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disposition qu'ont naturellement tous les hommes à expliquer les phénomènes intellectuels et moraux par quelque analogie tirée du monde matériel; disposition presqu'irrésistible chez ceux qui commencent à se livrer à l'étude de la philosophie.

J'ai déjà fait remarquer cette habitude d'inattention, qui nous fait négliger les phénomènes dépendans de la conscience de nous-mêmes. Cette habitude s'est formée à l'époque de notre vie où nous étions nécessairement tout occupés à acquérir la connoissance des propriétés de la matière et des lois qui s'y rapportent. Familiarisés ainsi de bonne heure avec les phénomènes du monde matériel, nous les jugeons moins mystérieux que ceux de l'esprit et en conséquence, il nous semble que c'est faire quelque progrès dans l'explication de ceux-ci, que de saisir entr'eux et les précédens une sorte d'analogie. C'est pour cela que nous n'avons presqu'aucun langage propre pour exprimer ce qui a rapport à l'esprit, et que les termes consacrés à ses diverses opérations sont presqué tous empruntés des objets des sens. Cependant il ne faut qu'un peu de réflexion pour comprendre que, comme l'esprit et la

matière sont des sujets essentiellement dissincts, et que chacun d'eux est soumis à des lois qui lui sont propres ; les analogies, qu'il nous plaît d'imaginer entre eux, ne peuvent être d'aucun usage pour éclairer ou l'un ou l'autre en sorte qu'il n'est pas moins contraire aux règles de la saine philosophie de tenter l'explication de la perception, ou de l'association des idées, par certains principes mécaniques, qu'il ne le seroit d'expliquer les phénomènes de la gravitation, en supposant, comme faisoient quelques philosophes de l'antiquité, que les particules de la matière sont animées d'un certain principe de mouvement; ou encore d'expliquer les phénomènes chimiques des affinités, en supposant que les substances, chez lesquelles ces phénomènes se manifestent, sont douées de pensée et de volonté. L'analogie des phénomènes matériels ne peut dono être d'aucun usage dans les recherches que j'entreprends et qui feront le sujet de cet ouvrage. Au contraire, nous devons nous tenir soigneusement en garde contre la séduc tion des analogies de ce genre, puisque c'est l'une des principales sources d'erreurs dont nous ayons à redouter la pernicieuse influence,

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Dans le nombre des philosophes qui se sont occupés de l'esprit humain, il y en a trèspeu qui se soient constamment tenus en garde contre les théories analogiques. Il faut avouer néanmoins que, depuis la publication des écrits de Descartes, cette branche de la seience a fait des progrès graduels et en général a reçu un accroissement remarquable. Une preuve frappante de cette vérité est let contraste qu'offrent les spéculations métaphysiques des philosophes les plus éminens de l'Angleterre à la fin du dix-septième siècle, comparées à celles des philosophes actuels, quelqu'imparfaits que soient leurs systèmes. Y a-t-il aujourd'hui un écrivain qui se permît de présenter au public, sur l'esprit hu main, des assertions pareilles aux deux suivantes, dont l'une est de Locke et l'autre de Newton? « Les habitudes » dit Locke «pa> roissent n'être qu'une suite de mouvemens » dans les esprits animaux, qui, une fois ➤ agités, continuent de parcourir leurs traces > accoutumées ; traces, qu'un passage fré»quent a rendu plus douces et plus aisées. » Newton lui-même propose cette question sur la manière dont l'esprit a la perception des objets extérieurs. « Le sensorium des ani

» maux n'est-il pas le lieu où la substance » sentante est présente, et où les espèces >>. sensibles des choses sont portées, à travers >> les nerfs et le cerveau, afin qu'elles soient » perçues par l'esprit présent en ce lieu ? » Dans le cours des essais suivans, j'aurai occasion de citer plusieurs autres passages d'écrivains plus récens, dans lesquels on tente d'expliquer, par des principes analogues, d'autres phénomènes de l'esprit humain.

On ne peut s'empêcher de regretter que, depuis l'époque où les philosophes ont adopté un plan de recherche, plus raisonnable sur ces matières, ils aient été obligés d'employer beaucoup de tems à débarrasser le sol de la science des décombres dont leurs prédéces-. seurs l'avoient couverte. C'étoit sans doute un premier travail inévitable; l'état où la science étoit réduite, et les résultats auxquels on. étoit parvenu, en suivant une si mauvaise route, rendoient cette opération nécessaire.. En effet, quels que soient les avantages positifs que l'on peut se promettre de l'étude de cette science et de ses progrès futurs, ils ne sont point aussi essentiels au perfectionne-. ment et au bonheur de l'homme, qu'une. solide réfutation de cette philosophie scep

tique, qui s'attache à toute espèce de connoissance et de croyance, en l'attaquant par la racine. C'est cette réfutation qui paroît avoir été l'objet constant que le docteur Reid s'est proposé, dans toutes ses recherches métaphysiques. Ses travaux ont été dirigés vers ce but avec tant d'intelligence, de candeur et de persévérance, que si les sceptiques ne changent pas leur système d'attaque, il n'est pas probable que ce genre de controverse se renouvelle jamais. Les décombres sont enlevées, les fondemens ont été jetés, il est tems d'élever l'édifice. J'ai sans doute avancé bien peu ce grand et important travail; mais je me flatte que ce que j'ai fait suffira pour montrer l'importance de ce genre d'étude, et pour engager d'autres philosophes à s'y livrer avec ardeur.

Après les remarques que je viens de faire, le lecteur ne sera pas surpris de voir que j'ai évité à dessein de traiter les questions qui ont été débattues dans le cours du dix-huitième siècle, et qui sont devenues un sujet de controverse entre les philosophes sceptiques et leurs adversaires. Au vrai, ces questions n'ont aucune liaison nécessaire avec les recherches que j'entreprends. J'avoue qu'un

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