titre que je prendrois en public, et de son but, par l'honneur que m'avoit fait votre Majesté de me conferer dans cette vue, et j'avois prié M. de Stamford de le communiquer au Duc, pour prévenir sa crainte. Ce fut là aussi le premier objet de notre entretien, et quand je lui eus expliqué tout mon plan, je vis que cela le mettoit fort à l'aise.

"La conversation ayant alors commencé sur l'objet de la mission dont votre Majesté a daigné m'honorer, je tâchai, en entrant tout de suite en matière, et ne laissant aucun intervalle entre la lecture qu'il fit de la lettre de votre Majesté et la continuation de mon exposition, de prévenir une prémiere réponse, dans les dispositions que je lui connoissois; afin d'avoir le temps d'accumuler un nombre de choses qui previnssent une décision trop prompte. Par là, en effet, j'eus au moins cette première lueur d'espérance, qu'il témoigna la plus grande satisfaction de tout ce que j'avois eu l'honneur de lui dire de la part de votre Majesté et de ses ministres, et qu'il m'assura de son concours dans toute l'étendue de son pouvoir. Mais ce pouvoir que

sera-t-il? C'est ce dont votre Majesté jugera elle-même, par la suite des choses que je vais avoir l'honneur de lui exposer.

"En général, je vis s'a [ltesse] s [érénissime] vraiment touchée de la confiance de votre Majesté, et il est impossible de douter de sa sincérité dans le désir de voir réussir le plan qu'elle et ses ministres proposent. Mais sa timidité va au-delà de tout ce qu'on pourroit imaginer dans un personnage de son rang, de ses talens, et de son courage personnel à ta tête d'une armée. Il a la modestie de dire qu'il n'est propre, en aucune manière, aux démarches politiques. Il craint d'y trouver des oppositions dont il n'ait pas l'habilité de se tirer; parceque tout entier à l'étude des affaires militaires, il ne connoit point la tactique de celle des cabinets; il auroit voulu que M. de Stamford allait à Berlin, mais il redoutoit de l'autoriser à parler en son nom, et Monsieur de Stamford insistoit toujours sur ce que, sans son concours, personne ne pourroit prévenir ce qui, en effet, est arrivé, que les ministres du Roi mourant chercheroient à se rendre nécessaire à son successeur.

"Le Duc prévoyoit déjà que ce mal étoit très avancé, et pour le porter à en prévenir les suites, il falloit opposer crainte à crainte de sorte que je táchai d'abord de lui faire entrevoir qu'être accusé de foiblesse étoit pire que de l'être d'avoir fait une entreprise sans succès; ce qui je crois fit d'abord quelque impression sur lui, parceque, dés à présent, votre Majesté sera toujours présente à sa pensée; et qu'elle lui a fourni tout ce qui pouvoit venir de sa part pour l'engager à agir.

"C'est à ce sentiment, sans doute, qu'est due la communication que s'a [ltesse] s [érénissime] me fit l'honneur de me faire de quelques notes qu'il avoit prises de ce que le présent Roi lui avoit dit dans leurs entretiens, à son retour de Pyrmont; où se trouvoit surtout cette circonstance bien remarquable. Ne croyez-vous pas (dit-il au Duc) qu'il faudroit se porter en force du côté du Weser, pour se garantir de quelque mauvais dessein de ce Directoire ?' Le Duc marquant son approbation de cette idée, le Prince-royal ajouta: 'mais l'Angleterre ne se laisse point pénétrer; on ne sait sur quoi compter de ce côté-la.' Le Duc se tut à cet égard, ne sachant, me dit-il, que répondre; mais ce fut le principal motif des entretiens qu'il désira d'avoir avec moi, dans lesquels, pourtant, il ne parla point de cette circonstance. Il me semble done que voilà un changement qui marque celui de ses idées, et je le crois très sincère dans ce qu'il dit qu'il fera tout ce qu'il pourra; mais il falloit lui montrer la nécessité d'agir avec force.

"Dans ce but il falloit porter ses craintes plus loin qu'il ne me paroissoit les avoir, quoique, dans la lettre qu'il m'avoit fait Î'honneur de m'écrire à Londrès, il se montrát en général instruit des dangers qui menaçent toute l'Europe; mais il lui échappoit des circonstances caractéristiques d'un danger prochain et toujours croissant, qu'il ne lioit point assez les unes aux autres et à un tout, malgré les représentations de M. de Stamford qu'il étoit disposé à croire exagérées, à cause de bien des gens qui, soit manque d'attention soit à dessein, prétendent toujours q'on se fait des

craintes chimériques, que les peuples de ces contrées sont encore étrangers à toute ideé de révolution. Mais je lui ai cité tant de faits, et des liaisons si claires entre ces faits et un plan général, que je l'ai persuadé enfin du danger éminent de l'inaction dans tous ceux qui devroient agir.

"Entre les faits nombreux qui m'étoient déjà connus, et que j'ai encore appris depuis que je suis de retour en Allemagne, je n'en citerai qu'un à votre Majesté, qui en sentira mieux toute la grandeur que le Duc ne l'avoit sentie, quoiqu'il lui fût connu ; ce fait regarde la décadence de la religion, dont s'a [ltesse] s[érénissime] m'avoit déjà parlé avec beaucoup de peine dans mon autre voyage, mais sans y entrevoir de remède, ni sentir aussi profondément qu'il auroit été nécessaire la liaison des conjurations contre le Christianisme et contre les gouvernemens. Dans son Académie même où s'élève une nombreuse jeunesse, le professeur en histoire, ouvrant son cours pour cette année par l'histoire générale, dit à ses élèves; Il est d'usage de commencer ce cours par la fable de Moyse; mais comme aujourd'hui personne n'y croit plus, je me bornerai à vous en donner une idée en abrégé.' Rappellant entr'autres cette circonstance au Duc, et lui faisant voir comment elle se lioit avec le plan d'une entière subversion de l'ordre civil, qui n'a d'autre base dans les coeurs que la Révélation, il me demanda comment donc on pourroit remédier à cette source de mal public. Ce sera, Monseigneur, lui répondis-je, quand les souverains imiteront le Roi d'Angleterre, vrai Defenseur de la Foi, en encourageant, soutenant, aidant ceux qui ont le dessein et les talens nécessaires pour résister au torrent, en montrant l'ignorance de ceux qui prétendent élairer les hommes. Ce qui me conduisit à lui expliquer mon but, et en particulier contre les hommes audacieux semblables au professeur d'histoire dans son Académie. Alors il attacha plus de prix à mon but ostensible dans ces contrées, et me témoigna l'obligation qu'il m'auroit en particulier de le montrer bien ouvertement à Brunswick; ce que j'ai déjà fait.

"Il s'agissoit enfin de conclure quelque chose dans ce premier entretien, et la première idée qui vint au Duc, fondée sur la persuasion que je pouvois me présenter partout comme acteur dans une cause qui ne pourroit qu'intéresser les honnêtes gens, et les savans restés fidèles à la révélation, fut que j'allasse à ce titre à Berlin; persuadé qu'ayant l'honneur d'appartenir à l'auguste tante de la présente reine, qui posséde toute la tendresse et la confiance du roi, je pourrois avoir avec sa Majesté des entretiens privés, dans lesquels il ne doutoit pas que je ne produisisse plus d'effet que dans toute démarche ouvertement politique. Mais je lui représentai très fortement que c'étoit-là un moyen incertain et beaucoup trop foible; et que nul homme ne pouvoit espérer une pareille influence que lui-même, attaché depuis si longtemps à la maison de Brandebourg sous des relations d'intérêt commun.

"Alors il ajouta à son premier plan, qu'il m'autoriseroit à parler en son nom. Je resistai encore, mais d'une manière

moins décidée, parceque M. de Stamfort m'avoit recommandé de lui laisser former tout plan où il interviendroit en quelque chose; dans l'espérance de l'améner par là à agir plus directement.

"Laissant donc entrevoir à s'a [ltesse] s [érénissime] que, votre Majesté ayant en lui la plus grande confiance, je croiais pouvoir me conformer finalement à ce qu'il jugeroit absolument nécessaire que je fisse, je le priai néanmoins de considérer que dans une telle crise à Berlin c'étoit encore un moyen trop foible, et que j'espérais qu'il en emploierât de plus efficaces. Alors il m'assura que, dès ce moment, il n'auroit rien de caché pour votre Majesté; qu'il me communiqueroit pour elle tous les avis qu'il recevroit de Berlin, et toutes les idées qu'ils pourroient lui faire naître sur la manière d'y opérer dans les vues de votre Majesté.

"Dès le soir même s'a [ltesse] s [érénissime] accomplit sa promesse, en m'envoyant, dans une lettre à Monsieur de Stamfort, les informations et remarques dont j'ai l'honneur de joindre ici copie; et il annonça méme temps à Monsieur de Stamfort, chez qui je suis logé, qu'il viendroit le voir ce matin. Il est venu en effet, et il a d'abord eu un entretien particulier avec M. de S[tamfort] sur un objet dont il l'a laissé le maître de m'instruire, et qui je crois intéressera votre Majesté.

"J'ai été porteur d'un paquet de Madame la Princesse d'Orange pour Madame la Princesse Héréditaire de Brunswick, dans laquel étoit une lettre pour Monseigneur le Duc, qu'il a communiquée à Monsieur de Stamford, avec le projet de sa réponse, pour lui en demander son avis. J'ai lu cette lettre; elle étoit toute entière destinée à solliciter le Duc de se rapprocher du futur roi pour lui donner des conseils. Mais c'est peu que ce but en comparaison de l'exécution, qui m'a donné une haute idée de Madame la Princesse d'Orange, bien supérieure à l'impression que j'avois déjà reçue à cet égard dans les conversations que j'ai eu l'honneur d'avoir avec elle. Si je voyois dans la conversation que M. de S[tamford] n'auroit pas de repugnance à me donner copie de cette lettre, qui est encore dans ses mains, je croirois faire plaisir à votre Majesté en la lui envoyant, pour qu'elle connoisse d'autant mieux cette personne distinguée. A l'égard de la réponse du Duc, M. de Stamfort m'a dit qu'elle étoit très bien, mais qu'elle ne laissoit rien entrevoir de ce qui nous occupe.

"Après cette conversation je fus appellé; et Monseigneur le Duc m'ayant dit en peu de mots quel en avoit été le sujet, il me fit l'honneur de m'apprendre que le Prince Héréditaire d'Orange, arrivé ici pour accompagner le Prince Frédéric (qui dans une huitaine de jours partira pour l'Angleterre) lui avoit dit de la part du nouveau roi que, dans peu de jours, il le prieroit de venir à Berlin. Votre Majesté peut se représenter tout ce que Monsieur de Stamfort et moi avons dit à s' a [ltesse] s [erenissime] à cette occasion; surtout M. de Stamfort, qui est un des hommes les plus essentiels en tout ceci; et il en est résulté que le Duc s'est déterminé à écrire un mémoire

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