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Sur les champs Africains agitant ses ailes étendues,

Tel le Dieu dans son vol coupoit les vents, franchissoit les plaines, Les immenses forêts, les sables arides et brûlans.

Il s'abat hors des murs vers quelques cabanes écartées. Il voit Énée animant, dirigeant le travail, tracer, fonder Des remparts. Son glaive est orné de jaspe : à l'aventure Sur son épaule se joue un manteau de pourpre éclatant d'or, Riche présent de l'amour, que la Reine avoit tissu de ses mains. Mercure en ces termes lui parle. « A quel emploi descends-tu? >> Sous les loix d'une femme oubliant ton peuple, ta grandeur, >> Est-ce à toi d'affermir les tours naissantes de Carthage? >> Des mortels, des Dieux le Monarque suprême, devant qui >> Tremblent la terre et le ciel, me fait en ce moment voler vers toi >> Des hauteurs de l'Olympe. Connois ses ordres éternels. >> Oisif sur les bords Lybiens, qui t'arrête? Si ton cœur >> Indifférent à la gloire, au rang que le sort te réservoit, >> Par ce brillant espoir n'est point entraîné, souviens-toi » D'un fils. Vois ce héros naissant, contemple cet Empire >> Immortel : vois Rome, et le monde promis à cet enfant!» Il dit, et dans les airs s'évapore soudain. Le héros reste Sans mouvement, sans voix. A cet aspect imprévu, son sang Vers son cœur se retire, et tout son corps est glacé d'horreur.

Il voudroit suivre la voix du devoir, l'ordre absolu des Dieux : Il voudroit fuir ces bords trop chéris. Hélas! que peut-il faire? Tentera-t-il d'instruire la Reine? et comment frapper un coup Aussi cruel, soutenir son juste courroux, braver ses larmes, Ses transports, sa douleur ? Par quel détour ôser l'aborder? Mille rapides projets tour-à-tour partagent sa pensée Errante, irrésolue: il pèse tout; il se détermine

Enfin il fait venir les chefs; il prescrit à Sergeste,

:

Au vigilant Mnesthée, au brave Cloanthe d'assembler

Attonitus tanto monitu imperioque Deorum.
Heu! quid agat? quo nunc Reginam ambire furentem
Audeat affatu? quæ prima exordia sumat?

Atque animum nunc huc celerem, nunc dividit illuc;
In partesque rapit varias, perque omnia versat.
Hæc alternanti potior sententia visa est.

Mnesthea, Sergestumque vocat, fortemque Cloanthum :
Classem aptent taciti, sociosque ad littora cogant;
Arma parent; et quæ sit rebus causa novandis,
Dissimulent sese interea, quando optima Dido
Nesciat et tantos rumpi non speret amores,
Tentaturum aditus, et quæ mollissima fandi
Tempora, quis rebus dexter modus. Ocius omnes
Imperio læti parent, ac jussa faces sunt.

At Regina dolos (quis fallere possit amantem?)
Præsensit, motusque excepit prima futuros,
Omnia tuta timens : eadem impia fama furenti
Detulit, armari classem, cursumque parari.
Sævit inops animi, totamque incensa per urbem
Bacchatur: qualis commotis excita sacris
Thyas, ubi audito stimulant trieterica Baccho
Orgia, nocturnusque vocat clamore Cytheron.
Tandem his AEneam compellat vocibus ultro :

«Dissimulare etiam sperasti, perfide, tantum
>> Posse nefas? tacitusque meâ decedere terrå?
>>Nec te noster amor, nec te data dextera quondam,
»Nec moritura tenet crudeli funere Dido?

>>Quin etiam hyberno moliris sidere classem,
» Et mediis properas Aquilonibus ire per altum,

Leurs soldats près des chantiers, de tout ordonner sous-main
Pour faire armer la flotte, en s'efforçant de déguiser

L'objet de ces mouvemens. Lui cependant verroit la Princesse,
Prendroit le tems, les tours, les tempéramens pour adoucir
Un coup fatal, qu'une amante,hélas! et trop tendre et trop sensible,
Est bien loin de prévoir, ni de craindre. A cet ordre inattendu,
Les chefs, impatiens de la gloire, obéissent avec joie.

Maisqui peut tromper l'Amour? De Didon bientôt l'œil a percé
Un mystère odieux. Redoutant tout alors que tout est calme,
Sondant, interrogeant, elle a déjà pressenti la tempête.
Déjà ce monstre impur qui divulgua sa honte, a su l'instruire
Qu'en secret on dispose la flotte, et que l'ordre de partir
Est donné. Dans l'instant la fureur s'empare de ses sens.
On la voit sombre, égarée, oubliant son rang et sa fierté,
Porter de tous côtés ses pas. Aux pieds du Cithéron

Tels sont les transports, tels sout les cris d'une Bacchante,
Lorsqu'agitée à l'approche du Dieu qui la presse et la maîtrise,
Dans les bois un thyrse à la main, elle court, et fait entendre
Ses nocturnes clameurs dont les montagnes retentissent.
Dans sa colère, la Reine adresse au perfide ce discours:

« Ainsi tu dissimulois! le croyois-tu pouvoir cacher un crime » Aussi noir? as-tu pu croire à mon insu déserter mon Empire? >> Ingrat! ni tant de liens, ni le don de ma main et de mon cœur, » Jusqu'à ma mort, cette mort affreuse où ta fuite me condamne, » Rien ne t'arrête! Et tu prends pour fuir l'instant où la saison >> Sur les mers a déchaîné l'orage! Insensé! tu crains moins

» Les aquilons que de voir ton amante! Et que cherches-tu? des bords » Lointains! des remparts ignorés! Ta patrie avoit ses droits: >> Mais quand Troye encore existeroit, faudroit-il enfin

>> Sur les flots menaçans t'exposer? Réponds-moi : me fuis-tu? » Par ces pleurs, au nom de l'amour que tu m'as juré, par toi,

>> Grudelis! Quid? si non arva aliena domosque » Ignotas peteres, et Troja antiqua maneret; » Troja per undosum peteretur classibus æquor? >> Mene fugis? perego has lacrymas dextramque tuam, te, » (Quando aliud mihi jam miseræ nihil ipsa reliqui) >> Per connubia nostra, per inceptos Hymenæos; >>Si bene quid de te merui, fuit aut tibi quicquam >>Dulce meum; miserere domus labentis ; et istam » Oro, si quis adhuc precibus locus, exue mentem. >> Te propter Libycæ gentes, Nomadumque tyranni >>Qdere, infensi Tyrii: te propter eundem

» Extinctus pudor, et, quâ solâ sidera adibam, » Fama prior: cui me moribundam deseris hospes? » Hoc solum nomen quoniam de conjuge restat. » Quid moror? an mea Pygmalion dum moenia frater »Destruat? aut captam ducat Getulus Iarbas? » Saltem si qua mihi de te suscepta fuisset >>Ante fugam soboles, si quis mihi parvulus aulà >> Luderet AEneas, qui te tantum ore referret: >> Non equidem omnino capta aut deserta viderer. »> Dixerat. Ille Jóvis monitis immota tenebat Lumina, et obnixus curam sub corde premebat.

Tandem pauca refert: «Ego te, quæ plurima fando >> Enumerare vales, nunquam Regina negabo » Promeritam: nec me meminisse pigebit Elis; >> Dum memor ipse mei, dum spiritus hos reget artus. >> Pro re pauca loquar. Nec ego hanc abscondere furto Speravi, ne finge, fugam; nec conjugis unquam

כל

» Prætendi tædas, aut liæc in foedera veni.

כג

» (Car tu me restois seul, tu le sais, hélas! je n'ai plus rien,)
>> Par nos feux, par nos sermens, au nom de notre hymen,
>> Daigne du moins m'entendre! Et si mes bien faits, si ma tendresse
>> M'ont donné sur ton cœur des droits, si jamais je te fus chère,
» Par pitié, rends-moi la vie ! il en est tems: change de pensée.
>> Vois mon sort: vois les dangers, barbare, où tu m'exposes!
» Contre moi les Africains armés, Carthage mécontente.
» Pour toi, sujets, alliés, j'ai tout perdu, tout immolé pour toi,
>> Jusqu'à ma gloire, hélas! si flatteuse et si chère à mon orgueil!
» Hôte cruel (d'un nom plus doux ton épouse se servit)!

>> En quelles mains tu la livres mourante! et qu'attendra-t-elle encore?
» Qu'enfin Pygmalion vienne inonder de sang et de carnage
>> Mes remparts malheureux ? Faut-il, captive d'Iarbas,

» Traîner ma honte à sa Cour? Si du moins ton amour m'avoit laissé
» En partant, un fils! Si cet enfant charmoit mon ennui

» Par ses jeux innocens, et me rendoit l'image de son père!
» Ah!je me croirois moins trompée, et toi moins coupable!» Ainsi
Parla Didon. Son amant tenoit ses yeux fixes et haissés,
Renfermant son trouble et soumis aux ordres éternels.

Il s'efforce enfin de répondre. « O Reine! plaignez-moi,
» Mais ne m'accusez pas d'être ingrat. Jamaisje n'oublierai
» Vos bienfaits, vos soins généreux : et d'Elise et de Carthage,
>> Un tendre, un douloureux souvenir remplira ma pensée,
>> Tant qu'un souffle de vie encor fera palpiter mon cœur.

» Non, d'un vil fugitif ne me prêtez point le caractère :

>> Non, je ne vous fuis point: j'obéis aux Dieux. De notre hymen
>> Ces Dieux, vous le savez, n'ont point voulu consacrer les nœuds:
>> Par les vents jetté dans vos ports, je devins votre conquête;
» Mais je ne cherchois pas ce bonheur. Si le Ciel m'avoit laissé
» Maître de mon destin, Troye en ce moment seroit encore
L'objet de tous mes soins : l'infortuné reste de mes frères,

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Nos citoyens au glaive échappés, à ma voix se rallicroient:

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