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articles. Beaucoup de gens se plaignent du caractère trop abstrait des sujets, beaucoup d'autres se perdent dans vos entretiens, ne voyant pas, comme ils disent, où cela doit aboutir. Vous voyez que nos hôtes germaniques ne se démentent pas; il faut toujours qu'ils sachent ce qu'ils mangent, si on veut que cela les ragoûte. Il faut qu'ils puissent s'en faire une idée.

J'en causais tout récemment avec Humboldt; à l'heure qu'il est, il est absolument impossible qu'aucun ouvrage, le meilleur comme le plus mauvais, ait en Allemagne un succès général. Le public n'a plus l'unité de goût de l'enfance, et il a encore moins celle d'un goût perfectionné. Il flotte au milieu, entre les deux, et c'est là un âge d'or pour les méchants auteurs, mais d'autant plus mauvais pour ceux qui ne se préoccupent pas seulement de gagner de l'argent.

Je suis maintenant fort curieux d'apprendre comment on va juger votre Meister, c'est-à-dire ce qu'en diront les parleurs officiels; car pour le public, il va sans dire qu'il est très-partagé.

Avez-vous déjà lu la Louise de Voss, qui vient de paraître? Je puis vous l'envoyer. Je me ferai charger du compte rendu dans le Mercure.

Schiller.

Iéna, le 12 juin 1795.

Ma fièvre m'a quitté depuis quatre ou cinq jours, et je suis maintenant trèssatisfait de mon état. Que ne puis-je l'être également de mon activité? Mais le passage d'une affaire à l'autre fut toujours pour moi une dure situation, et maintenant surtout que je dois sauter de la métaphysique à des poésies. Cependant je me suis construit un pont tant bien que mal, et j'ai commencé par une épître rimée qui est intitulée Poésie de la vie, et qui touche par conséquent, comme vous le voyez, à la matière que j'ai abandonnée. Que ne pouvez-vous venir et souffler en moi votre esprit seulement pendant six semaines, pour autant que je suis capable d'en recueillir; je serais hors de peine.

Un superbe gaillard, vraiment, cet Hesperus 1 que vous m'avez envoyé récemSCHILLER.

ment.

léna, le 15 juin 1795.

La seule objection que je puisse faire contre ce cinquième livre de Meister, c'est qu'il m'a semblé que vous avez donné à la partie qui concerne exclusivement les affaires de théâtre plus d'espace que ne comporte l'idée si libre et si étendue de l'ensemble. Il semblerait parfois que vous écriviez pour l'acteur, alors que cependant vous n'entendez écrire que sur l'acteur. Le soin que vous consacrez à cer

1 Roman de Jean Paul.

tains petits détails de ce genre, et l'attention que vous prêtez à certains petits avantages de métier, qui ont bien, il est vrai, leur importance pour l'acteur et le directeur, mais non pour le public, apportent dans la description l'apparence d'un but particulier, et celui qui même ne soupçonnerait pas un but semblable pourrait vous reprocher pour ces objets une prédilection devenue chez vous trop puissante. Si vous pouviez en conséquence resserrer cette partie de l'ouvrage en des limites plus étroites, l'ensemble y gagnerait certainement.

Qu'en penseriez-vous, si, au nom d'un monsieur X., je me plaignais vis-à-vis de l'auteur de Wilhelm Meister de ce qu'il se complaît si fort auprès des gens de théâtre et évite la bonne société dans son roman? (C'est là certainement la pierre d'achoppement que le monde délicat rencontre en général dans Meister, et il ne serait pas superflu, ni sans intérêt, de redresser les idées sur ce point.) Si vous voulez répondre, je vous fabriquerai une pareille lettre.

J'espère que votre santé va mieux maintenant. Que le ciel bénisse vos travaux et vous réserve encore beaucoup de belles heures, comme furent celles où vous écrivites Wilhelm Meister 1.

J'attends avec impatience votre envoi pour l'almanach 2 et les entretiens que vous m'avez fait espérer. Dans ma maison cela va mieux. Tous vous saluent.

SCHILLER.

Dans les lettres de Schiller se trouvent les considérations et les vues les plus importantes sur Wilhelm Meister. (Conversations de Goethe avec Eckermann, 1825.)

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2 L'Almanach des Muses que dirigeait également Schiller.

MARIE-MADELEINE

DRAME EN TROIS ACTES ET EN PROSE

TRADUIT DE L'ALLEMAND DE FRÉDÉRIC HEBBEL '.

ACTE DEUXIÈME.

SCÈNE I.

(La scène représente une chambre dans la maison du maître menuisier.)

MAITRE ANTOINE, CLARA.

MAÎTRE ANTOINE, se levant de table, à Clara, qui veut desservir. Vas-tu encore ne pas manger?

CLARA.

Je suis rassasiée, père.

MAÎTRE ANTOINE.

De rien?

CLARA.

J'ai mangé dans la cuisine.

MAÎTRE ANTOINE.

Mauvais appétit, mauvaise conscience! Mais bah! tout se trouvera! Ou bien y avait-il du poison dans la soupe, comme je rêvais hier... un peu de ciguë sauvage qui se serait faufilée parmi les herbes que tu as cueillies ce matin? Alors, tu as bien fait.

Dieu tout-puissant!

CLARA.

MAÎTRE ANTOINE.

Pardonne-moi, mais.... Va-t'en au diable, avec ta face blême que tu

Voir pour le premier acte la livraison de mai.

as volée à la mère du Sauveur! Quand on est jeune, on a des couleurs. Je n'en connais qu'un qui pût se pavaner avec une mine pareille, et il ne le fait pas; aussi aurais-je bonne envie de souffleter celui qui crierait s'étant coupé le doigt! Nul n'a ce droit maintenant, car me voilà, moi, qui.... On ne se loue pas soi-même; mais que fis-je lorsque le voisin voulut clouer le cercueil de ta mère?

CLARA.

Vous lui arrachâtes le marteau des mains et clouâtes vous-même le couvercle en disant : « Voilà mon chef-d'œuvre. » Le chantre, qui achevait devant la porte les litanies avec les enfants de chœur, vous crut fou.

MAÎTRE ANTOINE.

Fou! (Riant.) Oui, celui-là a une bonne tête qui se la coupe lui-même quand il est temps!... La mienne tient trop fortement à mes épaules, sans quoi.... Ah! on était là tranquille dans le monde; on se croyait dans une bonne auberge, derrière le poêle; et voilà que, les chandelles allumées, on se trouve dans une caverne de voleurs, et, piff, paff, de tous côtés pleuvent les coups. Mais on s'en moque, car on a un cœur de pierre.

Oui, père, c'est comme cela!

CLARA.

MAÎTRE ANTOINE.

Qu'en sais-tu? Crois-tu avoir le droit de sacrer avec moi, parce que ton copiste a déguerpi? Il s'en trouvera un autre pour te mener promener le dimanche, pour te dire que tu as les yeux bleus et les joues fraîches, et te prendre pour femme si tu le mérites. Mais porte un peu la charge de la vie pendant trente ans en tout bien et en tout honneur, endure sans murmurer la douleur, le deuil et toutes les épreuves, et qu'alors ton fils, celui qui aurait dû faire le lit de ta vieillesse, qu'il vienne, et t'inonde d'infamie au point que tu voudrais conjurer la terre et lui crier : « Engloutis-moi, si je ne te dégoûte pas, car je suis plus sale que toi!» alors, je t'accorderai de prononcer toutes les malédictions que je renferme dans mon cœur, alors tu pourras t'arracher les cheveux et te meurtrir la poitrine! Je te concède cet avantage sur moi, car tu es femme.

O Charles!

CLARA.

MAÎTRE ANTOINE.

Je me demande tout de même ce que je ferai lorsque je le verrai de nouveau devant moi, quand le soir, au crépuscule, je le verrai entrer,

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la tête rasée, car, en prison, adieu les frisures, et qu'il bégayera son bonsoir en gardant la main sur le pène de la serrure? Que je ferai quelque chose, c'est sûr; mais quoi?..... (Grinçant des dents.) Et quand ils le garderaient dix ans, il me retrouvera; je vivrai, je le sens. Souvienst'en, mort! dès ce moment je suis une pierre pour ta faux; elle éclaterait plutôt que de me faire bouger.

CLARA le prenant par la main.

Père, vous devriez aller dormir une demi-heure.

MAÎTRE ANTOINE.

Oui, et rêver que tu es accouchée, puis m'éveiller en sursaut, te saisir, revenir ensuite à moi, et m'excuser en disant : « Pardonne-moi, » chère enfant, je ne savais ce que je faisais. » Mon sommeil a congédié son fou joyeux pour prendre à son service un prophète qui, d'un doigt sanglant, lui montre des choses abominables.... Et je ne sais comment cela se fait, mais tout me paraît possible à présent.... Oh! l'avenir me fait frissonner comme un verre d'eau regardé à travers le microscope. J'en ai regardé un une fois, à Nuremberg, à la foire, et n'ai pu ensuite boire de la journée. Ce bon Charles, je l'ai vu la nuit dernière; il tenait un pistolet, et quand je voulus le voir de plus près, il tira. J'entendis un cri; la fumée m'empêcha de voir d'abord, et lorsqu'elle fut dissipée je n'aperçus pas de sang, pas de crâne fracassé, mais monsieur mon fils devenu riche, et comptant des pièces d'or d'une main dans l'autre d'un air aussi tranquille........ Oui, le diable m'emporte, on n'est pas plus tranquille, quand, après avoir fini sa journée, on ferme son atelier.

Calmez-vous donc seulement!

CLARA.

MAÎTRE ANTOINE.

Et rattrapez seulement la santé, n'est-ce pas?... « Pourquoi êtes-vous malade?... » Allons, sois mon médecin, guéris-moi! Ton frère a été le plus mauvais fils, toi, sois la meilleure fille! Vois-tu, en ce moment, je suis devant le monde comme un misérable banqueroutier; je lui devais un honnête homme à ma place, à moi, vieil invalide, et je l'ai trompé je lui ai donné un coquin.... Toi, sois une femme comme ta mère, et on dira alors: Ce n'est pas la faute des parents si le garçon a dévié, car la fille marche dans le droit chemin et y précède toutes les autres........ (Avec un froid terrible.) Et j'y mettrai du mien pour te rendre la chose plus facile qu'aux autres. Du moment où je m'apercevrais qu'on te montre au doigt, (portant la main au cou) je me raserais, et pour de bon,

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