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que nous donne le savant anatomiste est toujours cette faculté de se réfléchir sur lui-même et de méditer sur ses origines, ses destinées et sa nature qui est si libéralement accordée à tous les hommes. M. Bischoff suppose ici sans nul doute que « tous les hommes >> sont professeurs de philosophie dans quelque université allemande. Cependant il pourrait s'apercevoir, pour peu qu'il observe attentivement les hommes illettrés et bien des lettrés même sans aller en Australie ou en Afrique, que de tels problèmes n'ont jamais occupé l'esprit que très-exceptionnellement. Mais, ainsi que le dit M. Huxley, l'orgueil humain ne se résigne pas aisément à se croire pétri du même limon que les êtres inférieurs. Le charretier cruel, qui donne chaque jour dans nos rues l'exemple de la férocité, se croit issu des dieux de même que le fervent disciple de la généalogie biblique se croit fait à leur image, et à travers toutes les dissemblances apparentes, leur morale est comme la logique, uniforme et impitoyable l'enfer éternel ou les châtiments sanglants à ceux qui, succombant sous le fardeau, ne peuvent traverser sans faiblir leurs dures épreuves. Aussi, pour répondre une fois de plus à des critiques sentimentales sur la dignité et la moralité humaines, je dirai que l'une et l'autre sont du côté de ceux qui croient à l'évolution progressive des êtres et qui mettent l'orgueil, non dans le passé, mais dans l'avenir.

Que le lecteur et M. Huxley lui-même me pardon

nent cette longue Introduction, qui s'écarte quelque peu des sujets plus précis traités dans ce volume, et qu'ils me permettent de me justifier lorsque j'ai commencé cette traduction, j'avais déjà été frappé par la lecture du texte anglais à une époque où l'occasion de le traduire ne s'était pas présentée; mais j'avoue que les réserves expresses et la méthode rigoureuse de M. Huxley m'avaient séduit bien plus que les déductions que l'on pourrait tirer d'un parallèle anatomique éminemment empreint des théories de Lamark et de Darwin; ces théories mêmes, je les avais déjà exposées, sinon en adversaire, du moins en critique plein de défiance. Mais à mesure que je traduisais, vérifiant çà et là, lisant et relisant, et écoutant partisans et ennemis de ce que l'on appelle le darwinisme, je sentais mes défiances s'évanouir et mes scrupules disparaître.

La traduction faite, j'étais partisan convaincu de la mutabilité des formes et, en définitive, du progrès organique. Si une telle modification dans mes opinions avait en quoi que ce fût besoin d'excuses, d'illustres excmples m'en fourniraient; car presque tous les grands naturalistes de l'Allemagne, de l'Angleterre, de la Suisse et de l'Italie n'ont admis, même partiellement, ces principes qu'après les avoir combattus. Or, celle Introduction n'est que le développement des phases par lesquelles j'ai passé pour arriver à mes convictions actuelles, phases que j'ai résumées en cinq divisions dont voici l'enchaînement :

L'homme n'a pas toujours existé ; certaines formes de la vie organique existaient avant lui : ou il en dérive ou il n'en dérive pas. S'il n'en dérive pas, son existence est surnaturelle ou miraculeuse, ce qui est nonseulement hypothétique, mais contradictoire ou tout au moins indémontrable. On sait en effet que rien ne naît de rien, et comme tout change sans cesse, tout est nécessairement une transformation; donc les formes vivantes dérivent les unes des autres, et jusqu'au jour où on aura démontré qu'il peut s'en former de toutes pièces là où il n'y en avait pas, on sera en droit de dire qu'elles ont toujours existé, nécessairement sous d'autres formes, ce que confirme la paléontologie. Mais pour que ces vues puissent se soutenir, il faut vérifier trois ordres similaires de faits, savoir : la non-fixité de l'espèce, la transformation des types (1) et établir la série animale que traversent les espèces modifiées graduellement. Il faut enfin appliquer aux hommes les idées déduites de cet examen.

Tel a été le plan que, naturellement, j'ai suivi; personne mieux que moi ne peut apprécier ses lacunes et l'insuffisance des détails dans l'exécution. Mon ambition est d'être lu, non avant le texte traduit, mais après; et mon espoir d'avoir tracé un cadre dans le

(1) Au moment de mettre sous presse, on nous communique une excellente brochure de M. G. Pennetier sur la Mutabilité des formes organiques; nous regrettons extrêmement de n'avoir pas connu plus tôt ce travail récent, mais nous espérons nous en servir dans les notes du texte de M. Huxley.

quel toutes les questions de la biologie ontologique peuvent trouver leur place, quelles que soient les solutions particulières qu'on peut leur donner.

Si j'ai peu parlé, dans le cours de ce travail, du livre que j'ai traduit, c'est qu'il est tellement clair, que toute analyse m'a semblé superflue. Il a produit, on le sait, une grande impression en Angleterre et en Allemagne, et, quoique plusieurs années nous séparent de l'époque où il a été publié, cette impression, loin de s'affaiblir, grandit avec la réputation scientifique de l'éminent professeur.

Dans une courte préface, M. Huxley nous apprend qu'il a exposé à plusieurs reprises la substance de ces essais, tantôt devant des hommes voués à la culture. des sciences, tantôt devant des ouvriers, dans ces lectures qui, depuis quelques années, rendent en France de si grands services à la civilisation, et qui, malheureusement entravées par mille liens, n'ont pas encore acquis tout leur développement. Cet examen répété d'un même sujet, à des points de vue variés, suffira, dit M. Huxley, pour persuader au lecteur que, vraies ou fausses, ses conclusions n'ont été présentées qu'avec lenteur et maturité d'esprit, et ces conclusions peuvent se résumer en ce dilemme : ou il y a transformation et progrès dans la vie organique, ou nulle théorie scientifique des êtres n'est possible.

M. Huxley divise l'ordre des primates en sept familles d'une valeur systėmatique à peu près égale: les anthropiniens (hommes); les catarrhiniens (singes de l'ancien monde); les platyrrhiniens (singes du nouveau monde); les arctopithèques (marmousets); les lemuriens (lemurs); les cheiromiens et les galéopithèques ou singes volants. Pour Cuvier, de Blainville, Duvernoy, etc., les hommes forment le premier ordre, et les quadrumanes le second ordre du groupe des primates; mais les subdivisions sont, dans toutes les nomenclatures, depuis Buffon, fort analogues. La plus naturelle est celle qui est due à ce grand écrivain: singes de l'ancien continent, singes du nouveau continent. Pas une des espèces de l'ancien monde ne se trouvait en Amérique. On ne trouve de singes ni en Australie ni à la Nouvelle-Zélande. De plus, en règle générale, les espèces sont confinées à une région.

Les singes de l'ancien continent offrent des caractères distincts; ils ont les narines ouvertes au-dessous du nez (d'où leur vient leur nom de cata-rhiniens) et rapprochées par une cloison mince; trente-deux dents. Ils comprennent le gorille, le chimpanzé, l'orang, le gibbon, qui forment le groupe des anthropomorphes (singes sans queue de Cuvier); puis les singes à queue qui habitent l'archipel Malais, la Cochinchine, l'Inde ou l'Afrique : nasique, semnopithèque, entelle, colobe (Abyssinie); les cercopithèques (guenons de Buffon); macaques, magots (sans queue, du nord de l'Afrique et de l'Espagne); les cynocéphales (papions, mandrilles, babouins, etc.).

Quant aux singes du nouveau monde, ils sont tous d'un type très-distinct des catarrhiniens: ils ont le nez aplati, les narines ouvertes latéralement, une longue queue, point d'abajoues ni de callosités. Sous le rapport de la conformation crânienne, il n'y a point parmi eux de singes aussi voisins de l'homme que le chimpanzé; mais il n'y en a point d'aussi éloignés que les cynocéphales. Leur système dentaire est variable; la plupart ont trente-six dents. On les distingue généralement en trois groupes : 1° les hélopithèques ou sapajous, qui comprennent les hurleurs, les atèles, les ériodes, les lagotriches et les sajous. Ils vivent tous sur les arbres, et ont une queue prenante; 2. les géopithèques ou sagouins, sont dépourvus de ces deux derniers caractères; leur longue queue, quelquefois très-épaisse, ne paraît avoir aucune utilité; on en distingue cinq genres: saimiri, callithrix, nyctipithèques, sakis, brachyure; 3° les arctopithèques (ours-singes), qui ont des griffes et trente-deux dents. Ils se composent des ouistitis et des tamarins.

Les lemuriens ressemblent aux singes par la conformation de leurs membres; mais ils ont la tête en museau pointu, qui les rapproche des insectivores. Ils comprennent les indris, les avahis et les makis, etc., et ils habitent presque tous Madagascar. Les cheiromiens et les galéopithèques, que M. Huxley considère comme deux familles, établissent la transition aux rongeurs et aux chauves-souris. (Trad.)

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