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qu’Énée, en rappelant ce discours, n'en connaît pas encore le sens véritable et qu'à ses yeux la menace n'est pas une plaisanterie. Tout est réuni pour épouvanter les Troyens: 1o leur crime; remarquez l'emphase des expressions, la place et la répétition de bellum, l'injustice de la guerre, pro cæde boúm, Harpyias insontes, patrio regno; Laomedontiada rappelle l'idée de perfidie; 2° leur châtiment; c'est le même ton d'importance, accipite, hæc mea figite dicta, quæ Phœbo pater omnipotens, mihi Phœbus Apollo; enfin ces mots qui promettent tant d'horreurs, Furiarum ego maxima. Observez en même temps avec quelle adresse Virgile se conforme à la tradition, qui faisait prononcer l'oracle par Jupiter ou par Apollon. Enfin la connaissance précise du destin des Troyens, Italiam petitis, ibitis Italiam, cet accord exact avec les oracles précédents confirme la vérité de celui-ci, et pour ajouter encore à la vraisemblance, la justice de la vengeance, nostræ injuria cædis, est l'idée qui précède l'arrêt; ambesas subigat malis absumere mensas.-L'impression produite sur les Troyens achève de donner au récit la grandeur et la noblesse épique. Leur terreur est vivement exprimée par la rapidité et la coupe des deux premiers vers, at socis... L'énergie des expressions, l'emploi de celles-ci, votis, precibus, exposcere pacem, l'attitude d'Anchise, passis de littore palmis, Numina magna vocat, la vivacité de cette prière subite, Di, prohibete minas, Di..., pios placé à la fin, pour attester leur

Una in præcelsà consedit rupe Celano,

Infelix vates, rumpitque hanc pectore vocem :
«Bellum etiam pro cæde boum stratisque juvencis,
Laomedontiadæ, bellumne inferre paratis,
Et patrio Harpyias insontes pellere regno?
Accipite ergo animis, atque hæc mea figite dicta:
Quæ Phœbo pater omnipotens, mihi Phœbus Apollo
Prædixit, vobis Furiarum ego maxima pando.
Italiam cursu petitis, ventisque vocatis,
Ibitis Italiam, portusque intrare licebit :
Sed non antè datam cingetis moenibus urbem,
Quàm vos dira fames, nostræque injuria cædis
Ambesas subigat malis absumere mensas.»>
Dixit, et in sylvam pennis ablata refugit.

At sociis subità gelidus formidine sanguis
Diriguit; cecidêre animi; nec jam amplius armis,
Sed votis precibusque jubent exposcere pacem,
Sive deæ, seu sint diræ obscenæque volucres.
Et pater Anchises, passis de littore palmis,
Numina magna vocat, meritosque indicit honores :
Di, prohibete minas! Di, talem avertite casum,
Et placidi servate pios!» Tum littore funem
Deripere excussosque jubet laxare rudentes,

innocence; peut-on mieux peindre le trouble et l'effroi des Troyens?

La prédiction des Harpies est le fait important de la quatrième année. Virgile termine brièvement le récit de la navigation qui conduit les Troyens au promontoire d'Actium.—A la vue d'Ithaque, Énée ne dit pas comme pour les autres rivages, apparet, aperitur, mais effugimus, qui exprime à la fois la présence de l'île, l'action des Troyens et le sentiment d'horreur que le vers suivant complète, et terram altricem sævi execramur Ulyssei.—Le fameux promontoire est annoncé avec grandeur, mox et Leucatœ......, et formidatus nautis... Si les Troyens débarquent sur ce rivage, c'est pour y passer l'hiver; s'ils y célèbrent des jeux, c'est pour ajouter à la solennité des sacrifices offerts aux dieux, qui les ont délivrés de tant de dangers, inesperatâ tandem tellure potiti..., votis incendimus aras..., juvat evasisse tot urbes argolicas... Ainsi rien de forcé dans l'allusion à la victoire d'Actium et aux jeux institués par Auguste. Un autre poëte aurait peut-être signalé cette année par la description des jeux; mais Virgile n'oublie pas qu'Énée, qui passe rapidement sur des objets plus importants, ne doit pas s'arrêter à ces détails: la raison l'emporte sur le désir de plaire. Cependant n'est-il pas étonnant que les Troyens, qui côtoyaient avec crainte les rivages de la Grèce, passent tranquillement l'hiver au promontoire d'Actium? C'est la réflexion que fait naître cette inscription, Æneas hæc de Danais victoribus arma; dans un autre pays que celui des ennemis, elle ne serait qu'une vaine bra

Tendunt vela Noti; fugimus spumantibus undis,
Quà cursum ventusque gubernatorque vocabant.
Jam medio apparet fluctu nemorosa Zacynthos,
Dulichiumque, Sameque, et Neritos ardua saxis.
Effugimus scopulos Ithaca, Laertia regna,
Et terram altricem sævi exsecramur Ulyssei.
Mox et Leucatæ nimbosa cacumina montis,
Et formidatus nautis aperitur Apollo.
Hunc petimus fessi, et parvæ succedimus urbi:
Anchora de prorà jacitur; stant littore puppes.
Ergo insperatâ tandem tellure potiti,

Lustramurque Jovi, votisque incendimus aras,
Actiaque Iliacis celebramus littora ludis.
Exercent patrias oleo labente palæstras
Nudati socii: juvat evasisse tot urbes

Argolicas, mediosque fugam tenuisse per hostes.
Interea magnum sol circumvolvitur annum,
Et glacialis hiems Aquilonibus asperat undas.
Ære cavo clypeum, magni gestamen Abantis,
Postibus adversis figo, et rem carmine signo:
ENEAS HÆC DE DANAIS VICTORIBUS ARMA.

vade. Nous allons encore voir Énée, qui ne sait pas qu'Hélénus

règne en Épire, entrer dans un port du royaume de Pyrrhus. X

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Ici commence la cinquième année depuis la ruine de Troie, et la dernière du récit d'Énée. C'est la plus féconde en événements ou en rencontres touchantes et merveilleuses. Virgile y consacre le reste du troisième livre.

Lorsqu'Énée aborde aux rivages d'Épire, où il rencontre Andromaque, le poëte est encore fidèle à la tradition. Au moyen de ce personnage, qu'Homère et les tragiques grecs lui offraient tout créé, il compose un des récits les plus touchants et les plus admirables de l'Énéide. L'expression générale annonce des faits extraordinaires, hic incredibilis rerum fama occupat aures. Chaque vers, chaque détail augmente la surprise: 1. un fils de Priam règne sur les Grecs, Priamiden, per Graias urbes, regnare; 2o il occupe le lit et le trône, de quel roi? Eacido Pyrrhi...; 3° cette épouse de Pyrrhus devenue l'épouse d'Hélénus, c'est Andromaque, et patrio... Andromachen!... Le lecteur ne peut-il pas dire avec Énée, obstupui, miroque incensum pectus amore... casus cognoscere tantos?

Virgile conserve à Andromaque le seul caractère qui puisse la rendre intéressante: elle est toujours le modèle de la fidélité conjugale et de l'amour maternel. Il se hâte donc de détruire l'impression produite par la nouvelle de son double mariage, et surtout de son mariage avec Pyrrhus. Le lieu où Énée la rencontre suffit déjà pour la justifier, solemnes tùm fortè dapes... Dans les deux premiers vers terminés par ce souvenir pittoresque et touchant de la patrie, falsi Simoentis ad undam, il règne une tristesse que le vers suivant augmente, libabat cineri..., manesque vocabat, et qui

Linquere tum portus jubeo, et considere transtris:
Certatim socii feriunt mare, et æquora verrunt.
Protinus aerias Phæacum abscondimus arces,
Littoraque Epiri legimus, portuque subimus
Chaonio, et celsam Buthroti accedimus urbem.

Hic incredibilis rerum fama occupat aures,
Priamiden Helenum Graias regnare per urbes,
Conjugio acidæ Pyrrhi sceptrisque potitum,
Et patrio Andromachen iterum cessisse marito.
Obstupui; miroque incensum pectus amore
Compellare virum, et casus cognoscere tantos.
Progredior portu, classes et littora linquens.
Solemnes tum fortè dapes et tristia dona,
Ante urbem in luco, falsi Simoentis ad undam,
Libabat cineri Andromache, Manesque vocabat

pénètre au fond du cœur avec les derniers détails, Hectoreum ad tumulum, viridi cespite inanem, geminas aras, causam lacrymis: il est inutile de dire à qui le second autel est consacré. Andromaque n'a pas encore parlé, et déjà nous ne voyons en elle que la veuve d'Hector et la mère d'Astyanax. Au milieu des devoirs qu'elle rend à ce tombeau, quoi de plus naturel que cet effet subit de la présence d'Énée, Amens, magnis exterrita monstris? Elle tombe sans force, diriguit..., calor ossa reliquit, labitur. Les mots suivants, longo vix tandem, font sentir la durée de son évanouissement; et quand elle reprend ses sens, son imagination frappée semble voir dans le héros une ombre sortie des enfers, verane te facies, verus... vivisne... Remarquez surtout le trait caractéristique, Hector ubi est? On n'entend bientôt plus que les cris d'une femme hors d'elle-même, lacrymas effudit, et omnem implevit clamore locum, furenti.—L'état et le discours d'Énée ne sont pas moins touchants, vix pauca..., raris turbatus vocibus hisco, vivo equidem... Quelle image imposante et sublime de la grandeur d'Hector, cette grandeur d'où la mort du héros a précipité Andromaque, heu! quis te casus dejectam conjuge tanto!... Peut-on mieux amener, mieux autoriser le reproche que renferme cette question de l'ami d'Hector à sa veuve, Hectoris, Andromache, Pyrrhin', connubia servas ?

Après l'agitation et les cris d'Andromaque, ce changement d'attitude, expression naturelle de son embarras, la lenteur et le ton du vers, dejecit vultum, et demissâ voce locuta est, rendent la scène encore plus vraie et plus touchante. «J'ai obéi aux ordres du vainqueur devenu mon maître. » Aux yeux même des anciens, qui

Hectoreum ad tumulum, viridi quem cespite inanem,
Et geminas, causam lacrymis, sacraverat aras.
Ut me conspexit venientem, et Troia circùm
Arma amens vidit, magnis exterrita monstris,
Diriguit visu in medio; calor ossa reliquit;
Labitur; et longo vix tandem tempore fatur :
«Verane te facies, verus mihi nuntius affers,
Nate deà; vivisne? aut, si lux alma recessit,
Hector ubi est?» Dixit, lacrymasque effudit, et omnem
Implevit clamore locum. Vix pauca furenti

Subjicio, et raris turbatus vocibus hisco:

« Vivo equidem, vitamque extrema per omnia duco.
Ne dubita; nam vera vides.

Heu! quis te casus dejectam conjuge tanto

Excipit? aut quæ digna satis fortuna revisit?

Hectoris, Andromache, Pyrrhin' connubia servas? »>

Dejecit vultum, et demissà voce locuta est;

sur les droits de la guerre et les devoirs des captifs avaient d'autres idées que les nôtres, cette réponse pouvait à peine justifier Andromaque. Mais l'indulgence que l'esprit n'a point, Virgile la trouvera dans nos cœurs. Avec quelle force et quelle vérité elle envie le bonheur de Polyxène, 6 felix una ante alias!... Et quel est donc ce bonheur? C'est une mort sanglante, hostilem ad tumulum... jussa mori, mais une mort qui l'affranchit de tant d'outrages. En opposition avec le sort glorieux de Polyxène, voyez l'abaissement retracé dans ces mots, sortitus pertulit, heri, captiva, tetigit cubile, nos patriâ incensâ... stirpis Achilleæ fastus..., servitio enixœ... Qui ne sent pas l'horreur de la cruelle nécessité sous laquelle Andromaque a fléchi? Aurions-nous la force de la trouver coupable? Quant au mariage avec Hélénus, tout ce qui précède et les mœurs des anciens justifient la captive, me famulo famulam...

En racontant la mort de Pyrrhus, Virgile semble avoir tracé pour Racine le caractère, la passion et l'action d'Oreste, ereptæ magno inflammatus amore conjugis, et scelerum furiis agitatus, excipit incautum, obtruncat ad aras. Le plus bel éloge que nous puissions faire de l'épisode tout entier, c'est qu'il a suffi pour inspirer au poëte français sa tragédie d'Andromaque. Enfin dans les questions qu'à son tour elle adresse au héros, on reconnaît encore une mère et la veuve d'Hector, quid puer Ascanius..., ecqua tamen puero est amissæ cura parentis? C'est un moyen tout naturel de nous apprendre qu'Andromaque est instruite de la perte de Créuse, et d'éviter des questions inutiles. Il n'y a pas moins

« O felix una ante alias Priameïa virgo,
Hostilem ad tumulum, Trojæ sub moenibus altis,
Jussa mori, quæ sortitus non pertulit ullos,
Nec victoris heri tetigit captiva cubile!
Nos, patrià incensà, diversa per æquora vectæ,
Stirpis Achilleæ fastus, juvenemque superbum,
Servitio enixæ. tulimus; qui deinde, secutus
Ledæam Hermionen Lacedæmoniosque hymenæos,
Me famulam famuloque Heleno transmisit habendam.
Ast illum, ereptæ magno inflammatus amore
Conjugis, et scelerum furiis agitatus, Orestes
Excipit incautum, patriasque obtruncat ad aras.
Morte Neoptolemi regnorum reddita cessit
Pars Heleno, qui Chaonios' cognomine campos,
Chaoniamque omnem Trojano a Chaone dixit,
Pergamaque Iliacamque jugis hanc addidit arcem.
Sed tibi qui cursum venti, quæ fata dedère?
Aut quisnam ignarum nostris deus appulit oris?
Quid puer Ascanius? superatae, et vescitur aurà?
Quem tibi jam Troja,

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