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Dans ce cas, l'impossibilité d'avoir, d'une manière distincte et isolée, la conception de la propriété que l'on considère dépend d'une association d'idées. Ce n'est pas toujours uniquement à cette cause qu'on doit l'imputer. Il y a des cas où nous pouvons raisonner sur certaines choses considérées séparément, qu'il nous seroit impossible, par la nature même de la chose, de concevoir à part. Par exemple, nous pouvons raisonner sur la longueur, abstraction faite des autres dimensions, quoiqu'il soit sans doute impossible à l'entendement de concevoir (1) la longueur sans quelque largeur. A cette occasion, je releverai en passant une erreur que les maîtres commettent quelquefois dans l'exposition des principes de la géométrie. En insistant trop sur les premières définitions d'Euclide, ils y laissent soupçonner quelque chose de mystérieux; et engagent leurs disciples à se consumer en vains efforts, pour concevoir ce qui n'est pas un objet de conception. Si ces définitions

(1) Concevoir, conception. Ces mots sont toujours pris ici au sens l'auteur au propre, déterminé par commencement du chapitre précédent, auquel le lecteur est prié de recourir au besoin. P. P. p.

étoient omises dans un premier enseignement, ou légèrement indiquées, en sorte que l'attention des disciples se portât toutà-coup sur la forme des raisonnemens géométriques; ils ne tarderoient pas à remarquer que, quoique dans les figures tracées les lignes aient deux dimensions, les démonstrations ne se rapportent qu'à une seule. Ils sentiroient d'eux-mêmes que l'entendement a la faculté de raisonner séparément sur des choses que nos sens et notre conception nous offrent constamment unies. De telles abstractions sont familières aux hommes les plus étrangers aux lettres; et c'est par un travail analogue à celui que je viens d'indiquer, que ces hommes parviennent à les former. Un artisan, qui parle de la longueur d'une chambre, par opposition à sa largeur; ou de la distance d'un objet à un autre; fait précisément la même abstraction que suppose la seconde définition d'Euclide; définition, que la plupart de ses commentateurs ont jugé nécessaire d'éclaircir par de longues discussions métaphysiques.

Je n'ai plus qu'un mot à ajouter sur la nature et l'objet de la faculté d'abstraire. Quoique cette faculté soit le fondement de

toute espèce de classification, elle auroit pu s'exercer, lors même que nous n'aurions. connu qu'un seul individu. Supposons, par exemple, que nous n'ayons jamais vu qu'une seule rose, nous aurions pu néanmoins ne faire attention qu'à sa couleur, sans penser à ses autres propriétés. Ceci a conduit quelques philosophes à penser, qu'outre l'abstraction il y avoit une autre faculté requise, pour la formation des genres et espèces; et ils ont donné à cette faculté le nom de généralisation (1). Ils se sont appliqués à montrer qu'à la vérité, il ne peut y avoir de généralisation sans abstraction; mais qu'il n'auroit pas été impossible que nous eussions été doués du pouvoir d'abstraire, sans l'être de celui de généraliser. L'objet de mes recherches n'exige pas que je m'occupe de cette question.

(1) Ou faculté de généraliser. P. P. p.

SECTION II

De l'objet de notre pensée, lorsque nous employons un terme général.

IL résulte de l'exposé que j'ai fait ci-dessus

des théories le plus communément reçues sur la perception, que la plupart des philosophes ont supposé certaines images ou espèces transmises à l'ame par les sens, au moyen desquelles nous avons la perception des qualités par lesquelles les objets extéricurs se manifestent à nous. J'ai tâché de faire voir que cette opinion est le résultat de quelques préjugés, suggérés naturellement par les phénomènes du monde matériel. La même suite de pensées a conduit ces philosophes à supposer que dans toutes les autres opérations de l'esprit, il y a certaines idées, distinctes de l'esprit lui-même, qui sont en lui; et que ce sont ces idées qu'il faut envisager comme les vrais objets de nos pensées. Lorsque je me rappelle la figure d'un ami absent, par exemple, on suppose que l'objet de ma pensée est l'idée de cet ami; que j'ai reçue par les sens et que j'ai retenue à

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l'aide de la mémoire. Lorsque, par un effort d'invention poétique, je forme une combinaison imaginaire, on suppose de même que les parties que je combine, existoient dans mon esprit, et ont fourni à l'imagination ses matériaux. Le Dr. Reid a le premier fait remarquer que toutes ces notions sont hypothétiques; qu'il est impossible de produire le moindre argument en leur faveur; enfin que lors même qu'on les admettroit comme vraies, elles ne contribueroient point à rendre les phénomènes de cette classe plus intelligibles. En conséquence des principes posés par ce philosophe, nous n'avons aucune raison de croire que dans aucune des opérations de l'esprit, il existe en lui un objet distinct de l'esprit lui-même. Toutes les expressions usitées, qui présentent cette supposition, doivent être envisagées comme de vaines circonlocutions, qui ne servent qu'à déguiser à nos yeux l'histoire réelle des phénomènes de l'intelligence (1).

(1) Pour prévenir toute équivoque sur l'opinion du Dr. Reid il sera à propos d'expliquer ici, un peu plus pleinement que je ne l'ai fait dans le texte, en quel sens il révoque en doute l'existence des idées.

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