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Certains animaux nous font peur sans raison et même malgré la raison. Tel, au sortir d'une leçon d'histoire naturelle où on lui aura démontré la propreté extrême et la parfaite innocence des araignées de nos climats, s'il trouve une araignée grosse et velue étalée sur sa porte, n'osera pas la faire tomber du doigt, et un intrépide général, après le gain d'une victoire, n'aura pas toujours le courage de dormir sous sa tente dans la compagnie d'un crapaud. Lorsque le naturaliste nous a fait savoir que la couleuvre est innocente, il nous faut encore bien des efforts pour surmonter notre premier mouvement de crainte à l'aspect de ce corps sinueux et luisant qui se roule et glisse dans l'herbe. Aussi voyons-nous le dragon, monstre composé du serpent et du crapaud, figurer dans toutes les traditions poétiques ou populaires, comme redoutable gardien de trésors ou ennemi naturel du genre humain.

Le sentiment que ces objets nous inspirent à priori, sans raisonnement, est du même genre que la peur instinctive des animaux à la première vue de leur ennemi, avant qu'ils en aient reçu l'attaque. L'agneau frémit et prend la fuite au premier aspect du loup. L'oiseau de basse-cour tremble de toutes ses plumes, lorsque dans les airs se marque un point noir dans lequel il a devinė l'oiseau de proie. Un phénomène remarquable signalé par les naturalistes et qui semble indiquer que l'homme est prédestiné à jouer le premier rôle sur cette terre, c'est que les animaux les plus féroces fuient en sa présence, à moins qu'ils ne soient pressés par la faim, et que cet autre principe de leur nature ne paralyse le premier.

Ces appréhensions agissant sur la force motrice dis

CRITIQUE DE LA FACULTÉ De circonspectION.

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posent naturellement notre corps à la fuite, et une partie du courage consiste à combattre le mouvement naturel de préservation, à redresser le corps et à le tenir ferme et fixe devant les ennemis imaginaires comme devant les véritables ennemis.

$ 15. Critique de la faculté de circonspection.

Ces appréhensions se distinguent très-nettement de la crainte inductive ou de la prudence raisonnée, en ce qu'elles s'appliquent d'avance à certains objets déterminés, comme l'odorat est choqué naturellement de certaines odeurs, tandis que la crainte inductive se prend indistinctement à tous les objets que l'expérience a montrés dangereux. La phrénologie ne me paraît pas avoir bien saisi ce principe instinctif de la constitution humaine. Le docteur Gall traite d'une circonspection gẻnérale dans laquelle se trouvent confondus les effrois instinctifs et les appréhensions raisonnées. « Il était néces»saire, dit-il, que l'animal et l'homme fussent doués d'une >> faculté pour prévoir certains événements, pressentir >> certaines circonstances, se prémunir contre les dangers. >> Les personnes imprévoyantes ne vivent que dans le » présent et font des entreprises hasardeuses. Dans l'obs>>curité elles se heurtent contre une table, brisent la >> vaisselle pour ne l'avoir pas rangée, négligent d'entou>> rer les bassins d'une balustrade, perdent les sommes » qu'elles ont prêtées, courent à cheval sur un pavé >> glissant, mettent le feu par imprévoyance (1). » Il n'y

(1) Anat., t. 3, p. 332.

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a rien de commun entre l'effroi irréfléchi qui nous saisit malgré nous à l'aspect d'une couleuvre ou d'une insecte ailé souvent inoffensif et la crainte raisonnée, judicieuse, expérimentale, si je puis ainsi parler, qui nous empêche d'approcher la lumière des rideaux, de lancer un cheval sur un pavé glissant, de prêter notre argent sans garantie, et de laisser jouer des enfants sur les bords d'un bassin sans balustrade. Cette crainte sage vient de l'induction; la crainte instinctive n'en vient pas; la première est à posteriori, elle est instruite par le passé, et elle change d'objets suivant l'expérience; la seconde est à priori, elle anticipe sur l'avenir, et ses objets sont constants. Gall l'a dit lui-même : « la circonspection est le >> haut degré d'une faculté dont le degré commun est l'in» duction (1). » Or, comme il attribue l'induction à l'ensemble des organes placés dans la région antérieure et supérieure du cerveau (2), il ne devait pas en détacher la circonspection, pour la rapporter à une circonvolution des lobes moyens. « C'est la circonspection, dit-il, en>> core qui porte l'outarde, l'oie sauvage, le linot, l'é>> tourneau, le singe à placer des sentinelles (3). » Si ces animaux placent des sentinelles après avoir été surpris une première fois, ils font un acte d'induction; si au contraire ils naissent avec l'idée d'un mal qui les menace et qu'ils soient instinctivement poussés à placer des gardes, sans en avoir reconnu expérimentalement l'utilité, ils éprouvent alors une de ces appréhensions à priori dont l'objet est constant et qui n'a rien de commun

(1) Anat., t. 3, p. 21. (2) T. 4, p. 178.

(3) T. 3, p. 356.

avec l'induction; et le siège de cette émotion doit être en effet distinct de l'organe de l'induction. Gall nous paraît donc avoir confondu deux principes différents sous le nom de circonspection.

Spurzheim n'a pas, sur ce sujet, fixé les idées un peu vagues de son maître. Seulement il attribue à la circonspection le sentiment de la peur, que Gall rapportait au défaut de courage. « La peur, dit Spurzheim, est une >> émotion positive de l'âme et doit se fonder sur la pré» sence d'une faculté (1). » Mais encore une fois, il faut distinguer entre la peur irréfléchie et la peur raisonnée, comme le dit très-bien M. Fossati dans ses notes sur M. Combe: « La circonspection peut rendre l'homme >> indécis, irrésolu, méfiant, prudent; mais non peureux » de caractère. Lamarque, Foy, Napoléon, C. Périer » étaient très-circonspects, mais ils n'étaient pas peu>> reux. L'homme circonspect peut avoir peur, lorsqu'il >>> voit des forces supérieures et un danger imminent de>> vant lui; mais on ne peut pas dire pour cela qu'il soit >>> craintif. Les personnes qui manquent de circonspection >> ne sont pas pour cela les plus intrépides il y a des >> étourdis qui sont excessivement poltrons (2). »

M. Fossati distingue très-bien ici la crainte qui rẻsulte de l'induction et la peur irréfléchie. C'est la première qui mérite le nom de circonspection; mais elle est un résultat des facultés intellectuelles, et il est inutile d'en faire un sentiment spécial. La seconde est la seule qui constitue une affection instinctive, séparée de l'induction; mais ni Gall, ni M. Fossati n'ont accordé une

(1) Obs., p. 189.

(2) Nouv. manuel, p. 112.

attention suffisante à ce principe, qui est une émotion positive, comme le dit Spurzheim, qui agit sur l'induction, qui fait imaginer des périls et qui ne peut résulter du simple défaut d'activité d'une autre faculté.

5 16. Critique du sentiment de conservation.

M. Vimont a remarqué ces effrois instinctifs dont nous avons donné plusieurs exemples; mais il les attribue à l'amour de la vie ou au sentiment de notre conservation (1). Cependant on peut avoir peur à l'audition d'un bruit soudain, à l'aspect d'un objet inattendu, et comme il le dit encore : « trembler à la vue d'un cheval et sur » un édifice élevé, même entouré de parapets (2), » sans songer à l'idée de la mort, et sans, par conséquent, être. poussé par l'amour de la vie. « Je crois, dit l'auteur, >> que c'est au sentiment de conservation qu'il faut attri>> buer la crainte que manifestent les enfants lorsqu'ils >> sont abandonnés à eux-mêmes (3). » Les enfants manifestent leur appréhension de la solitude bien longtemps avant d'avoir l'idée du trépas, et par conséquent avant de le redouter. L'appréhension de la mort, comme nous allons essayer de le montrer, est un sentiment spécial, sui generis; elle fait partie des effrois instinctifs et ce n'est pas à elle qu'il faut rapporter les autres, elle est une espèce et non pas le genre.

Mais il ne serait peut-être question ici que d'une dis

(1) T. 2, p. 160. (2) Ibid., p. 551. (3) Ib., p. 603.

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