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L'INSTITUT HISTORIQUE

TROISIÈME CONGRÈS HISTORIQUE.

SUITE DE LA QUATORZIÈME SEANCE.

(Lundi 2 octobre 1837.)

Présidence de M. Dufey (de l'Yonne.)

La discussion est ouverte sur le mémoire de M. Emile Lambert.

Quelle a été l'influence de la Sorbonne sur le mouvement politique et intellectuel en France?

:

M. Delespine M. Lambert n'a pas bien compris, je pense, le problême posé par l'Institut Historique; ou, s'il l'a compris, il a reculé devant sa solution. Le mot Sorbonne doit être restreint. M. Lambert entend par là tout l'enseignement classique, toute l'université du moyen-âge. Mais la Sorbonne et l'Université sont choses bien distinctes. L'Université comprenait les quatre facultés; et la So: bonne n'était qu'une de ces facultés, la faculté de théologie. L'Université fut créé en 1200 par Philippe-Auguste qui lui donna une juridiction indépendan49 Livraison. Août 1838.

te; en 1215 elle fut définitivement constituée. En 1255, saint Louis accorda au théologien Robert Sorbonne un emplacement pour fonder un collége de théolologie, qui prit le nom de son fondateur. Mais l'école de théologie existait même avant l'Université; il y avait depuis longtemps un enseignement libre de philosophie. A côté de ces hommes bardés de fer, se trouvaient des hommes calmes et pacifiques qui venaient parler raison et science; ils s'appelaient les maîtres pauvres, car ils n'avaient pour eux que leur science et leur raison. Ce fut alors que la Sorbonne brilla de son plus vif éclat;_ce fut alors que son action fut toute bienfaisante sur la société. Que de fois on la vit s'élever contre les empiétements de la puissance temporelle du pape! Mais une fois devenue riche et influente, son action fut toute funeste sur la société, sur

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le monde intellectuel; elle persécuta les premiers imprimeurs, elle condamna Ramus,l'abbé de Ciran, Arnaud, Descartes, Mably, etc. Du côté politique, elle se jeta dans le parti du plus fort; une fois entre les mains de Richelieu, elle abandonna Richer au poignard du moine Joseph.

On a dit que la Sorbonne était morte. Oui, si vous entendez par Sorbonne la vieille école théologique; non, si par Sorbonne vous entendez ce pédantisme sec et cassant qu'elle a exercé et qu'elle exerce encore sur le monde politique. Cette Sorbonne-'à a fondé l'ecclectisme et ce que vous appelez la doctrine. Citezmoi un seul journal qui n'ait pas un de ces universitaires-là, un de ces Sorboniens pour rédacteur. Elle n'est donc pas morte dans ce sens, la vieille Sorbonne.Commejadis, comme toujours, elle poursuit sa route sans s'inquiéter des clameurs qui l'accompagnent. Disons donc en nous résumant que

l'influence de la Sorbonne a été bienfaisante, à son origine, puis nulle et trop souvent funeste.

M. Fresse-Montval: M. Lambert a dit d'abord que la théologie était née avec le monde. Plus tard, il a prétendu qu'Abeilard était le fondateur de la théologie; ces deux assertions me semblent contradictoires. Du reste, je suis de son avis; la théologie date du commencement du monde, car nous voyons une révélation primitive faite à Adam et à Eve. Il dit ensuite que Socrate était un théologien. Mais ne confondons pas les mots ; je cherche en vain, je ne trouve pas que Socrate ait admis jamais une révélation surnaturelle. M. Lambert blâme l'expédition de saint Louis en Afrique ; mais, outre qu'il faisait un acte de chrétien, saint Louis faisait

un acte de civilisation, de nationalité; car si son expédition eût réussi, la civilisation européenne eût été implantée en Afrique ; 600 ans plus tôt on aurait mis un terme au brigandage des Barbaresques. M. Lambert traite Louis XI de cruel tyran; je ne répéterai pas la réhabilitation brillante qui a été faite ici même de ce roi par M. Dufey (de l'Yonne). Mais M. Lambert conclut par un grand éloge de la satire Ménippée; or, cette satire n'est autre chose qu'une protestation en faveur de la vieille légitimité. Si elle était imprimée de nos jours, elle vaudrait à son auteur 10 ans de prison et 20 mille francs d'amende.

M. Leudières : On a dit qu'Abeilard avait introduit en France le libre examen; malheureusement cette assertion est douteuse. Je dirai plus, j'affirmerai qu'Abeilard, dans ses démêlés avec S. Bernard, a pris la révélation pour point de départ, et s'en est toujours référé à la Bible et aux saints Pères. Il y aurait beaucoup à dire sur le mémoire de M. Lambert; mais le sujet est si vaste qu'il a fallu vraiment plus que du courage pour le traiter, surtout avec le laisser-aller et dans les limites d'une improvisation.

M. Siméon Chaumier : M. Lambert a constaté que la Sorbonne avait agi plutôt en mal qu'en bien; c'est aussi ma conviction. Vainement s'est-on efforcé de paзser sur elle l'éponge, on n'a pu la laver de toutes les taches dont sa robe doctorale est salie. Comme tous les corps attachés par origine aux principes étroits d'une politique exclusive, la Sorbonne a souvent oublié la société pour ses intéréts de corps. C'est ainsi qu'on l'a vue tantôt

ennemie du pape quand ses intérêts la rapprochaient des rois, tantôt hostile aux rois quand sa politique la ralliait au pape; tantôt amie, tantôt ennemie des masses, suivant qu'elle y voyait son avantage. Ainsi, 1°, en politique, elle eut une influence pernicieuse; 2°, en intelligence, elle eut une influence rétrograde; car il ne saurait y avoir, il n'y a point de juste milieu; qui s'arrête recule. Son influence pernicieuse en politique m'apparait à trois grandes époques : dans les querelles des Bourguignons et des Armagnacs, dans l'invasion anglaise sous Charles VII, dans les guerres de religion sous Henri III. En d'autres termes la Sorbonne fut, suivant les circonstances, tantôt bourguignonne, tantôt anglaise, tantôt guisarde.

M. Chaumier dessine à grands traits la part que la Sorbonne a prise aux querelles des ducs de Bourgogne et d'Orléans, au procès de Jeanne-d'Arc, à la lutte des Valois et des Guises, à la persécution des protestants, à celle des poètes et des littérateurs. Et vous niez le mal? s'écrie-t-il. Ouvrez l'histoire et vous verrez comme le bien s'y mêle en rares parcelles.

M. Dufey (de l'Yonne) : On a dit qu'Abeilard avait fondé la théologie au XII siècle, mais la théologie date de Charlemagne, elle remonte au VII° siècle : elle a été fondée par Alcuin, chargé par l'empereur de combattre, avec les armes de la théologie, l'hérésie qui cherchait déjà à se frayer un passage. Le fait résulte d'une de ses lettres qui nous ont été conservées (M. Dufey en lit un passage); ainsi, Messieurs, de ce côté point de doute! dès cette époque la théologie était enseignée.

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M. Lambert a prétendu que saint Bernard avait jeté les fondements de la liberté de conscience; je ne suis pas de son avis et je cherche vainement de la tolérance religieuse dans l'homme, sublime d'ailleurs, qui a fait condamner Abeilard et Arnaud de Bresse. Parlons avec franchise! La Sorbonne a été un obstacle au mouvement intellectuel et politique. Lorsque Gerson eut fait décider que l'autorité du pape était subordonnée à celle des conciles, la Sorbonne brisa cette décision, En 1611, on vous l'a dit, Richer, qui avait combattu l'infaillibilité du pape soutenue par un dominicain, fut destitué; puis, Richelieu lui envoya le moine Joseph, qui, plaçant sous sa main une rétractation,, et le poignard de deux assassins sur la gorge, l'obligea de signer. Charron fut condamné par la Sorbonne, 20 ans après sa mort, comme athée. Quand Marguerite, reine de Navarre, fut dénoncée à la Sorbonne, il fallut toute l'influence de François I pour empêcher qu'elle fût condamnée comme hérétique. Plus tard, la Sorbonne fit rendre par le parlement un arrêt qui défendait, sous peine de mort, d'enseigner aucune maxime contre les anciens auteurs grecs, ni de faire aucune dispute qui ne fût approuvée par les docteurs de la faculté de théologic. Jamais, comme on l'a prétendu, Lhospital n'a figuré avec la Sorbonne d'une manière plus ou moins directe; et, si la France n'a pas subi le fléau de l'inquisition, c'est à lui qu'elle le doit, et à son édit de Romorantin, qui, cependant, indisposa tous les partis contre lui.

Voici, dans le dernier historien de la Sorbonne, des paroles qui confirment mon opinion sur ce corps :

« Dans ses rapports avec le gouverne

ment et avec le peuple, la Sorbonne s'est efforcée d'identifier la superstition avec la religion, de rendre ainsi la religion moins belle en la rendant moins simple, moins pure en surchargeant son culte de trop d'ornements, et dangereuse en la rendant intolérante et persécutrice.

« La religion n'a fait que du bien aux hommes en les consolant dans leurs malheurs, en leur prêchant la paix, la concorde, la justice et le culte des lois. La théologie ne leur a fait que du mal en les égarant par des disputes, en les rendant fous, furieux, intolérants et barbares, en leur mettant un poignard à la main après leur avoir mis un bandeau sur les yeux. » (Duveriez, préface, p. 8 et 9.)

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M. Auguste Savagner: Il est certain que la théologie ne fut pas créée par Abeilard; on me permettra de reculer son origine jusqu'au IVe siècle. Dans toutes les écoles attachées aux cathédrales, la théologie était enseignée, non pas comme science accessoire, mais comme maîtresse science, d'où naîtra plus tard la scholastique proprement dite, dont le plus grand représentant est Saint Thomas. On n'a pas assez distingué la Sorbonne de l'Université. Quand on parle du rôle de quelques docteurs dans les querelles des ducs d'Orléans et de Bourgogne, la faculté de théologie y figure comme les autres parties de l'Université, mais pas pour son propre compte. La Sorbonne ne s'établit comme corps souverain qu'à l'époque où commencèrent les querelles religieuses. Sa première influence se fit sentir lorsqu'elle sanctionna en principe un divorce que le bon sens d'un peuple ne devait pas regarder comme valable celui d'Henri VIII et de Catherine d'Ara

gon. On n'a pas non plus signalé, et sa tendance à s'appuyer sur la loi judaïque, et l'application qu'elle en a faite à la société, et le droit divin qu'elle a fait revivre pour en cuirasser la monarchie et pour exercer elle-même une domination tyrannique sur les rois. Dès lors, la Sorbonne a pu se constituer juge, non plus des rapports civils, privés des hommes, mais des rapports des souverains eux-mêmes; dès lors elle a pu tout sanctionner jusqu'au régicide. Son influence sur les sciences a été non seulement rétrograde, mais extinctive. Elle a persécuté les imprimeurs, elle a estrapade les gens de lettres. Si l'inquisition romaine enferme Galilée, la Sorbonne française brûle tout ce qui lui déplaît, livres et hommes. Son plus grand, son plus funeste rôle fut au XVIe siècle; les querelles religieuses tombèrent et n'aboutirent qu'à la bulle Unigenitus.

A propos de saint Louis, on a dit qu'il aurait pu transporter en Afrique la civilisation française; mais, il ne faut pas l'oublier, à cette époque l'Afrique était beaucoup plus civilisée que la France; nous aurions pu profiter des lumières des Arabes, mais non leur apporter les nôtres. On a dit que la satire Méuippée prônait la légitimité; mais quel besoin en avait-on ? La succession par enfant mâle n'était-elle pas alors très-solidement établie? Ce qu'il aurait fallu dire, c'est que ce livre constate un progrès dans la langue et dans les idées. En résumé, la Sorbonne n'a exercé aucune influence bienfaisante ni dans son principe, ni dans son milieu, ni au fort de sa puissance; et le plus grand service qu'elle ait rendu, c'est de cesser d'exister.

M. Alph. Fresse-Montval: Je n'ai pas

dit qu'à l'époque de l'expédition de saint Louis en Afrique, ce pays ne fût pas civilisé, plus même que la France, si l'on entend par civilisation un plus grand développement intellectuel; mais ce n'était pas, on me l'accordera, je pense, le développement civilisateur du christianisme. Quant à la Sorbonne, on a mis sur le comp:e du corps les crimes des individus qui en faisaient partie. Cette question était immense; M. Émile Lambert a eu trèsgrand tort de la traiter ex abrupto, au pied levé. C'était matière à longues et profondes méditations. Je me propose d'y revenir et de la traiter in extenso au prochain congrès.

M. Félix Labbé : On a dit que Socrate n'avait pas fait de théologie, mais lisez donc aussi Platon et Xénophon, méditezles, mettez en regard des paroles de Socrate la substance de celles du Christ; et vous verrez si Socrate et Platon n'étaient pas théologiens.

M. Emile Lambert: On a prétendu qu'Abeilard n'était pas le fondateur de la théologie, je suis de cet avis, si l'on entend par théologie les disputes des docteurs; mais la véritable théologie française, la véritable science du theos, la véritable étude de Dieu date d'Abeilard. On a dit avec raison que la Sorbonne avait d'abord chassé les imprimeurs comme des magiciens; mais on a oublié de dire qu'éclairée par la volonté de Louis XI, trois de ses membres furent les premiers imprimeurs de France. Je nie que la Sorbonne ait été bienveillante à son origine, car elle a fait brûler Jeanne d'Ivion et Jeanne d'Arc; et l'on connaît ses excès sous Charles VI. J'ai soutenu que la Sor

bonne était morte, non pas physiquement, mais sous le rapport intellectuel; car le peu de philosophie allemande importée chez nous est désavouée maintenant par elle. Sa littérature est à peu près nulle. En politique, elle n'exerce pas la moindre influence. En histoire, le système providentiel présenté par MM. Guizot et Cousin ravit à l'homme sa liberté, par conséquent sa vertu. Comme ils ne sont pas dans la voie du progrès, ils ne peuvent dire qu'ils ont fait marcher les études historiques.

L'Académie a détrôné la Sorbonne le jour où elle a couronné l'éloge de Fénélon par La Harpe, censuré par la Sorbonne; et 89 lui a porté le dernier coup. M. Alph. Fresse-Montval a dit que la révélation faite à Adam avait donné naissance à la théologie. Je ne me suis pas appuyé sur ce fait ; je crois plutôt aux inspirations de l'homme; c'est ainsi que Socrate et Flaton furent théologiens à leur manière. Quant à la prétendue réhabilitation de Louis XI, je ne l'admets pas: on a beau jeter la robe du catholicisme sur ses infamies, on n'empêchera pas l'œil clairvoyant de les découvrir. On a défendu la physique de la Bible; je ne ferai qu'invoquer le soleil de Josué, qui marchait, tandis que le nôtre est immobile. Je erois, pour ma part, que nous avons fait bien des pas depuis Moïse.

Quant à la satire Ménippée, c'était une protestation des hommes de lettres contre les étrangers et contre les infamies que l'on commettait alors; elle sera toujours pour nous un document politique et littéraire de la plus haute importance. M. Dufey m'a accusé d'avoir dit que Saint Bernard avait proclamé la liberté de conscience; je désavoue cette parole, c'est

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