Imagens das páginas
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que

Quand nous lisons une description, nous sommes naturellement portés à nous faire à nous-mêmes un tableau de l'objet décrit ; et selon le degré d'attention ou d'intérêt le sujet excite en nous, la peinture est plus ou moins permanente, plus ou moins déterminée. Si nous entendons parler souvent d'une ville que nous n'avons jamais vue, il est presque impossible que notre pensée s'en occupe, sans lui attribuer une figure, une grandeur, une situation particulière. Il est rare, je crois, qu'en lisant un poème ou une histoire, on ne joigne pas au nom des acteurs principaux une forme ou une apparence imaginaire. D'un autre côté, on ne peut guère douter qu'en ce cas, il n'y ait entre les imaginations des hommes de grandes différences; et il n'arrive probablement jamais qu'il y ait coïncidence entre ces tableaux.

Il peut donc se faire que deux personnes

s'accordent entr'elles dans leur jugement à ce sujet, parce que l'objet qu'elles ont en vue leur plaît et que pourtant elles éprouvent des impressions diverses ou même très éloignées l'une de l'autre. Cela dépend de l'espèce de représentation qu'elles se font à elles-mêmes d'un objet qui leur est inconnu, et de la

nage

forme plus ou moins heureuse que leur imagination a choisie. C'est à cette circonstance, qu'il faut attribuer certains jugemens sévères, que portent souvent les hommès qui n'ont point fréquenté le théâtre. Accoutumés à lire les ouvrages dramatiques, ils se sont fait une habitude d'attacher à certains personnages une forme que l'acteur le plus parfait ne sauroit atteindre. Et si cette habitude est profondément enracinée, comme il arrive à ceux qui se passionnent pour quelque personet se le rendent très-familier. Ce ne sera pas seulement à une première représentation, qu'ils en jugeront de la sorte; mais ils ne pourront jamais se réconcilier avec la forme nouvelle qu'on leur présente, et trouveront mauvais toute leur vie un acteur qui fait les délices du public. J'avoue qu'il en est ainsi pour moi du caractère de Falstaff. Jamais ce personnage au théâtre ne m'a fait la moitié du plaisir qu'il me donne à la lecture de Shakespear. Je suis sûr aussi que j'éprouverois un sentiment pénible, si je voyois mettre en scène Don Quichotte et Sancho Pança, avec des voix et des figures auxquelles je ne suis pas accoutumé. Ce n'est pas, en ce cas, que l'acteur soit toujours au

dessous de notre attente: c'est plutôt qu'il la trompe, en nous montrant un objet tout différent de celui que notre imagination a vu d'avance; en sorte qu'il nous semble que l'idée du poëte est mal saisie, et que la représentation est infidèle. Jusqu'à ce donc que la fréquente répétition d'un spectacle si nouveau ait effacé complètement toutes les impressions que le premier avoit faites, il nous est impossible d'en sentir le prix, et de juger le jeu de l'acteur (1).

D'autres sujets nous fourniront des observations de même genre. La vue d'un beau site, ou celle d'un ouvrage de l'art, que nous voyons sans avoir été prévenus, nous affecte plus la première fois que nous en jouissons. Mais si ces objets nous ont été décrits, et si en conséquence, nous nous en sommes fait préalablement une image, la première vue

(1) Cette remarque fournira peut-être quelques vues relatives à l'influence des spectacles. Un peuple pour qui le théâtre est un vrai besoin, et qui le hante dès l'enfance, doit se faire à cet égard des habitudes uniformes, et porter sur les objets de goût des jugemens plus constans. Cette uniformité, portée jusques dans les mœurs, doit donner à la mode beaucoup d'empire.

P. P. P

nous fera une impression moins agréable que la seconde. Quoique la description qu'on nous en a faite soit peut-être fort au-dessous de la réalité; l'espèce de contrariété que nous éprouvons, en voyant un objet différent de celui que nous nous étions figuré, altère notre jouissance. Lorsque nous le revoyons ensuite, il n'a plus à la vérité tout le charme. de la nouveauté; cependant il en conserve assez pour plaire, et comme l'imagination ne nous annonce plus des beautés chimériques, notre attente n'est pas déçuc.

Ces remarques suffisent pour faire comprendre comment il arrive, qu'en fait de poésie, le nombre des juges soit si petit, et que le goût, qui peut en apprécier les beautés, soit une chose si rare. L'ordonnance des tableaux de Kent et de Brown atteste, dans leurs auteurs, un degré d'imagination, tout-à-fait analogue à celui qui constitue la poésie descriptive. Mais leurs ouvrages, dès qu'ils sont exécutés, brillent de diverses beautés, qui frappent l'œil du spectateur, sans recourir aux idées qu'il leur associe. La poésie au contraire ne peut presque avoir d'effet que sur des esprits doués de quelque partie du génie de l'auteur,

Il faut pour en goûter les charmes, entendre sa langue et en avoir l'habitude. Il faut même que l'imagination de celui à qui le poëte s'adresse coopère avec lui et le seconde par ses efforts.

On a souvent remarqué, que les mots généraux, qui expriment des idées complexes, n'ont pas exactement le même sens, pour différens individus et c'est là sans doute une des principales causes de l'ambiguité du langage. Cette remarque s'applique même jusqu'à un certain point aux mots qui représentent des objets sensibles. Que dans une description on trouve les mots rivière, montagne, bosquet; aussitôt une conception vive a présente devant elle l'idée d'une rivière d'une montagne, d'un bosquet particulier, qui ont fait impression sur elle : et quel que soit l'emploi qu'en fait l'imagination, l'objet qu'elle se représente ne peut jamais s'éloigner beaucoup de son modèle. Il est donc évident que, selon les habitudes et l'éducation des divers individus, selon le degré de vivacité dont leur conception est douée, et selon la disposition qu'a leur imagination à créer de nouvelles formes, les mêmes mots doivent produire différens effets sur des esprits dif

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