Imagens das páginas
PDF
ePub

C'est donc chez les Grecs, et chez eux seuls, qu'il nous faut chercher l'origine et les monumens d'une science qu'ils ont créée, et que seuls ils ont eu les moyens de créer. Je n'appelle pas science la collection de quelques faits si frappans, qu'ils n'ont pu échapper à aucun observateur, ni quelques conséquences faciles à déduire, et qui ne supposent tout au plus qu'une opération arithmétique. Je n'appelle pas science la simple revue du ciel étoilé et sa distribution en certains groupes auxquels on a imposé des noms arbitraires, non plus que la division du zodiaque en 27 ou 28 maisons indiquées par le cours de la Lune, ou en douze signes qui répondent aux douze mois de l'année. Tout cela est si facile, qu'on a dû le trouver partout où l'on a voulu, et ce n'est guère la peine de rechercher quel est le peuple qui s'en est avisé le premier; ce doit être le plus ancien, et l'on n'aurait aucune raison valable pour refuser ces connaissances aux patriarches.

Ce que j'appelle science astronomique, c'est une théorie qui lie tous ces faits mieux observés, qui en donne la mesure plus précise, qui fournit les moyens de calculer tous les phénomènes, qui sait en conclure les distances et les vitesses des corps célestes, leurs marches, leurs rencontres, leurs éclipses, et qui sait assigner les tems et la manière différente dont ces phénomènes s'offriront aux habitans des divers pays. Or, voilà ce que les Grecs ont fait seuls, ce qu'ils ont seuls enseigné aux autres peuples, ce qu'ils ont fait d'une manière complète à certains égards, quoiqu'imparfaite encore à beaucoup d'autres.

Hérodote nous dit que Thalès avait annoncé aux peuples d'Ionie la fameuse éclipse de Soleil qui fit jeter les armes aux Mèdes et aux Lydiens, et l'historien fait remarquer comme une merveille, que l'astronome eût pu fixer d'avance l'année où devait s'observer un phénomène si remarquable. Faut-il d'autre preuve qu'on ignorait alors l'art de calculer une éclipse? Cette connaissance ne remonte pas plus haut qu'Hipparque, qui, le premier, donna aux Grecs une Trigonométrie, fixa plus sûrement la durée du mois lunaire et de l'année solaire, et sut déterminer la parallaxe de la Lune et sa distance à la Terre. En vain chercherait-on ces connaissances dans Aristarque, Archimède, Euclide. Aucun de ces géomètres fameux ne savait résoudre un triangle même rectangle, autrement que par des opérations graphiques. Quand Aristarque eut trouvé sa méthode ingénieuse pour estimer la distance du Soleil à la Terre, il parvint, par un emploi fait avec beaucoup d'adresse de toutes les ressources de la Géométrie de son tems, à prouver que cette distance

renfermait plus que 18 fois et moins que 20 la distance de la Lune à la Terre. En adoptant ses données, fort inexactes, Hipparque lui aurait prouvé, par une règle de trois, que ce rapport devait être celui de 19 à l'unité. Dans une recherche à peu près de même genre, Archimède est réduit à porter, sur un quart de cercle, un arc qu'il a mesuré; il trouve ainsi que le diamètre du Soleil surpasse 27', et qu'il est moindre que de 33', laissant une incertitude d'un cinquième sur une mesure si facile et si fondamentale.

Que trouvons-nous chez les géomètres qui l'avaient précédé ? Des considérations vagues et générales sur le mouvement diurne, et pas un théorème usuel.

Autolycus fait tourner une sphère; il examine la partie de ses différens cercles qui est au-dessous de l'horizon et celle qui est au-dessus; il rassemble et démontre géométriquement quelques propositions sur les levers et les couchers, sans pouvoir assigner en nombre, ni l'instant précis d'aucun phénomène, ni le tems qu'un point donné doit employer à passer de l'horizon oriental à l'horizon occidental.

[ocr errors]

Platon conseille aux astronomes de chercher l'explication des mouvemens célestes, dans la combinaison de différens cercles; ils suivent ce conseil, et faute d'idées assez précises et de bonnes observations, ils multiplient les cercles outre mesure et sans aucun succès.

Par les difficultés que rencontre l'établissement de l'Astronomie chez un peuple ingénieux qui avait produit des géomètres tels qu'Archimède et Apollonius, que l'on juge ce qu'a dû être la science, ce qu'elle a été certainement chez les nations qui n'avaient aucune Géométrie.

Il est démontré que du tems d'Archimède, les Grecs n'étaient guère plus avancés que les autres peuples desquels ils avaient pu emprunter ces notions vagues, disséminées chez leurs historiens. Toutes leurs connaissances se trouvent à fort peu près rassemblées dans le poëme d'Aratus, qui n'avait fait que mettre en vers deux ouvrages d'Eudoxe, dont Hipparque, dans son Commentaire, nous a conservé quelques fragmens précieux.

Aratus n'était point observateur, Eudoxe ne l'était guère davantage. Celui-ci avait fait ou s'était procuré un globe sur lequel, d'après des levers et des couchers, on avait placé grossièrement quelques étoiles brillantes et l'écliptique inclinée de 24°; il fait tourner ce globe, et remarque quelles étoiles se lèvent et se couchent ensemble; quelles constellations seront visibles en différentes saisons de l'année; il fait, de ces

remarques faciles et inexactes, un livre pour l'usage des navigateurs. Ce livre a une vogue qui prouve l'ignorance générale; ce livre est mis en vers, il a l'honneur d'être commenté par plusieurs astronomes, au nombre desquels très-heureusement se trouve Hipparque. Le poëme est traduit par Cicéron et Germanicus; l'original parvient jusqu'à nous avec le Commentaire de Théon et le Commentaire bien autrement intéressant d'Hipparque. Son importance s'accroît en raison de son antiquité; on y voit le dépôt des connaissances les plus précieuses; on suppose très-gratuitement, et contre le témoignage formel d'Hipparque, qu'il ne peut être fondé que sur des observations très-exactes; tout ce qu'il contient d'erroné devient article de foi, on n'ose le révoquer en doute; mais, d'après un mouvement découvert postérieurement par Hipparque, mouvement dont il n'est plus possible de douter, et qu'Hipparque ignorait encore au tems où il écrivait son Commentaire, la sphère d'Eudoxe ne donne pas les positions telles qu'elles devaient être de son tems. Newton calcule à quelle année doivent se rapporter les positions indiquées; il conçoit le hardi projet de réformer la Chronologie. Son système est vivement-combattu par Frèret; différens auteurs prennent parti pour ou contre. La victoire paraît demeurer au savant français; mais, dans cette guerre si longue et si inutile, on oublie précisément la chose par laquelle il fallait commencer. On renouvelle le scandale de la dent d'or; on néglige de discuter ces observations prétendues sur lesquelles on dispute sans s'entendre; on ne prend garde qu'à la position équivoque des solstices et des équinoxes. Mais Eudoxe et Aratus nous décrivent en même tems les deux colures, l'équateur et les deux tropiques. Si les observations sont bonnes, si elles sont d'une même époque, toutes les étoiles indiquées devront se trouver sur le cercle désigné. Au moyen du mouvement de précession, aujourd'hui parfaitement connu, nous pourrons vérifier la bonté des données; nous pourrons déterminer entre certaines limites l'époque des observations. Si tout ne s'accorde pas, nous pourrons dire à quel âge appartient telle partie de la sphère, à quel autre appartient telle autre partie qui n'est pas du même tems.

Or, ce calcul, que nous avons fait, prouve invinciblement que les étoiles placées sur un même cercle ne s'y trouvent pas réellement, que les unes ne peuvent jamais s'y trouver, et les autres ne peuvent s'y rencontrer ensemble; ensorte qu'il faudrait autant d'époques différentes qu'il y a d'étoiles dans cette sphère; qu'il ne suffit plus de remonter à des époques de mille à douze cents ans, qu'il faut remonter de deux

à trois mille ans ; et ce qui est surtout digne de remarque, que plusieurs étoiles n'étaient pas encore arrivées à la position où il les place, qu'elles n'y sont pas même aujourd'hui, et n'y viendront que dans trois cents ans ; de manière qu'Eudoxe s'est trompé de vingt-quatre siècles, à moins qu'on n'aime mieux remonter à vingt-trois ou vingt-quatre mille ans.

Que conclure de toutes ces remarques? Une chose si naturelle et si simple qu'on aurait pu l'affirmer avant d'en avoir fait le calcul: les observations étaient grossières, et les étoiles mal placées, parce qu'on manquait de moyens, et qu'on n'avait aucun des instrumens nécessaires pour un pareil travail. Rien de plus facile que de dessiner des groupes de constellations, de les placer sur un globe d'une manière qui représente à peu près ce qu'on a vu ou cru voir. Mais pour faire un bon globe et un bon catalogue d'étoiles, il y faut bien d'autres soins et bien d'autres ressources. Nous avons plusieurs de ces anciens catalogues rédigés sans instrument et sans observation véritable. Tels sont ceux qui passent sous les noms d'Eratosthène et d'Hygin. Ce sont de simples nomenclatures des étoiles qui composent une constellation, de celles qui sont à la tête, sur les bras ou la poitrine; du reste aucune indication précise. Tels sont les catalogues que nous trouvons chez les Chinois et les Indiens qui leur attribuent une antiquité fabuleuse que nous n'avons aucun intérêt à contester. Ils sont assez grossiers pour être aussi anciens qu'on voudra. Le premier catalogue vraiment digne de ce nom, est celui d'Hipparque. On sait avec quels éloges Pline a parlé de cet ouvrage. Pour le composer, Hipparque avait imaginé des instrumens dont on ne voit aucune mention avant lui, et qui ont été imités par tous ses successeurs. Avec ces nouveaux moyens, à quelle précision Hipparque est-il parvenu? à celle d'un demi-degré à peu près, comme nous le prouvons par une multitude de rapprochemens et de calculs qui, par des voies différentes, nous ramènent toujours au même résultat; et l'on voudrait qu'Eudoxe, les Chinois et les Indiens eussent fait mieux, eux à qui l'on ne connaît aucune Géométrie, aucun instrument, aucune méthode quelconque !

Si nous n'avions que les observations d'Hipparque et de Ptolémée pour juger du tems où vivaient ces grands astronomes, nous serions bien embarrassés pour y répondre d'un demi-siècle, et l'on voudrait fixer l'époque de Chiron et des Argonautes! Mais que pensera-t-on de ce long procès astronomique et chronologique, si nous ajoutons qu'il n'a été occasionné que par une méprise, par un simple malentendu.

que ses deux distances ou ses deux ombres solsticiales, et la hauteur de quelques montagnes mesurée avec une dioptre qui n'a pas été décrite. Géminus fait mention d'un instrument qui ressemblerait à l'équatorial; mais on ne connaît aucune observation à laquelle il ait servi. On connaît la dioptre d'Hipparque, imitée par Ptolémée; on connaît encore mieux l'astrolabe, dont il paraît l'inventeur, et avec lequel il a observé les distances de la Lune à l'Épi; avec lequel, sans doute, il a composé son Catalogue d'étoiles. Mais dans quel observatoire étaient ces deux instrumens d'Hipparque? en quel pays a-t-il fait ces observations qui lui ont acquis la réputation du plus grand astronome qu'ait produit l'antiquité? C'est ce que rien ne nous apprend bien clairement. Nous voyons, par son Commentaire sur Aratus, qu'il y prend le surnom de Bythinien; Pline lui donne celui de Rhodien; Suidas l'appelle Nicéen, ce qui revient à Bythinien. Ptolémée nous dit expressément que dans les années 619 et 620 de Nabonassar, il observa la Lune à Rhodes. Théon, dans son Commentaire (p. 63), nous dit que Ptolémée calcule tous ses exemples pour le climat de Rhodes, parce qu'Hipparque y a fait un grand nombre d'observations. S'il avait fait un long séjour à Alexandrie, il serait plus naturel que Ptolémée eût choisi, dans ses exemples, le parallèle de cette ville, qu'il habitait lui-même. Il est donc très-probable que c'est à Rhodes que demeurait Hipparque; que c'est-là qu'il a composé la plus grande partie de ses ouvrages; et de là le surnom que Pline lui donne. L'anonyme alexandrin qui a joint une note au livre de Ptolémée sur les disparitions et réapparitions des étoiles, nous apprend qu'Hipparque a observé en Bythinie tous les levers et couchers mentionnés par Ptolémee dans son opuscule. Il n'ajoute pas que, depuis, Hipparque soit venu observer à Alexandrie; aucun auteur ne lui donne le titre d'Alexandrin. C'est probablement aussi en Bythinie, qu'il a observé les levers et les couchers qu'il rapporte dans son Commentaire sur Aratus. Ces observations n'exigent aucun instrument; elles peuvent être de sa jeunesse, ainsi que son Commentaire, qui nous prouve qu'à l'époque où il le composa, il n'avait encore aucune idée du mouvement de précession.

On trouve dans Ptolémée une éclipse de Lune observée à Rhodes en l'an 606 de Nabonassar. Cette éclipse est probablement d'Hipparque, 'quoiqu'il n'y soit pas nommé; car nous n'avons connaissance d'aucun astronome rhodien à cette époque; et Bouillaud, qui avait un grand fond d'érudition astronomique, nous dit, page 13 de son Astronomie,

[ocr errors]
« AnteriorContinuar »