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d'épargner à l'âge mûr un travail ingrat et pénible, qui vient continuellement distraire nos facultés intellectuelles d'occupations plus importantes et pour lesquelles elles paroissent principalement destinées.

Cette tendance qu'ont les études littéraires, et plus encore celles de philosophie, à exercer la pensée sur les mots, ne peut manquer de diminuer la faculté de rappeler les objets sensibles et d'en avoir la conception ou l'image. Et véritablement quelqu'avantage qu'ait le philosophe lorsqu'il s'agit de former des propositions ou des raisonnemens généraux, il est, je crois, en général inférieur à un homme moins exercé à réfléchir, lorsqu'il s'agit de décrire, avec beaucoup de détail et d'exactitude, un objet qu'il a vu, ou un événement dont il a été témoin ; et cela, en supposant que l'intérêt de curiosité est le même de part et d'autre. L'attention pleine et non-partagée, que les hommes peu accoutumés à réfléchir donnent aux objets de leurs perceptions est sans doute cause en partie de la vivacité de leurs conceptions ou images, et de la précision qui règne à cet égard dans leurs souvenirs.

Il y a dans les différentes mémoires une

variété, qui paroît avoir quelque rapport avec ces différences d'habitudes intellectuelles dont nous venons de parler, je veux dire, celles qui distinguent les esprits cultivés de ceux dont l'éducation a été négligée. Pour reconnoître les objets visibles, la mémoire chez quelques hommes retient l'apparence générale de l'objet, chez d'autres au contraire elle s'attache à quelque marque distinctive souvent fort petite. Un paysan connoît les différentes espèces d'arbres à leur port. Un botaniste les distingue par les marques caractéristiques, sur lesquelles il fonde la classification des végétaux. Cette dernière espèce de mémoire est, si je ne me trompe, celle dont les hommes d'étude font le plus d'usage; et cela tient à l'habitude qu'ils ont contractée d'opérer le rappel par les mots. Il est évidemment plus facile d'exprimer, dans une description, un certain nombre de marques botaniques, que le port ou l'apparence générale d'un arbre. Cette remarque peut aisement s'étendre et s'appliquer à d'autres cas de même nature. Mais à quelque cause qu'on l'attribue, le fait du moins est constant. On voit plusieurs personnes, surtout parmi les savans et les gens de lettres, qui sans avoir une

grande facilité à reconnoître les objets par leur apparence générale, ne laissent pas de retenir avec exactitude, un nombre immense de caractères distinctifs et techniques des objets dont ils ont acquis la connoissance.

Ces différentes sortes de mémoires, ont chacune leurs avantages et leurs inconvéniens. La crainte de lasser le lecteur m'empêche de les exposer ici en détail, et m'engage à lui laisser le soin d'en faire lui-même la recherche.

SECTION III.

Du perfectionnement de la mémoire. Analyse des principes dont dépend la culture de cette faculté.

LE

E perfectionnement dont l'esprit humain est susceptible, et qui dépend de la culture, est plus remarquable peut-être à l'égard de la mémoire, qu'à l'égard des autres facultés dont il est doué. On a souvent remarqué ce fait d'une manière générale; mais je ne sais si les philosophes ont observé avec l'attention requise la manière dont la culture opère ces grands effets.

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y a sans doute une sorte de culture dont la mémoire est susceptible, et dont il est impossible de donner aucune explication satisfaisante. Je veux parler de l'amélioration de cette faculté par le seul effet de l'exercice; ou en d'autres termes, de la plus grande facilité d'associer nos idées que la pratique produit en nous. L'effet de la pratique sur la mémoire paroît une loi primitive de notre nature; ou plutôt un cas particulier de cette loi générale, en vertu de laquelle toutes nos facultés du corps et de l'ame se fortifient en s'appliquant à l'objet auquel elles ont été destinées.

que

Mais indépendamment des progrès dont la mémoire est susceptible par l'effet produit l'exercice sur cette faculté primitive; elle peut être aidée dans ses opérarations, par certains procédés que la raison ou l'expérience suggèrent et au moyen desquels on l'emploie avec plus de succès. Ces procédés sont pour le philosophe un sujet de recherche fort intéressant. Ce sujet peut aussi offrir quelqu'utilité directe. Car, quoique nous tenions de la nature même les principales ressources par lesquelles nous pouvons subvenir à la foiblesse de notre mémoire, on

peut raisonnablement espérer, en ce cas comme en d'autres, d'apprendre à manier mieux nos facultés intellectuelles, en suivant d'une manière systématique les indications que la nature nous donne.

On remarque qu'à l'entrée d'une étude, qui est pour nous d'un genre nouveau, nous avons beaucoup de peine à conserver dans notre mémoire les principes élémentaires qui lui servent de fondement; et qu'à mesure que nos connoissances relatives à ce sujet prennent plus d'étendue, nous acquérons plus de facilité à cet égard. En analysant les différentes causes, qui concourent à produire cette facilité, il pourra s'offrir à nous des résultats de nature à fournir quelques applications pratiques.

1. Dans toute science, les idées sur lesquelles elle roule, sont unies entr'elles par quelque principe particulier d'association. Dans l'une, par exemple, dominent les associations fondées sur la relation de cause et d'effet. Dans l'autre, celles qui dépendent des relations nécessaires qui sont propres aux vérités mathématiques. Dans une troisième, les associations fondées sur la contiguité de tems et de lieu. Ceci nous révèle une cause

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