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tandis que M. Racine de son côté, avec non moins de dégoût, continuoit à disposer le plan de son opéra, sur lequel je lui prodiguois mes conseils. Nous étions occupés à ce misérable travail, dont je ne sais si nous nous serions bien tirés, lorsque tout-à-coup un heureux incident nous tira d'affaire. L'incident fut que M. Quinaut s'étant présenté au roi les larmes aux yeux, et lui ayant remontré l'affront qu'il alloit recevoir s'il ne travailloit plus au divertissement de sa majesté, le roi, touché de compassion, déclara franchement aux dames dont j'ai parlé, qu'il ne pouvoit se résoudre à lui donner ce déplaisir. Sic nos servavit Apollo[a]. Nous retournâmes donc, M. Racine et moi, à notre premier emploi, et il ne fut plus mention de notre opéra, dont il ne resta que quelques vers de M. Racine, qu'on n'a point trouvés dans ses papiers après sa mort, et que vraisemblablement il avoit supprimées par délicatesse de conscience, à cause qu'il y étoit parlé d'amour. Pour moi, comme il n'étoit point question d'amourette dans la scène que j'avois composée, non seulement je n'ai pas jugé à propos de la supprimer; mais je la donne ici au public, persuadé qu'elle fera plaisir aux lecteurs, qui ne seront peut-être pas fâchés de voir de quelle manière je m'y étois pris, pour adoucir

[a] Tout ce récit annonce avec quelle répugnance les deux amis s'occupoient d'un travail de commande. D'Alembert pourtant semble faire entendre qu'ils l'avoient eux-mêmes recherché dans l'intention de mortifier Quinault : « Despréaux, dit-il, entreprit, conjointement « avec Racine, un opéra, dans lequel ils crurent effacer ce poëte qu'ils méprisoient, et montrer la facilité d'un genre d'ouvrage, « dont ils ne parloient qu'avec dédain. Despréaux en fit le prologue, « que par malheur aucun musicien ne put venir à bout de mettre « en musique; Orphée même y auroit échoué. » (Éloge de Despréaux.) Cette dernière circonstance est, selon toute apparence, de l'invention de l'historien de l'académie.

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l'amertume et la force de ma poésie satirique, et pour me jeter dans le style doucereux. C'est de quoi ils pourront juger par le fragment que je leur présente ici, et que je leur présente avec d'autant plus de confiance, qu'étant fort court, s'il ne les divertit, il ne leur laissera pas du moins le temps de s'ennuyer.

PROLOGUE.

LA POÉSIE, LA MUSIQUE.

LA POÉSIE.

Quoi! par de vains accords et des sons impuissants, Vous croyez exprimer tout ce que je sais dire?

LA MUSIQUE.

Aux doux transports, qu'Apollon vous inspire, Je crois pouvoir mêler la douceur de mes chants. LA POÉSIE.

Oui, vous pouvez aux bords d'une fontaine
Avec moi soupirer une amoureuse peine,
Faire gémir Thyrsis, faire craindre Clymène;
Mais, quand je fais parler les héros et les dieux,
Vos chants audacieux

Ne me sauroient prêter qu'une cadence vaine.
Quittez ce soin ambitieux.

LA MUSIQUE.

Je sais l'art d'embellir vos plus rares merveilles.

LA POÉSIE.

On ne veut plus alors entendre votre voix.

LA MUSIQUE.

Pour entendre mes sons, les rochers et les bois
Ont jadis trouvé des oreilles.

LA POÉSIE.

Ah! c'en est trop, ma sœur, il faut nous séparer.

Je vais me retirer.

Nous allons voir sans moi ce que vous saurez faire.

LA MUSIQUE.

Je saurai divertir et plaire;

Et mes chants, moins forcés, n'en seront que plus doux (1).

LA POÉSIE.

Hé bien, ma sœur, séparons-nous.

LA MUSIQUE.

Séparons-nous.

LA POÉSIE.

Séparons-nous.

CHOEUR DE POÈTES ET DE MUSICIENS [a].
Séparons-nous, séparons-nous.

LA POESIE.

Mais quelle puissance inconnue
Malgré moi m'arrête en ces lieux?

LA MUSIQUE.

Quelle divinité sort du sein de la nue?

LA POÉSIE.

Quels chants mélodieux

Font retentir ici leur douceur infinie?

LA MUSIQUE.

Ah! c'est la divine Harmonie,

Qui descend des cieux!

(1) Boileau avoit raison de ne pas vouloir jouter avec Quinault dans l'opéra. Il n'avoit point de vocation pour ce genre, et je ne crois pas que ce prologue donne un démenti à ce que j'avance. Lulli, tout Lulli qu'il étoit, n'auroit pas mis facilement en musique ees deux vers:

Nous allons voir sans moi ce que vous saurez faire.

Et mes chants moins forcés n'en seront que plus doux.

(Le Brun.)

[a] Quelques éditeurs, entre autres celui de 1740, écrivent :

LA POÉSIE.

Qu'elle étale à nos yeux
De graces naturelles!

LA MUSIQUE.

Quel bonheur imprévu la fait ici revoir!

LA POÉSIE ET LA MUSIQUE.

Oublions nos querelles,

Il faut nous accorder pour la bien recevoir.

CHOEUR DE POÈTES ET DE MUSICIENS.

Oublions nos querelles,

Il faut nous accorder pour la bien recevoir.

Chœur des poëtes et des musiciens. C'est une faute copiée sur l'édition

de 1713.

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