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ÉPITRE VII.

A M. RACINE [a].

Que tu sais bien, Racine, à l'aide d'un acteur [b], Émouvoir, étonner, ravir un spectateur!

Jamais Iphigénie, en Aulide immolée,

[a] Cette épître fut composée, avant la VI, à l'occasion de la tragédie de Phèdre que Racine fit représenter le 1er janvier 1677. [b] Pradon fait sur ce vers une longue remarque, dont le début suffit pour sentir combien elle est absurde: « A l'aide d'un acteur, « dit-il, n'est pas une belle expression, il semble que l'on crie à l'aide comme la populace; secours eût été bien plus noble et plus «naturel, mais par malheur il ne pouvoit pas entrer dans son « vers, etc., etc. » ( Nouvelles Remarques, page 72.)

Fen M. Germain Garnier, pair de France, à qui l'on doit des notes en général exactes sur les œuvres de Racine, s'étonne [a] que Despréaux ait commencé cette épître par un vers qui semble annoncer que son ami devoit le succès de ses pièces au jeu des acteurs. Une telle explication étoit fort loin de la pensée du poëte. Personne ne savoit mieux combien le charme du style de Racine est indépendant du prestige de la scène; mais pour consoler l'auteur de Phèdre, qui succomboit sous les efforts d'une cabale, il aimoit à lui rappeler les représentations d'Iphigénie, à lui peindre le triomphe de cette tragédie si achevée comme la source de l'acharnement de l'envie contre son nouveau chef-d'œuvre.

[a] OEuvres complètes de Jean Racine, avec le commentaire de M. de La Harpe, tome IV, page 378.

N'a coûté (1) tant de pleurs à la Grèce assemblée,
Que dans l'heureux spectacle à nos yeux étalé

En a fait [a] sous son nom verser la Champmêlé (2).
Ne crois pas toutefois, par tes savants ouvrages,

(1) Il vaudroit mieux ne coûta, pour éviter la fréquence du son e, répété avant et après : c'est du moins avec cette version que Boileau récitoit le vers, comme me l'a répété Louis Racine lui-même, dont je suis l'élève. (Le Brun.) * Comment la leçon imprimée a-t-elle donc été maintenue par l'auteur dans toutes ses éditions?

[a] N'en a fait sous son nom.

Si cette leçon, qui est dans l'édition de 1683, étoit plus correcte, elle étoit moins coulante.

(2) Célèbre comédienne. (Despréaux, édit. de 1713.) * La voix de cette actrice n'étoit pas moins attendrissante que la composition du poëte, qui l'initia dans l'art de déclamer ses vers enchanteurs. Voy. le tome IV, page 436, note b. Iphigénie fut jouée en 1674.

l'on

Saint-Marc pense que peut juger de la déclamation de Racine par celle de mademoiselle Duclos, élève de mademoiselle Champmêlé, dont elle étoit la nièce. « Nous y trouverions aujour« d'hui, dit-il, trop d'apprêt et trop d'enflure. »

l'on ne

fait

Louis Racine ne partage point cette opinion à l'égard de son père. Il se fonde sur ce que " pas attention que la Champmêlé, quand elle eut perdu son maître, ne fut plus la même, et que, venue sur l'âge, elle poussoit de grands éclats de voix, qui « donnèrent un faux goût aux comédiens [a]. »

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Voltaire parle de la déclamation de ce temps-là comme d'une espèce de chant, et laisse La Fontaine vanter celle de la célébre actrice :

Que ce conteur heureux qui plaisamment chanta

Le démon Belphegor et madame Honesta,

L'Ésope des Français, le maître de la fable,

Ait de la Champmélé vanté la voix aimable,

Ses accents amoureux et ses sons affectés,

[a] Mémoires sur la vie de Jean Racine, 1808, page 70.

Entraînant tous les cœurs, gagner tous les suffrages.

Sitôt que d'Apollon un génie inspiré
Trouve loin du vulgaire un chemin ignoré,
En cent lieux contre lui les cabales s'amassent;
Ses rivaux obscurcis autour de lui croassent [a]:
Et son trop de lumière importunant les yeux,
De ses propres amis lui fait des envieux [b].
La mort seule ici-bas, en terminant sa vie,
Peut calmer sur son nom l'injustice et l'envie [c];

Écho des fades airs que Lambert a notés;

Tu n'étais pas alors: on ne pouvait connaître
Cet art qui n'est qu'à toi, cet art que tu fais naître.

(Épitre à mademoiselle Clairon.)

Quel que soit l'empire de l'usage, il est plus que vraisemblable que Racine n'en étoit point l'esclave, et que dans sa manière de déclamer, comme dans son style, il consultoit son génie et la nature. Lorsque La Fontaine adressoit le conte de Belphegor à mademoiselle Champmêlé, en 1678, cette actrice devoit jouer d'après les leçons encore récentes que lui avoit données l'auteur de Phèdre.

[a] Pindare compare les clameurs de l'envie aux croassements des corbeaux. (Olym. II, v. 157.)

[b] Urit enim fulgore suo qui prægravat artes

[c]

Infra se positas; exstinctus amabitur idem.

(Horace, liv. II, ép. I, vers 13-14.)

On craint ceux dont la gloire efface leurs rivaux:

On les admire éteints dans la nuit des tombeaux.

(M. Daru.)

Virtutem incolumem odimus,

Sublatam ex oculis quærimus invidi.

(Horace, liv. III, ode XXIV, vers 31—32.)

Envieux que nous sommes,

Tant qu'ils sont sur la terre ennemis des grands hommes,

Nous en sentons le prix quand ils ont disparu.

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(M. Daru.)

Faire au poids du bon [a] sens peser tous ses écrits,
Et donner à ses vers leur légitime prix.

Avant qu'un peu de terre, obtenu par prière [b],
Pour jamais sous la tombe eût enfermé Molière,
Mille de ses beaux traits, aujourd'hui si vantés,
Furent des sots esprits à nos yeux rebutés.
L'ignorance et l'erreur à ses naissantes pièces,
En habits de marquis, en robes de comtesses,
Venoient pour diffamer son chef-d'œuvre nouveau,
Et secouoient la tête à l'endroit le plus beau.
Le commandeur vouloit la scène plus exacte;
Le vicomte indigné sortoit au second acte [c]:
L'un, défenseur zélé des bigots mis en jeu,
Pour prix de ses bons mots le condamnoit au feu;

[a] Faire au poids du droit sens.

( Édit. ant. à celle de 1701.)

A la place de ces deux vers, il y en avoit deux autres que l'auteur supprima sans doute pour ne pas s'exposer au ressentiment de la duchesse de Bouillon et du duc de Nevers, son frère, qui protégeoient hautement la Phèdre de Pradon. Brossette paroît n'avoir retenu de ces deux vers que ce qui suit:

Réprimer

Des sots de qualité l'ignorante hauteur.

[b] Molière étant mort en état d'excommunication, le curé de Saint-Eustache, sa paroisse, lui refusa la sépulture ecclésiastique. Sa veuve en porta ses plaintes au roi, qui fit dire à l'archevêque de Paris, Harlay de Chanvalon, d'éviter l'éclat et le scandale.

[c] Pour faire sa cour au commandeur de Souvré, le comte du Broussin sortit un jour au second acte de l'École des Femmes, en disant tout haut qu'il ne concevoit pas la patience que l'on avoit d'écouter une pièce où les règles étoient ainsi violées.

L'autre, fougueux marquis, lui déclarant la guerre,
Vouloit venger la cour immolée au parterre [a].
Mais, sitôt que d'un trait de ses fatales mains
La Parque l'eut rayé du nombre des humains,
On reconnut le prix de sa muse éclipsée.
L'aimable comédie, avec lui terrassée,
En vain d'un coup si rude espéra revenir,
Et sur ses brodequins ne put plus se tenir[b].
Tel fut chez nous le sort du théâtre comique.

Toi donc qui, t'élevant sur la scène tragique,
Suis les pas de Sophocle [c], et, seul de tant d'esprits,
De Corneille vieilli sais consoler Paris,

Cesse de t'étonner si l'envie animée,

Attachant à ton nom sa rouille envenimée,

La calomnie en main quelquefois te poursuit.
En cela, comme en tout, le ciel qui nous conduit,
Racine, fait briller sa profonde sagesse.

Le mérite en repos s'endort dans la paresse;

[a] Un spectateur, nommé Plapisson, placé sur le théâtre, haussoit les épaules à chaque éclat de rire du parterre, et, le regardant avec mépris, lui disoit tout haut: « Ris donc, parterre; ris donc. » Molière n'a pas oublié ce trait dans la VI scène de la Critique de l'École des Femmes.

[b] Put plus est un peu rude à l'oreille; mais Boileau avoit raison, dit Voltaire. (Dictionnaire philosophique, au mot Art dramatique.) Au contraire, suivant Le Brun, ces mots, loin d'être durs, font beauté: « Le vers est chancelant comme le personnage. »

[c] Ce n'est pas sans intention que Despréaux nomme ici Sophocle au lieu d'Euripide, le poëte de prédilection de son ami : il a voulu faire entendre que ce dernier savoit, quand il le falloit, atteindre à la plus haute élévation.

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