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truosité. Que ce déréglement de l'ostéogénie soit précoce ou tardif, passager ou permanent, la définition n'a pas à s'en préoccuper c'est toujours dans la nature intime de ce trouble que nous devons, nous, médecins, chercher les éléments de notre définition. En effet, s'il y a des gigantismes passagers, comment les définir? Les exemples n'en sont pas rares: un enfant, qui reste de taille ordinaire jusque vers sa douzième année, et qui soudain, en deux ou trois ans, subit une poussée excessive de croissance (laquelle d'ailleurs se termine vers la quinzième année), un tel enfant n'a-t-il pas traversé une crise passagère de gigantisme? Cela revient à dire que, pendant une période de sa vie, la fonction ostéogénique a subi une exaltation maladive. Rien de plus.

D'autres fois, elle se prolonge au delà de l'adolescence: la taille continue de s'élever, elle s'élève encore, elle dépasse notablement la mesure. Mais c'est toujours la même exaltation de la fonction ostéogénique. Et lorsqu'elle s'apaise, le sujet garde forcément ses dimensions acquises. Une fois parvenu à l'âge adulte, il restera un spécimen de gigantisme définitif.

Mais les choses vont souvent plus loin. Si l'ostéogénèse conserve son activité au delà de son temps normal, l'adulte, parvenu à l'âge où il devrait fixer en quelque sorte sa taille, continue encore de grandir, et il grandirait indéfiniment, si les organes qui président à la croissance subsistaient encore ou se renouvelaient indéfiniment eux-mêmes. Car, normalement l'allongement squelettique est régi par le processus d'ossification dont les cartilages juxta-épiphysaires sont le siège; et ces derniers tendent à disparaître vers la vingtième année. Mais qu'on suppose pour un instant que cette disparition n'ait pas lieu, et que les cartilages juxta-épiphysaires ne perdent rien de leur aptitude ostéogénique, la taille continuera de s'accroître. On concevrait, grâce à cet audacieux a priori, la possibilité d'une hypermégalie squelettique progressive. Certains géants seraient ainsi condamnés à grandir à perpétuité. Or, ceci n'est pas une simple hypothèse. Des faits indéniables (et les plus significatifs sont rapportés par les auteurs de ce livre)

démontrent la persistance illimitée des cartilages de conjugaison et de leur pouvoir ostéogéniqué. Sans doute les sujets ne continuent pas de grandir, dans chaque unité de temps, d'une quantité égale. Le processus se ralentit, mais il dure. Le tracé graphique de leur croissance correspond à une asymptote. MM. Launois et Roy en fournissent ici la démonstration.

Il y a quelque dix ans, nous disions :

« La croissance normale se fait surtout par les cartilages épiphysaires; mais lorsque ces cartilages sont ossifiés et que la soudure des épiphyses est irrévocablement parachevée, il n'est plus possible de grandir.

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C'est donc à la persistance des cartilages juxta-épiphysaires de conjugaison qu'est du le gigantisme. Pas d'élévation excessive de la taille sans un excès de la fonction ostéogénique des cartilages juxta-épiphysaires; pas de gigantisme sans la persistance au delà du terme normal de ces organes ostéogéniques et de leur pouvoir d'ossification.

Mais, ajoutions-nous : «< « A partir d'un certain âge, fixé d'avance pour tous aux environs de la vingtième année, les cartilages épiphysaires s'ossifient et le géant cesse de grandir. Il n'en est pas moins vrai que le travail pathologique peut durer plus longtemps encore, et le même géant, qui ne peut plus grandir, va devenir un acromégalique. »

Il existe donc un gigantisme acromégalique.

L'existence du gigantisme acromégalique est aujourd'hui hors conteste, et le remarquable faisceau d'observations rassemblé par les auteurs de ce livre, achèverait de convaincre les incrédules, s'il en restait encore. Il faut louer MM. Launois et Roy d'avoir impartialement collationné tant de faits dont la concordance suffit pour que la vérité s'en dégage spontanément.

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<«< Nos études sur le gigantisme, disent MM. Launois et Roy, entreprises sans parti pris et sans avoir pu prévoir à l'avance les résultats qu'elles nous donneraient, nous ont tout naturellement conduits à des conclusions identiques : nous avons tenu à remonter aux sources, à relire soigneusement et dans le texte original la plus grande partie de la littérature gigan

tologique, et nous nous trouvons obligés de déclarer que nous sommes encore à chercher l'observation précise et complète d'un géant (squelette, géant vivant ou géant autopsié) qui ne présente ni déformations acromégaliques, ni tumeur du corps pituitaire. Nous ne voulons pas affirmer qu'un tel géant ne puisse se rencontrer; mais en ce qui nous concerne, nous ne l'avons pas trouvé. »

Toutefois, comme le disait M. Pierre Marie lui-même, s'il est vrai que, « plus on observe de géants, plus on rencontre de géants acromégaliques », il n'est pas douteux non plus que certains individus de taille gigantesque peuvent ne pas présenter les grosses difformités de l'acromégalie. Il nous semblait à nous plus juste de dire qu'ils ne les présentent pas encore, et que les géants de cette catégorie sont des acromégaliques en puissance. MM. Launois et Roy le disent à leur tour : « Si tous les géants ne sont pas des acromégaliques, tous ceux du moins qui ne le sont pas déjà, sont aptes à le devenir. » L'étude que MM. Launois et Roy ont faite du « grand Charles » et du «< géant Constantin » est, à cet égard, particulièrement démonstrative.

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Existe-t-il donc des caractères propres aux géants qui ne sont pas encore acromégaliques? Oui, assurément. Ces candidats gigantesques à l'acromégalie sont marqués de stigmates morphologiques qui s'accordent parfaitement avec l'anomalie des organes ostéogéniques d'où dépend leur gigantisme. Ces sujets, chez lesquels la fonction des cartilages juxta-épiphysaires sait entretenir son activité au delà de l'âge où elle devrait s'éteindre, ces sujets, qui, grâce à une lamelle ostéogénique, conservent une portion de jeunesse déconcertante, ces mêmes sujets témoignent également par leur forme corporelle, qu'ils ont gardé nombre des caractères propres à l'enfance; autrement dit, ce sont des infantiles.

Par conséquent, il existe un gigantisme infantile.

Si l'on peut considérer a priori comme un paradoxe biologique la coïncidence d'une stature colossale avec une configuration enfantine, rien, au contraire, ne semblera moins

paradoxal si l'on se rappelle à quoi tient et se réduit cet accroissement inusité de la taille.

Tant que persistent les cartilages de conjugaison, le squelette n'abandonne aucun des attributs de l'enfance et de l'adolescence. Alors la période de l'adolescence se poursuit avec l'accroissement en hauteur qu'elle comporte; si bien qu'il est permis de dire que, si l'on grandit démesurément, c'est par suite d'un « arrêt de développement ». On voit, en effet, des adolescents de trente ans, comme ce géant Charles, qui a fait l'objet de tant d'intéressantes observations; on en trouvera dans ce volume une étude descriptive infiniment curieuse.

Ainsi, avant d'être acromégalique, un géant reste un infantile. Les caractères de l'infantilisme ont été, depuis ces dernières années, déterminés avec assez de précision pour qu'on soit désormais en mesure d'affirmer que tout géant digne de ce nom, et qui grandit encore, non seulement n'est pas acromégalique, mais que, nécessairement, il est un infantile. La radiographie, en effet, n'a-t-elle pas, dès ses débuts, rendu évident chez tous les infantiles le retard de l'ossification des cartilages juxtaépiphysaires?

En résumé, malgré l'élévation inusitée de la taille, beaucoup de géants conservent les apparences extérieures de l'enfance : appareil génital incomplètement développé, absence de poils. sur le visage et sur le corps, un pannicule adipeux assez épais, une voix grêle, la figure d'un enfant vieillot. Chez ces géants infantiles, MM. P.-E. Launois et Pierre Roy ont prouvé que les soudures épiphysaires sont exagérément tardives. Tant que la fusion des épiphyses n'est pas un fait accompli, le sujet reste encore capable de croître en hauteur. Mais vienne le jour où l'ossification est achevée, et alors l'intempérance de la fonction ostéogénique se traduit par des déformations nouvelles : le géant infantile se transforme en un géant acromegalique.

Ainsi, un trouble général domine le processus morbide qui aboutit, suivant l'âge, soit au gigantisme, soit à l'acromégalie. Ce « trouble » n'est, en somme, qu'une exagération de l'ostéogénie de croissance. Nous disons « suivant l'age », et nous

sommes tout prêt à dire, avec MM. Launois et Roy, « suivant la précocité ou le retard de la soudure des épiphyses ».

Mais quelle est la cause lointaine de ce déréglement? A quelle stimulation inusitée riposte la suractivité des cartilages? Quel est l'agent infectieux? Quelle est la toxine? Quel organe directeur oublie son rôle et laisse aller sans frein le processus hyperplasique? Ici, il faut bien l'avouer, nous en sommes réduits aux conjectures. Et cependant quelques faits d'observation médicale nous montrent la voie où l'hypothèse peut s'engager.

D'abord nous savons que, chez les adolescents, à la suite des maladies infectieuses, on voit se produire de rapides poussées de croissance. L'allongement des os semble même précéder et outrepasser celui des parties molles. Puis, nous connaissons le rôle non douteux que joue la sécrétion thyroïdienne dans le développement squelettique. Sous ce rapport, l'histoire du myxœdème et de l'infantilisme est prodigue de révélations.

Enfin, les altérations de la glande pituitaire sont à peu près constantes dans l'acromégalie.

Et il semble même qu'il existe certaine étroite corrélation entre la sécrétion interne de la glande génitale et le développement du squelette. MM. P.-E. Launois et Pierre Roy ont recueilli sur ces faits toutes les observations utilisables, mais elles ne sont pas assez nombreuses pour résoudre dès à présent le problème.

L'hypophyse, en particulier, nous réserve encore bien des surprises. Nul n'en a poussé l'étude aussi loin que l'a fait M. P.-E. Launois. Et si ce livre ne fait pas plus souvent appel aux belles recherches histologiques de l'un de ses auteurs c'est que l'intention en est exclusivement clinique.

Mais nous pensons ne pas commettre une indiscrétion en annonçant aux lecteurs qu'ils ne perdront rien pour attendre.

E. BRISSAUD.

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