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saire de la comprendre, et qu'il ne peut la comprendre s'il n'a pas l'idée de vertu. Prétendre que les hommes font naturellement la distinction du bien et du mal, ce ́n'est pas affirmer qu'ils agissent tous et toujours en vertu de cette distinction. Le jugement n'entraîne pas la conduite, et nous ne nous occupons ici que des jugements.

Nous pensons donc qu'une faculté particulière de notre esprit est chargée de nous donner le modèle de notre conduite. Ce modèle décrit depuis longtemps par Socrate a pour traits généraux la prédominance de l'esprit sur le corps, la justice et la générosité. La justice est de ne nuire à personne et de servir ses proches; elle est une obligation. Au-dessus d'elle est la générosité inobligatoire, dont le mérite est par conséquent plus relevé. La conception, je ne dirai pas l'exécution de ce modéle, se trouve à toutes les époques de l'histoire, même chez les sauvages, qui chantent au milieu des supplices leur chanson de mort, et chez les tribus féroces, où pour soustraire les vieillards, soit aux mains de l'ennemi vainqueur, soit aux souffrances d'une lente agonie, les fils égorgent leurs vieux parents. Avec de la sagacité et de la bonne foi on reconnaîtra toujours comment les circonstances extérieures peuvent voiler ou découvrir une partie des conceptions morales, et comment le fond reste le même sous toutes les variations de la forme.

$ 2. Confusion de la faculté morale avec la bienveillance.

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Hutcheson et Reid ont versé à pleines mains la lu

mière sur la conscience morale, et ils l'ont très-nettement distinguée de la bienveillance et du sentiment religieux. Le docteur Gall a écrit une excellente page sur la distinction du sens moral et du sentiment religieux (1), mais comme il s'était contenté de la lecture de Ferguson, sans puiser aux sources plus pures et plus abondantes, ouvertes par Hutcheson et Reid, il a considéré le sens moral comme le degré inférieur de la bienveillance. La différence est ici de nature et non de degré. Je n'ai pas besoin de donner une longue démonstration à ce sujet, car le docteur Gall, dans le trésor de sès contradictions, ne manquera pas de me fournir plus d'un aveu à l'appui de la distinction que je veux établir: il dit d'une part « Entre le sens moral et la bienveillance la diffé» rence est du plus au moins; les personnes les plus mo>> rales ont toujours été remarquables par un grand fond >> de bienveillance (2). » Et de l'autre, il écrit : «< Dans >> les actes de pur devoir, l'homme n'est ému par aucun >> sentiment vif ou exalté; c'est pourquoi souvent des >> hommes tout en oubliant leur devoir et les actes les » plus ordinaires de justice font preuve de la plus noble >> bienveillance, lorsque des événements malheureux ont » éveillé leur sensibilité (3). » La conscience qui ordonne et prescrit certains actes est donc autre chose que la sensibilité, qui s'émeut à la vue du malheur. La première produit un jugement, la seconde un sentiment. Si la bienveillance était le degré supérieur du sens moral, tout homme bienveillant serait juste, personne ne pratiquerait

(1) Anatomie, t. 4, p. 257. (2) T. 4, p. 209.

(3) Ibid., p. 208.

la bienveillance en violant la justice. Gall écrit encore : <«<Lorsque la bienveillance donne trop de latitude à la » méchanceté, et que celle-ci s'enhardit par l'indul» gence, le sentiment du juste reprend ses droits : il >> n'est pas juste que la bonté devienne le jouet de l'en» vie, de la malignité et de l'ingratitude (1). » Le docteur nous montre ici le sens moral et la bienveillance en contradiction l'un avec l'autre ; ils ne sont donc pas les degrés divers d'une seule et même faculté. Enfin, il ajoute pour prouver que les animaux ont une bienfaisance active: << Des chiens se jettent à l'eau pour sauver ceux qui >>se noient.... ils assaillent avec fureur des assassins.... >> il ne serait même pas difficile de prouver que plusieurs >> espèces d'animaux sont pourvus jusqu'à un certain de» gré d'un sens moral, d'un sentiment du juste et de l'in» juste (2). » Plus haut, la bienveillance était le degré supérieur du sens moral, ici le sens moral est le degré supérieur de la bienveillance. Le docteur Gall a donc démontré lui-même la différence de nature qui existe entre le sens moral et la bienveillance : « Le sens moral, >> a-t-il dit, se renferme dans les choses de première né>> cessité. Le but de la bienveillance quoique moins né→ >> cessaire est beaucoup plus élevé le juste ne fait que >> son devoir, ses actes ne sont point méritoires (3). » Voilà le sens moral sans la bienveillance; ces hommes dont parle le docteur, qui « tout en oubliant leur devoir » et les actes les plus ordinaires de justice, font preuve. » de la plus noble bienveillance (4), » nous montrent

(1) T. 4, p. 208.
(2) T. 4, p. 224.
(3) Ibid., 207-208.
(4) Ibid., p. 208.

la bienveillance séparée du sens moral: il est done impossible de ne voir ici que les nuances d'une seule et même faculté.

§ 3. Théorie phrénologique sur la faculté morale.

Spurzheim a senti les contradictions de son maître, et il a fait deux facultés du sens moral et de la bienveillance; mais il a laissé planer sur la première les ténèbres que Gall y avait amassées. Les notions du sens moral, comme nous l'avons dit, peuvent se résumer ainsi : 1°tempérance, courage, prédominance de l'esprit sur le corps: morale individuelle; 2° ne nuire à personne et servir ses proches : justice obligatoire, première partie de la morale sociale; 3° servir tous les hommes: générosité, dévouement, deuxième partie de la morale sociale. Ce sont là des prescriptions précises, claires, fécondes, à l'aide desquelles on peut écrire les codes de toutes les nations. Gall, au contraire, fait du sens moral une sorte de cachet dont nous pouvons arbitrairement marquer telle ou telle action. «Quand >>> il est convenu que telle chose est bonne ou mauvaise, >> juste ou injuste, le sens moral devient le régulateur de » nos actions (1). » Mais quelle lumière indique que telle action est juste ou injuste, si ce n'est pas le sens moral? Dès que vous pouvez convenir de la justice et de l'injustice, sans le secours du sens moral, vous n'avez pas besoin de lui pour régulariser vos actions. «Le sens moral n'est >> pas le principe d'un acte déterminé, il est le principe

(1) T. 4, p. 206.

» du devoir en général ; la faim peut être satisfaite par mille >> aliments différents (1). » La faim n'en indique pas moins le choix d'un ou de plusieurs alimens déterminés; if ne vous est pas loisible de convenir que telle et telle chose sera un aliment, et de le faire consacrer comme tel par la faim; votre comparaison tourne donc contre vous. La faim vous prescrit tels et tels aliments, et le sens moral vous prescrit tels et tels actes déterminés par lui-même; vous l'avez senti, lorsque vous dites plus loin : « A tra>> vers l'instabilité des opinions, il y a une infinité de >> choses qui sont généralement reconnues comme justes, » ou injustes, et qui, même avant la naissance des lois, >> impriment à la morale un caractère uniforme et im>> muable (2). »

Spurzheim dit aussi comme son maître : « Le senti>> ment du juste ne détermine pas la justice; ce senti>>> ment se combine avec les autres facultés, et fait envi>> sager leurs actions comme des devoirs; voilà pourquoi >> la justice de l'un n'est pas la justice de l'autre ; si le >> sentiment du juste s'unit en nous à la bienveillance, >> notre justice ne sera pas la même que s'il s'unit à l'a>> mour de la propriété (3). »

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Cela veut dire que, dans le premier cas, nous regarderons la bienveillance comme obligatoire, et que dans l'autre nous donnerons le caractère de l'obligation à l'amour de la propriété. «En effet, continue l'auteur, il y a une >> conscience. absolue ou générale, et une conscience rela>>tive ou individuelle ; la première se forme par la com» binaison du sentiment de la justice avec les facultés

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