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le tableau que fait l'auteur de cette partialité outrée avec laquelle nous nous jugeons nousmêmes. En supposant la situation de notre prochain pleinement présente à notre pensée, comme l'est nécessairement notre propre situation, le fait n'est peut-être pas exactement tel qu'il est ici représenté. Lorsqu'un Orateur veut combattre nos passions personnelles, et exciter celles qui nous font partager les biens et les maux d'autrui; quel est le moyen que lui suggère la nature? S'appliquera-t-il à nous retracer l'importance de maintenir dans le monde une opinion. favorable à notre caractère, et la convenance de se conformer en conséquence à l'opinion des autres, plutôt que de nous livrer à notre propre sentiment? Ces considérations sont de nature à avoir, sur quelques personnes, une certaine influence. Elles tendent à les engager à revêtir au moins l'apparence de la vertu mais elles ne tendent point à provoquer un sentiment d'indignation à la pensée de l'injustice; elles ne feront pas naître un mouvement soudain et involontaire d'affection, surtout d'une affection désintéressée. Que l'orateur au contraire réussisse seulement 'à fixer l'attention de son auditoire sur les

faits dont il l'occupe; qu'il parvienne, par les prestiges de l'éloquence, à peindre ces faits à l'imagination; et son objet est infailliblement rempli: ceux qui l'écoutent, même les prudens et les timides, s'oublient un instant eux-mêmes ; ils méprisent les considérations personnelles, et jusqu'au soin de leur propre sûreté, ils se livrent à l'intérêt qu'on leur inspire et n'ont en vue que le bonheur de ceux qui en sont l'objet.

On peut expliquer par le même principe plusieurs faits qu'on allègue communément comme autant de preuves de cet intérêt personnel, ou de cet égoïsme qu'on attribue à l'homme, et qu'on envisage souvent comme un sentiment originel et primitif. On verra que cet égoïsme dépend de l'inattention dont on a contracté l'habitude, ou d'un défaut d'imagination; et que probablement ces vices de l'entendement sont l'effet de quelque erreur d'éducation.

Ces remarques, relatives aux affections sociales, peuvent également s'appliquer aux passions d'un autre genre, en exceptant néanmoins celles qui dépendent absolument de notre organisation corporelle. Les passions, en effet, sont d'autant plus impé

tueuses, que l'imagination a plus de force et de chaleur.

Cependant on observera (et c'est un phénomène remarquable) que lorsqu'une imagination naturellement froide, ou peu active par défaut de culture, est tout-àcoup excitée par l'art du poëte ou de l'orateur elle est plus disposée qu'une autre à se livrer à l'enthousiasme et à s'exalter jusqu'à l'excès. Pour expliquer ce fait, il faut remarquer que l'exercice habituel qu'on donne à cette faculté apprend à la gouverner, et à la soumettre à l'empire de la volonté. Comme nous avons le pouvoir de refuser notre attention aux objets des sens, et de nous transporter à notre gré dans un monde de notre propre création; de même, lorsque nous sentons que l'enthousiasme commence à nous égarer et qu'il convient de le modérer, nous écartons les fantômes de l'imagination, et nous rentrons dans le monde des réalités, en rendant notre attention aux perceptions et aux occupations, qui constituent le cours ordinaire de la vie. Au contraire, un esprit, qui n'est point familiarisé avec ces visions. intellectuelles et ces mouvemens imaginaires, qui n'en jouit point par lui-même, mais

d'une manière empruntée, ou selon que le génie d'autrui les lui imprime, un esprit ainsi disposé n'a point de prise sur son imagination. Cette faculté une fois excitée chez lui n'a plus de guide, ni de frein; et ses écarts, semblables à ceux de la folie, n'en different que par la durée. De là tous les effets de l'éloquence populaire, qui sont toujours d'autant plus grands, que ceux en qui ils se manifestent ont reçu une éducation moins soignée.

SECTION V.

Continuation du même sujet. Fácheuses suites qu'entraîne une imagination mal réglée.

C'EST

sans contredit le vœu de la nature que les objets sensibles fassent sur nous une impression plus forte, que les simples opérations de l'intelligence. Et c'est ainsi que les choses se passent, lorsque, dans les premières années de la vie, les différentes facultés ont été convenablement exercées. Mais il peut arriver que l'habitude contractée de bonne heure de concentrer son ame dans

ses réflexions solitaires renverse l'ordre naturel, et donne à l'imagination une influence excessive. Eloignés de la société, et de tous les objets qui excitent l'ambition de nos semblables, accoutumés à nous entretenir de nos propres pensées, à porter notre activité sur des recherches purement intellectuelles et qui suffisent pour exercer nos facultés, sans nous exposer au hasard du monde; nous pouvons en venir au point de ne prendre plus aucun intérêt à ce qui se passe hors de nous-mêmes, de nous plaire uniquement à la méditation intérieure. Il arrive alors que l'esprit perd insensiblement la faculté de commander à ses propres pensées et d'en diriger la succession à son gré: faculté, qu'une éducation bien entendue ne manque point de donner ou de maintenir. Dès qu'elle commence à s'affoiblir, le mal croît et conduit enfin à ce terme où l'imagination nous maîtrise, et où ses rêves extravagans nous agitent, comme s'ils avoient quelque réalité. Un pays sauvage et montagneux, qui offre de variété dans les objets qui frappent la vue, et qui en offre plusieurs d'une telle. nature, qu'ils tendent naturellement à exalter l'imagination, est un pays favorable à l'enthousiasme.

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