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mes, en adoptant les conséquences de l'abolition de la peine de mort, ont sans doute des moyens de prévenir, de combattre, de punir le crime; car avec nos codes, et notre régime pénitentiaire, et notre éducation domestique, et nos tendances, je crois l'abolition de la peine de mort impossible. Elle est malheureusement une nécessité de notre époque, comme les perturbations sont une nécessité de nos prétentions élevées vers un meilleur état de civilisation.

Il est très peu d'hommes, parmi nos écrivains les plus célèbres, nos penseurs les plus profonds, qui ne regardent la peine de mort comme utile chaque fois qu'elle est amenée par un jugement explicite d'un crime consommé. La société, Messieurs, a toujours demandé la punition du criminel. Cette sollicitude d'un être complexe est un des plus grands bienfaits de son organisation symbolique. Mais, d'un autre côté, tout ce qui se rattache à l'humanité dans le cœur, les sentiments religieux, les affections personnelles, l'espoir dans la puissance du repentir, la conscience éclairée par la religion, exhortent sans cesse les gouvernements à changer l'exécution capitale en une détention, ou perpétuelle, ou à terme, selon la marche rétrograde du condamné vers de meilleures mœurs.

De temps immémorial, dans toutes les sociétés, la peine de mort a été infligée à l'homicide. La législation de toutes les nations l'a maintenue comme épouvantail du crime. Presque tous les peuples anciens, dans leur pacte social, se sont arrogés le droit imprescriptible de punir de mort l'assassinat, l'empoisonnement, l'incendie, et chez quelques nations le viol et l'adultère. L'intérêt de la société cons

tituée, celui de la famille, demandaient pour leur propre sûreté, et comme garantie solennelle de leur existence, que celui qui se rendait à leur égard coupable d'un acte aussi préjudiciable, aussi antisocial, fût puni sévèrement; car, Messieurs, regardons comme une vérité aujourd'hui bien démontrée, que généralement il n'est pas un homme qui, avant d'être criminel, ne sache fort bien qu'en commettant un assassinat il encourt la peine de mort; c'est donc sciemment qu'il agit; c'est presque toujours volontairement qu'il devient criminel; aussi attend-il l'ombre de la nuit, aussi choisitil les lieux les plus isolés pour commettre son forfait, tant il craint le témoignage et la lumière du ciel. C'est que le sentiment de sa propre conservation doit naturellement prononcer sa sentence; c'est qu'il sait que chaque homme tient autant à sa vie que lui-même tient à la sienne.

Ainsi, Messieurs, le droit de punir de mort dérive de la nature, du droit que possède chaque individu de mettre à couvert sa propre vie. Ce fut d'abord un droit personnel, puis un droit de la famille, du père, du chef. A mesure que plusieurs familles s'agglomérèrent et formèrent un corps de nation, ce droit fut celui de tous. Et s'il n'a pu être exercé par tous les membres de la société, il l'est du moins par des délégués chargés de la sûreté générale, d'après le pacte de famille. L'investiture de ce droit a été réglée et subordonnée aux intentions de chacun, exprimées dans le code fondamental.

Il n'est pas donné par la nature ce droit que vous invoquez, s'écrie-t-on. Vous n'en avez aucun sur votre propre vie,

donc vous ne pouvez en avoir sur celle d'autrui.

Ceci est très vrai, Messieurs; mais comme je vous l'ai déjà dit, le droit que m'a donné la nature, Dieu, de veiller à la sûreté de ma vie, m'a donné aussi la force et la volonté de repousser toute tentative de meurtre sur ma personne. Or, lorsque un criminel a déjà attenté à la vie d'un ou de plusieurs individus; lorsque sa force physique, son audace, son caractère meurtrier le rendent capable de multiplier ses crimes, il y va de mon intérêt individuel et de celui de la société, d'exercer un droit de répression imposé par la nécessité.

Les philosophes, les chrétiens de bonne foi qui réclament l'abolition de la peine de mort ne voient fort souvent que le criminel, et ne songent pas assez à l'intérêt de la société. Ils demandent et provoquent des réformes salutaires, toujours par compassion pour le coupable; et cependant ces réformes ne peuvent avoir lieu qu'au tant que chaque famille y trouvera sûreté et garantie. Si ces réformes ne peuvent satisfaire à ces deux besoins; si elles relâchent la sévérité de la justice; si le crime, non assez sévèrement puni et réprimé, marche tête levée, n'est-il pas à craindre que chacun de nous ne cherche en soi les moyens de se venger, et qu'une série de vengeances particulières n'amène de tristes et funestes résultats? Car, Messieurs, la vengeance est née au cœur de l'homme. C'est son empire; elle y exerce un pouvoir absolu. Il faut toute la force d'une éducation premiere et toute la crainte des lois pour nous empêcher d'y céder.

Il est à craindre aussi, comme le remarque Montesquieu, que dans une société depuis longtemps établie, des lois

très sévères, des lois draconiennes, loin d'être répressives, ne deviennent insuflisantes par suite de leur extrême sévérité. Ce grand écrivain en donne plusieurs exemples notables. Alors on tombe dans l'abus; l'abus se constitue un droit ; et le sang se répand pour l'amour de l'ordre et de l'humanité. Les mœurs, les usages, jusqu'à l'éducation, tout s'empreint de la servitude apportée par l'abus. C'est ainsi que naguère, sous le gouvernement du cimeterre turc, l'homme, ou plutôt l'esclave, tendait le cou sans murmurer; et sa tête tombait et roulait à la moindre faute réputée crime par l'abus de la peine de mort.

Mais il y a une nécessité morale, qui veut que le crime soit puni, non pour racheter le crime lui-même, non pour offrir une holocauste à la victime, pour apaiser ses mânes, mais pour intimider tous ceux qui seraient tentés d'imiter le malfaiteur. Et l'on peut avancer hardiment que l'homicide se multiplierait si l'on abolissait aujourd'hui la peine de mort; elle est un besoin de l'époque. Mais elle ne peut devenir répressive de la pensée même du crime; elle caractérise une époque comme toutes les sensations populaires. Le peuple lui-même, moins avisé que les philanthropes, serait tout-à-coup fort étonné que l'on pût assassiner sans payer de la vic le crime commis. Toutes les abstractions, tous les beaux sentiments humains, développés aujourd'hui sous ses yeux, auraient bien de la peine à refaire son jugement sur cette matière.

Maintenant, Messieurs, on peut se demander: Que pourrait-on substituer à la peine de mort? La honte, l'infamie, les bagnes, la prison perpétuelle? Ce ne serait pas pour tous les hommes des puni

tions exemplaires. Il en est, et c'est le plus petit nombre, qui préfèrent la mort aux douleurs de leur conscience. D'autres s'habitueraient à être séquestrés du monde, et chercheraient en eux ou dans un travail manuel des jouissances réelles. D'autres encore ne s'occuperaient qu'à se procurer les moyens de se soustraire à leur captivité. Hiènes insatiables, il en est qui ne rêvent que sang. Les plus fortes têtes comme les cerveaux les plus exigus s'accommoderaient fort bien d'un régime qui leur laisserait la vie sauve pour prix d'un meurtre souvent prémédité et accompli de sang-froid. Ainsi, je crois que sans la crainte de la mort il serait difficile de se garantir de la menace et du poignard d'un assassin.

Ensuite, Messieurs, chacun de nous envisage la peine de mort sous un aspect différent. Il y a des peuples qui ont des usages, des préjugés et certaines opinions religieuses qui leur inspirent le dégoût de la vie et le mépris de la mort; mourir n'est donc pas chez eux une chose dont nous devions les plaindre. Il en est de même de plusieurs criminels qui marchent au supplice avec autant de résolution que d'insouciance. Ils voient la fin de leurs maux avec celle de leur vie. Il faut donc s'apitoyer sur les funestes erreurs qui les dominent, plutôt que sur la perte d'une chose qui les touche aussi peu.

Je vous donne ici, Messieurs, mon opinion comme membre du corps social, comme protégé du gouvernement, des lois et de la justice humaine, comme agrégé à la grande famille qui a ses mœurs, ses usages, ses préjugés, que moi, faible créature, ne peux ni changer, ni éluder. Il faut que je me soumette à toutes leurs conséquences. Mais ma pen

sée, seul bien que les hommes et les lois ne peuvent me ravir, m'élève au-dessus de ces conséquences sociales; mon âme me révèle des situations heureuses auxquelles l'humanité pourrait parvenir, si toujours le mal ne l'emportait pas sur le bien. En examinant raisonnablement et froidement la marche des événements moraux, le caractère des nations modernes et l'insuffisance d'une rigide pénalité quand il s'agit de diminuer le nombre des criminels, je sens qu'il faut, ou que l'homme soit d'une nature incorrigible, et qu'alors il est inutile de l'améliorer en diminuant la rigueur de la loi, ou que la voie que l'on a suivie jusqu'à présent soit la plus mauvaise. Eh bien, Messieurs, je crois, et vous partagerez mon opinion, que toute la vie d'un homme est dans son éducation. Il ne faut pas croire qu'il soit nécessaire de mener les enfants voir une exécution ca

pitale pour leur inspirer l'horreur du crime; ce sentiment découlera naturellement de l'amour du bien et des vertus que nous enseigne le christianisme. Chez un peuple vertueux, ami des lois et de la justice, où chacun se respectera et s'aidera dans les affaires de la vie, la peine de mort pourra être abolie. Tout le monde connait ce grand législateur de l'antiquité qui ne créa aucune peine pour le parricide, ne pouvant croire à un pareil attentat. Cet homme jugeait l'humanité selon son cœur et d'après un plan d'éducation arrêté. Rome n'eut point de loi contre le parricide avant l'an 652 de sa fondation. Ce fut à l'occasion d'un certain Publicius Malleolus, qui avait tué sa mère, qu'il fut décidé que les parricides seraient désormais cousus dans un sac de cuir de boeuf et jetés à l'eau. C'est que l'austérité républicaine et la crainte des

dieux assujettissaient les Romains aux premiers devoirs de la natnre.

Je le sens, moi aussi, Messieurs, c'est une opinion grande, généreuse, que celle qui conteste à la société ce droit de punir de mort un de ses membres ! Mais si nous cédions toujours à toutes les inspirations de notre cœur, si nous portions tous dans nos relations sociales le fraternel amour que nous enseigne l'Évangile, si nous avions tous le sentiment d'humanité qu'il donne pour exemple, la peine de mort tomberait devant de telles vertus. Malheureusement nous sommes encore si éloignés d'une telle perfection! Malheureusement le nombre des criminels est encore si grand! Malheureusement nos vices, notre tendance à une démoralisation plus grande encore sont si flagrants, que nous ne pouvons, sans danger, enlever de nos codes cette garantie contre le plus grand des crimes.

Oh! certainement ce serait la plus grande des nations celle qui cesserait de donner cet exemple du sang répandu en expiation du sang répandu! Ce serait un grand peuple celui chez lequel la mort ne serait plus rachetée par la mort! où les mœurs deviendraient une garantie sublime pour le bien public! Ce serait un grand homme, tel que les siècles n'en ont pas encore vu, le législateur qui parvien drait, non à abolir subitement le supplice qui tue, mais à en prévenir la peine, à la rendre inapplicable en préparant l'homme à considérer la vie d'autrui comme la sienne par une éducation religieuse et sociale, en l'initiant dans les besoins de toute société qui veut se maintenir pure et forte.

Je sens, Messieurs, qu'il faut toute la puissance de la raison pour me faire par

tager l'opinion de ceux qui soutiennent que la peine de mort est nécessaire au maintien et à la stabilité de nos institutions sociales. Il m'est pénible d'avoir à confesser une pareille nécessité; mais, Messieurs, il en est d'aue société, d'un gouvernement, comme d'un père de famille qui croit ramener par des traitements rigoureux un fils dont la mauvaise conduite est le fruit d'une mauvaise éducation. Plus les peines seront rigoureuses moins on doit en attendre de bons effets. C'est une conséquence de notre organisation rétive contre tout ce qui ne porte pas un cachet divin. L'homme ne reconnait point à l'homme, quel que soit le titre dont la vanité l'ait couronné, le droit de censurer ses actions, de les soumettre à une règle uniforme de conduite, s'il n'y voit cette haute prévision divine qui fixe notre attention et attire notre respect. C'est vainement que l'on dira que sa volonté est enchaînée par le pacte social, qu'il est obligé de se soumettre aux lois constitutives de la société à laquelle il appartient. Il répondra qu'il est là-haut une justice suprême devant laquelle les autres ne sont rien, si elles ne se sont d'abord prosternées devant elle. Le sentiment religieux nous la révèle : quiconque est privé de ce sentiment ne peut la comprendre et est forcé d'errer.

Oui, Messieurs, lorsque retentissent les détails d'un assassinat commis par un misérable sans remords et endurci au crime, ma raison s'écrie qu'il faut, pour notre intérêt à tous, mettre cet homme hors d'état de nuire désormais, qu'il est nécessaire qu'il porte la peine due à son forfait, que l'arrêt qui le condamne soit publié partout et suspende, s'il est possible, la main d'un autre criminel prêt à

frapper. Mais je sens aussi, Messieurs, que cet homme vivant que la tombe réclame, jugé, condamné, dont les jours, les instants de vie sont calculés avec une froide et impassible indifférence, qui sent la mort passer sa main de glace sur son front brûlant, geler ses larmes et éteindre ses derniers soupirs, est bien digne de pitié!! La raison alors doit faire place à des sentiments non moins élevés. Au moment fatal de l'exécution nous ne songeons plus au danger que notre existence pourrait courir si on lui laissait la vie sauve; et, je le dis à la gloire de notre nation, à la gloire du christianisme, dans ce moment terrible, si l'on consultait les spectateurs rassemblés autour de l'échafaud, il n'en est peut-être pas un qui ne fit entendre le cri de grâce.

Mais, Messieurs, combien sont encore plus dignes de votre pitié, plus faits pour exciter notre émotion, notre sensibilité, ces hommes victimes, ou plutôt martyrs d'opinions politiques et religieuses! Que d'exemples nombreux nous offrent les annales de toutes les nations, de Socrate à nos jours! Vaincus, ils cèdent à la force. Leur conscience est pure; leur cœur est sans faiblesse ; leur âme est exaltée; ils ont toujours la ferme persuasion que l'erreur est dans le parti contraire à leur conviction, et voilà leur crime! Ils sont donc plus à plaindre qu'à blamer. Et puis, il en est de trop nombreux exemples, le temps peut amener un bouleversement, et ces homines, proclamés d'abord criminels, deviennent des héros. Ils inspirent, par la noblesse et la fermeté de leur caractère, une vénération d'autant plus grande, qu'ils ont été persécutés, qu'ils ont souffert de l'abus d'une législation barbare; et le sombre et solennel écha

faud devient pour eux plus qu'un trône!! Voilà, Messieurs, quelle est mon opinion sur la peine de mort. Comme membre du corps social, de la famille, je trouve que son abolition est intempestive, parce que la société n'est pas encore arrivée au degré de sagesse nécessaire à cette suppression. Otez-la de nos codes, brùlez les échafauds, vous ferez bien, vous obéirez à un sentiment d'humanité digne de nos applaudissements; car vous aurez grandi dans votre estime, dans la croyance au progrès humanitaire; mais qui vous dit que vous serez compris des masses? Avezvous, en abolissant la peine, fait disparaitre l'occasion du crime? Avez-vous, par une éducation solide, élevé la pensée populaire à la conception de la fraternité humaine? Avez-vous semé la parole évangélique ailleurs que sur des rochers et dans un champ d'épines? Non. Eh bien, vous n'avez rien fait. La peine de mort est encore nécessaire.

Maintenant, Messieurs, c'est comme homme que je vous parle, comme chrétien, nourri de l'espoir d'un monde meilleur, fort de la portion de sagesse dont la Divinité nous a fait don, persuadé que l'homme est sujet à errer, que le but de la loi doit être de nous rendre bons, de nous ramener dans la bonne voie et de prévenir de nouveaux écarts. Eh bien! je désire, moi aussi, l'abolition de la peine de mort. Le christianisme la demande, le christianisme l'attend, et, un jour, triomphant des passions haineuses qui tourmentent la société, renversant dans la boue les instruments de notre abjection, anéantissant pour jamais l'œuvre du mensonge et de la vanité, il accomplira sa mission céleste. Mais, en attendant ces jours fortunés, avant de nous

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