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yeux, nous n'avons la conscience d'aucun effort de jugement, distinct du procédé de raisonnement. Mais, puisque tout travail géométrique peut être exprimé algébriquement; il est clair que la géométrie, comme l'algèbre, suppose un exercice des facultés intellectuelles, distinct du simple raisonnement. Seulement, dans la première de ces sciences, cet exercice est facilité par les figures; ce qui fait qu'il échappe à notre

attention.

La même cause d'erreur et d'absurdité qui a lieu dans l'algèbre, se retrouve en grande partie dans d'autres sciences. Je fais abstraction de toute ambiguité de langage. Je suppose que tous nos raisonnemens soient logiquement exacts. Et je dis, qu'il seroit encore nécessaire, dans le cours de nos spéculations, de mettre de tems en tems les mots de côté, et de recourir aux exemples, ou aux éclaircissemens particuliers, afin de corriger et de limiter nos conclusions générales. On pourroit, je crois, citer bien des erreurs et des absurdités spéculatives, qui ont pris cours dans le monde, faute d'avoir fait attention à cette règle.

Mais indépendamment de cette source

observations précédentes, me paroissent décider nettement la question relative à l'objet de notre pensée dans l'emploi des termes généraux. Car il résulte de ces observations que les mots, lors même qu'en les employant on n'a aucun égard à leur signification propre, sont un instrument de pensée qui suffit à toute espèce de raisonnement. Or, pour étayer la doctrine commune sur ce sujet, si l'on peut produire l'ombre d'un argument, c'est apparemment l'impossibilité d'expliquer autrement le procédé de la généralisation. Rien sans doute, que la conviction de cette prétendue impossibilité, n'a donner quelque faveur à une hypothèse, qui ne s'appuie sur aucune preuve directe, et que ses plus zélés partisans avouent offrir beaucoup de difficulté et de mystère. L'explication que nous avons donnée fait tomber ce foible et dernier étai.

pu

Mon plan ne me conduit pas à suivre, dans cette partie de mon ouvrage, les conséquences pratiques de la doctrine que je viens d'exposer. Je ne puis cependant laisser passer cette occasion de faire observer combien il est important de cultiver à la fois le talent d'éclaircir les vérités par des exemples,

et l'habitude de raisonner à l'aide des termes généraux. Le talent de donner des éclaircissemens n'est pas seulement nécessaire pour corriger et limiter les résultats généraux ; mais encore pour appliquer, lorsque l'occasion l'exige, les connoissances acquises à des usages réels et pratiques. L'habitude de raisonner par les termes généraux prévient, dans le cours du raisonnement, les distractions que pourroient occasionner des idées étrangères à la question. De plus, elle empêche l'attention de s'arrêter à des souvenirs d'objets ou d'événemens, qui éveillent des sentimens ou des idées associées à ces souvenirs, et peuvent ainsi troubler le jugement.

Cette dernière observation nous donne lieu de remarquer un des principaux principes de l'art de l'orateur. Le but de l'orateur est moins d'instruire et de convaincre l'entendement, que de persuader et d'entraîner l'assentiment de ceux qui l'écoutent. C'est pour cela qu'il lui est souvent utile de revêtir ses raisonnemens d'un langage figuré et particularisé. Par ce moyen, il excite chez ses auditeurs des associations d'idées favorables à son but; quelquefois même il oc

cupe

leur attention pour la détourner d'un examen trop rigoureux de certains argumens. Cette manière de présenter un raisonnement met à la fois en jeu le jugement, l'imagination et les passions. Aussi, lors même qu'il n'est pas très-concluant, il arrive souvent qu'il séduit les meilleurs esprits.

On peut encore inférer de ce qui a été dit, que la perfection du langage philosophique, soit comme instrument de la pensée, soit comme moyen de communication, consiste dans l'emploi d'expressions, qui, par leur généralité, ne tendent point à éveiller la conception et l'imagination. En d'autres termes, cette perfection consiste, à approcher aussi près qu'il est possible de la nature du langage algébrique. De là résulte l'effet que produit sur l'esprit une longue habitude de spéculations abstraites et philosophiques. Les facultés intellectuelles les plus nécessaires au poëte et à l'orateur, étant toujours contenues, restent à peu près sans emploi, et s'affoiblissent faute d'exercice. Le style s'en ressent. Il devient insensiblement dé

pourvu d'ornemens, il manque de vivacité, et ne peut manquer de déplaire à ceux qui ne lisent qu'en vue de l'amusement.

SECTION III.

Remarques sur les opinions de quelques philosophes modernes, relatives au sujet de la section précédente.

APRÈS

PRÈS la mort d'Abelard, dont les talens et l'éloquence procurèrent à la secte des nominaux un triomphe brillant, mais de peu de durée, le système des réalistes reprit le dessus. Il fut bientôt si complètement établi dans les écoles, qu'il y prévalut presque sans opposition jusqu'au quatorzième siècle. Il n'est pas aisé d'imaginer quel motif put engager les philosophes à abandonner ainsi une doctrine, qui semble se recommander d'elle-même par sa grande simplicité. Il est probable que les opinions hérétiques, pour lesquelles Abélard et Roscelin encoururent la censure de l'église, jetèrent de la défaveur sur leurs principes philosophiques. Probablement aussi la manière dont ces principes étoient établis et soutenus n'étoit ni assez claire ni assez satisfaisante, pour vaincre les préjugés qu'on

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