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HISTORIENS ALLEMANDS

DE

LA LITTÉRATURE FRANÇAISE.

Histoire de la littérature française depuis la renaissance jusqu'à la révolution, par M. Édouard Arnd, 2 volumes in-8°. Berlin, Duncker et Humblot, 1857.

Histoire de la littérature française depuis la révolution de 1789, par M. Julien Schmidt, 2 volumes in-8°. Leipzig, Herbig, 1857.

Portraits littéraires français depuis la renaissance jusqu'à nos jours, par M. Alexandre Buchner, 2 volumes in-18. Francfort, Hermann, 1858. Victor Hugo, Lamartine et la poésie lyrique en France au dix-neuvième siècle, 1 volume in-8°, par M. Honegger. Zurich, Meyer et Zoller, 1858.

La littérature française a subi en Allemagne des jugements divers, selon les temps et la direction des esprits. Frédéric II n'en voulait point connaître d'autre, et ce n'est pas à nous qu'il appartient de l'en blàmer. Lessing la combattit à outrance, et, si Français que l'on soit, on doit trouver qu'il fit bien; car, par des causes qui tiennent profondément au génie des deux peuples, ce n'était pas de la France que pouvaient venir à l'Allemagne les germes de la renaissance littéraire. L'imitation de notre littérature classique y dégénérait en plate caricature. L'hostilité de Lessing était donc justifiée; elle fut efficace, et ramena l'esprit allemand dans sa véritable voie. Plus tard, quand l'émancipation cut porté ses fruits, et que la littérature allemande eut conquis sa place, nous voyons des esprits non moins compétents que Lessing revenir à un jugement plus équitable. Dispensés, par le résultat

acquis, de la passion de la lutte et de l'injustice de la passion, Schiller et Goethe, ce dernier surtout, s'affermissent dans l'impartialité en même temps que dans la gloire, et reconnaissent la légitimité de toutes les grandes manifestations de l'esprit. Le dix-septième siècle ne les repousse plus, et le dix-huitième ne les effraye pas. Ils traduisent Racine, Voltaire et Diderot. Mais tandis que la paix est proclamée sur les hauteurs, une nouvelle opposition se manifeste dans des régions inférieures. F. G. Schlegel entreprend de recommencer Lessing avec des vues plus étroites: il met tout au-dessous de Calderon, et la littérature française au-dessous de tout. Les passions politiques se mettent de la partie, et les esprits allemands se divisent en gallophobes et en gallophiles, mais de nouveau ce sont les plus grands et les plus vaillants qui sont les moins hostiles, et c'est la philosophie française en général, et celle du dix-huitième siècle en particulier, qui inspirent à Hegel ses pages les plus enthousiastes, et tous ceux qui les connaissent en conviendront des pages véritablement éloquentes.

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Aujourd'hui, les antipathies sont devenues incontestablement moins vives, mais aussi les sympathies moins passionnées. L'esprit de justice internationale, qui est celui de notre temps, a pour effet de rapprocher les peuples, sans imposer à aucun d'eux le sacrifice de son individualité, et en même temps une critique vraie a reconnu qu'il est absurde de vouloir juger les productions littéraires d'un peuple par celles d'un autre, qu'une littérature est forcément et avant tout nationale, même celles qui n'ont pas voulu l'être, comme la nôtre au temps de Louis XIV, et qu'enfin, si en dernière analyse il n'y a qu'un idéal, il y a d'innombrables manières de le saisir et de le manifester : principes élémentaires qui ne se sont développés que peu à peu, comme la plupart des idées justes. Aujourd'hui ils sont pleinement acceptés, et les quatre écrivains dont nous avons à nous occuper sont également éloignés de les méconnaître.

Mais en dehors de ce mérite commun et facile, leurs ouvrages ont une valeur très-diverse. Le meilleur des quatre est celui de M. Arnd. Celui de M. Julien Schmidt, qui le continue, et que de complaisants amis ont trop vanté, est très-inférieur par le plan et aussi par l'exécution, malgré de jolis détails et la finesse de certaines analyses. C'est cependant celui qui nous arrêtera le plus, parce qu'il traite de ce qui nous touche le plus directement, de notre littérature contemporaine. Quant aux Portraits de M. Buchner, ils embrassent, mais en l'étreignant fort mal, toute notre histoire littéraire, depuis la renaissance jusqu'à nos jours. Ce sont des études détachées, d'une lecture

agréable, mais que ne domine aucune idée générale, et où la critique personnelle est trop absente. L'auteur a lu presque tout ce qui s'est écrit en France sur notre littérature, depuis le Cours de La Harpe jusqu'à la spirituelle histoire de M. Demogeot; mais bien qu'en certaines échappées il se montre capable de juger par lui-même, il se contente trop souvent du rôle de rapporteur pour qu'il y ait lieu de nous arrêter longuement à ses esquisses. La littérature contemporaine surtout est faiblement traitée. M. Buchner a, comme M. Schmidt, le faible des anecdotes insignifiantes et du détail puérile, et il le pousse jusqu'à supputer le nombre de lettres qu'il y a dans les pièces de M. Scribe. Ne lui dérobons pas ce calcul, et empruntons-lui plutôt une lettre de Schiller, qui renferme un jugement curieux sur madame de Staël. C'est l'auteur de Corinne qui a fait connaître l'Allemagne à la France. « Son livre, a dit Goethe, a été un bélier puissant, qui a ouvert une » large brèche dans la muraille chinoise qui séparait les Allemands de » France. » La Revue Germanique, qui se propose de continuer son œuvre, ne doit pas craindre de parler d'elle.

« Madame de Staël, écrit Schiller à Goethe, vous paraîtra tout à fait » telle que vous vous l'êtes construite a priori. Elle est tout d'une pièce, » et il n'y a rien en elle d'emprunté, de faux ni de maladif. Ce qui fait » que malgré une séparation immense de nature et d'idées, on se >> trouve parfaitement bien avec elle, qu'on peut tout entendre d'elle et » tout lui dire. C'est l'esprit français cultivé, vu dans toute sa pureté » et dans un jour très-intéressant. Dans tout ce que nous nommons >> philosophie, et par suite, en dernière analyse, dans toutes les ques» tions, il nous est et nous restera impossible de nous entendre avec » elle. Mais son caractère et ses sentiments valent mieux que sa méta>> physique, et sa belle intelligence s'élève à une sorte de génie. Elle » veut tout éclaircir, tout pénétrer, tout mesurer; elle n'admet rien » d'obscur ni d'impénétrable, et où son flambeau cesse de l'éclairer il » n'y a plus rien pour elle. Aussi a-t-elle une peur horrible de l'idéa»lisme, qui, suivant elle, conduit au mysticisme et à la superstition, » et qui est comme un air trop subtil où elle ne peut plus respirer. Le » sentiment de la poésie lui manque tout à fait; elle ne peut s'appro>> prier d'œuvres semblables que la passion, l'éloquence et les idées » générales; elle n'estimera rien qui soit faux, mais elle ne reconnaîtra » pas toujours le vrai. Vous verrez par ces quelques mots que la clarté, » la précision et la vivacité de son esprit, ne peuvent avoir qu'une > influence bienfaisante. Son seul défaut est la vélocité extraordinaire » de sa langue. Il faut n'être qu'oreilles pour pouvoir la suivre. »

Qui ne voit que, dans ce portrait, Schiller esquissait en même temps, en deux traits, le génie des deux peuples? Du reste, il en convient luimême : « C'est l'esprit français dans toute sa pureté, et dans son jour » le plus intéressant. » Ce qu'il dit de madame de Staël, il eût pu le dire de tout écrivain français du dix-septième ou du dix-huitième siècle, et de Voltaire plus que de tous les autres. L'intelligence lucide et pénétrante, mais positive et nullement spéculative, l'éloquence, mais non la poésie, les idées générales, mais non les idées métaphysiques, voilà le signe distinctif, le fort et le faible de notre littérature classique, et le caractère commun des deux siècles. C'est une remarque qui n'a point échappé à M. Arnd, et que nous trouvons aussi, mais en termes fort singuliers, dans l'étude de M. Honegger. Les différences entre le génie allemand et le génie français ne sont plus aussi accusées aujourd'hui qu'à la fin du dix-huitième siècle; nous avons subi l'influence de nos voisins comme ils ont subi la nôtre; mais, franchement, il serait malheureux que nous fussions devenus assez infidèles à notre esprit pour ne pas nous étonner d'un début comme celui-ci : >> « Le fait est l'esprit humain devenu corps; la progression du fait >> constitue l'histoire dans son sens le plus étroit, une introduction » dominatrice de l'idée dans la matière. Le point de contact entre >> l'esprit humain et le monde extérieur est déterminé comme se réali» sant par la parole. Dans la parole et dans l'écrit, l'esprit reste en soi, » et n'ajoute de matière à son être propre que ce qu'il lui en faut pour » ne pas s'évanouir dans l'isolement d'une vie indépendante. Tout ce » qui, dans l'expression de l'esprit individuel, s'élève au caractère uni» versel devient littérature. L'espèce, la race, l'État, peuvent avoir » une littérature; le peuple doit en avoir une; cela est impossible à » l'individu. Comme rien d'extérieur ne peut exister sans un intérieur, » il ne peut y avoir de littérature sans histoire; ce qui ne peut être que » l'un avec l'autre ne se fait comprendre que l'un par l'autre, l'un » dans l'autre... » Qu'en pense le lecteur? Tout au moins que l'auteur a pris trop à la lettre le précepte d'Horace, qui prescrit de faire voir la fumée avant la flamme:

Non fumum ex luce, sed ex luce dare fumum.

Ici l'auteur pouvait se passer complétement de fumée. Il a voulu dire simplement que l'histoire est la manifestation générale et complexe de l'esprit humain, ce que personne ne niera; que la littérature en est une manifestation particulière, immédiate et intime; que, par conséquent, il y un rapport étroit entre l'histoire d'un peuple et sa lit

térature, et que l'une doit s'expliquer par l'autre et réciproquement, ce qui est le catéchisme de la critique moderne. M. Honegger, appliquant ces principes à l'histoire littéraire de la France, soutient que depuis Villon jusqu'à la fin du dix-huitième siècle nous n'avons pas eu en France de poésie lyrique, ou que, si elle a existé, c'est comme une » petite vieille toute ratatinée, toute renfermée, et filant sa que» nouille. » C'est la Révolution qui a ouvert en France les sources du lyrisme. On peut soutenir cette thèse, bien qu'il faille évidemment ajouter à la Révolution d'autres causes, et notamment la connaissance plus intime des littératures étrangères; car le plus populaire de nos lyriques, le plus national si l'on veut, celui qui semble procéder le plus directement de la Révolution, Béranger en un mot, est en même temps le plus rapproché de notre ancienne poésie classique, et peut, littérairement, être compris et expliqué en dehors de la Révolution. Dans tous les cas, l'auteur devait nous expliquer d'une manière plus complète, historique et philosophique, les causes de ce long sommeil et de ce soudain réveil de notre poésie lyrique. Il n'en a rien fait, et notre surprise est grande de nous voir introduits, par son péristyle scolastique, dans un cabinet d'anatomie poétique. Voici comment notre critique analyse les Méditations: « Genre d'images ordinaire et le plus cher à Lamartine : « Représenter un arbre entouré de ses rejetons, ou » de fruits mûrs détachés de la branche, ou de ses feuilles tombées, » I, 9. Les chênes avec leurs feuilles flétries qui s'accumulent; ainsi » s'accumulent les années qui s'écoulent. Tout à fait de même le sau» vageon, I, 20. Au contraire, I, 12, le vieillard couronné de sa > famille qui l'entoure, comme l'arbre est couronné de ses fruits » mûrs... Puis vient une catégorie d'images tirées de l'histoire, et sur» tout de la Bible, à cause de l'éducation biblique de Lamartine. » Sautons des pages 31-35 aux pages 139 et suivantes, nous retrouverons, au sujet de Victor Hugo, les mêmes dissections et les mêmes classifications. Toutes les expressions que l'auteur a soulignées dans son exemplaire sont citées à la file les unes des autres, et forment l'effet le plus bizarre. De quelle utilité peuvent être de semblables études pour l'intelligence de la poésie française au dix-neuvième siècle, et surtout pour la solution de ce grand problème, si obscurément posé au début : Des rapports de l'histoire et de la littérature d'un peuple.

Ce problème, M. Édouard Arnd ne le perd jamais de vue, et dès son avant-propos, il le pose en homme qui en sent toute la portée, et en termes qui signalent d'une façon magistrale la valeur historique et sociale de notre littérature: « Quelque blâme ou quelque réserve qu'un

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