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blic se corrompt et commence à dégénérer. Les diverses productions des beaux-arts n'ont plus la même simplicité, qu'au période où ces arts avoient acquis le plus haut degré de perfection. Les observations précédentes nous indiquent une cause de ce phénomène.

On se rappelle que la marche du goût, dans ses progrès, consiste à séparer les vrais principes de la beauté, des accessoires superflus ou nuisibles qui s'y trouvent joints. Il suit de là, qu'il y a une limite au-delà de laquelle on ne peut plus simplifier. On ne peut sans doute assigner aucune borne aux créations du génie; mais un génie éminent est un don fort rare de la nature. Il arrive donc qu'à l'époque où le goût a atteint un haut degré de perfection, l'amour de la variété porte les hommes à ajouter quelques circonstances superflues aux modèles purs de ceux qui les ont précédés, ou à y faire quelques légers changemens, dans le seul but d'en diversifier l'effet. Ces additions et ces changemens, indifférens en eux-mêmes, peut-être choquans, acquièrent une sorte de beauté d'emprunt, par leur association à des objets vraiment beaux, quelquefois aussi par l'influence de la mode. La cause qui les

introduit, les multiplie; et le goût retombe dans la barbarie en suivant dans sa marche rétrograde à peu près tous les mêmes pas qui l'avoient conduit à la perfection.

La vérité de ces observations paroîtra assez frappante, si l'on réfléchit à l'effet vraiment étonnant que produit un écrivain qui unit un goût incorrect à un brillant génie, et si l'on se rappelle avec quelle facilité il pervertit les jugemens que porte le public. Les petites singularités d'un tel auteur sont consacrées par leur liaison avec les qualités qu'on admire elles plaisent même à un certain point lorsqu'elles en sont détachées, parce qu'elles rappellent les agréables impressions auxquelles elles ont été long-tems associées. Que d'imitations n'avons-nous pas vues des affectations de Sterne, produites par des hommes incapables d'imiter ses beautés ! Et toutefois ces imitations des défauts qui caractérisent cet écrivain; de sa manière brusque et coupée; de ses minutieuses descriptions; et même de ses traits de plume; produisent au premier moment quelque effet sur des lecteurs, qui ont plus de sensibilité que goût, en leur rappelant les scènes attendrissantes, ou badines et pleines de verve, aux

de

quelles, dans l'original, ces défauts ou ces petites singularités se trouvent presque toujours associées.

Il suit de ce que nous venons de dire, que les circonstances qui nous plaisent dans les objets de goût sont de deux espèces distinctes. Les unes sont propres à plaire par leur nature ou par des associations d'idées communes à tous les hommes. Les autres ne plaisent que par des associations d'idées locales et accidentelles. Il y a donc aussi deux espèces de goût. L'une juge des beautés qui ont leur fondement dans la nature de l'homme; l'autre juge des objets dont la mode fait le principal mérite.

Ces deux espèces de goût ne sont pas toujours réunies dans le même individu. Je crois même qu'une telle réunion est fort rare. La perfection de l'une dépend beaucoup du degré de force dont nous jouissons, pour nous délivrer de l'influence des associations fortuites. La perfection de l'autre dépend au contraire de la facilité d'association, qui nous fait suivre promptement les formes que la mode adopte, et comme dit Shakespear, << prendre le ton du jour » (1).

(1) To catch the tane of the times.

Je tâcherai de jeter un nouveau jour sur quelques-unes de ces remarques, en les арpliquant au langage. Ce sujet offre une infinité d'exemples propres à faire voir l'influence qu'a l'association des idées sur nos jugemens en matière de goût.

De même qu'un vêtement ou un ornement de toilette prend un air élégant ou un air ignoble, selon la qualité des personnes qui le portent; ainsi il y a une manière de prononcer qui paroît polie ou grossière, selon l'idée qu'on se fait des personnes qui l'emploient habituellement. L'accent écossois est, à peu d'expressions près, aussi agréable à l'oreille, que l'accent anglois. Cependant on en est choqué, même en Ecosse. On n'en sauroit trouver d'autre raison, sinon que la capitale de l'Ecosse n'est plus qu'une ville de province, et que Londres est la résidence de la cour.

La distinction qu'on fait, dans toutes les langues des nations civilisées, entre les expressions basses et les expressions nobles, n'a pas une autre origine. C'est un sujet assez curieux d'observation que le soin des classes supérieures, dans toutes les monarchies de l'Europe, d'éviter tout ce qui, dans la mise

et dans les manières, pourroit les rapprocher de la multitude et lier ces deux idées

par l'association même la plus éloignée. Les habits, les formes, le langage, tout tend au même but; et présente, par une multitude d'associations imperceptibles et comme sans intention, les avantages du rang ou de la fortune.

Un écrivain qui veut s'exprimer avec élégance doit étudier cette influence qu'a sur le langage l'association des idées. Pour la correction et la pureté du style, les règles de la grammaire et de la critique peuvent suffire; mais elles ne peuvent inspirer des beautés de style d'un ordre plus relevé. De même que pour avoir l'air et les manières d'un homme de bonne compagnie, il faut fréquenter la meilleure société; ainsi, pour acquérir dans la composition la grâce qui lui donne du charme, il faut être familiarisé avec la lecture des auteurs classiques. Si l'on veut s'instruire il faut sans doute lire beaucoup de livres qui n'ont pas le mérite du style; mais un homme appelé à écrire fera bien de prévenir l'effet de ces lectures en maniant sans cesse les modèles du langage le plus pur. Il arrive souvent, que pour avoir négligé de

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