Imagens das páginas
PDF
ePub

Quoique le discours suffise, Virgile a soin de justifier encore la crédulité de la sœur de Didon, non tamen Anna...: remarquez surtout le dernier trait, non graviora timet quàm morte Sichæi.

[ocr errors]

C'est ainsi que le poëte arrive à la construction du bûcher, dont il a besoin pour le dénouement. Le discours justifie déjà la hauteur que peignent ces mots, erectâ, ingenti. Les préparatifs que Didon fait elle-même sur ce bûcher achèvent d'y joindre l'idée de sa mort, qu'elle ne perd pas de vue, haud ignara futuri. · Virgile avait eu soin d'annoncer comment l'épée d'Énée se trouve entre les mains de Didon, Anna, thalamo quæ fixa reliquit : il répète, ensemque relictum. — Au milieu des opérations magiques, nous trouvons réunis en quelques vers tous les objets de l'effroi des mortels dans les conjurations infernales; la prêtresse, crines effusa, sa voix, tonat ore, les noms des dieux et des enfers, tercentum Deos, Erebumque, Chaosque, etc.; les cérémonies, et chaque détail accompagné de circonstances magiques, latices simulatos fontis Averni, falcibus ahenis, messæ ad lunam, etc...; Didon elle-même, unum exuta pedem, in veste recinctâ, et en terminant, les deux idées qui servent de fondement et de liaison à toutes les parties de ce récit, sa mort et son amour, testatur moritura..., tum, si quod... amantes.....· Cette description répand sur l'action une sombre horreur.

Énée devant partir avant la mort de Didon, on prévoit les difficultés et les dangers d'une dernière entrevue. D'un autre côté,

Non tamen Anna novis prætexere funera sacris
Germanam credit, nec tantos mente furores
Concipit, aut graviora timet quàm morte Sichæi.
Ergo jussa parat.

At regina, pyrâ penetrali in sede sub auras
Erectà ingenti tædis atque ilice sectâ,
Intenditque locum sertis, et fronde coronat
Funereà; supèr exuvias, ensemque relictum,
Effigiemque toro locat, haud ignara futuri.
Stant aræ circùm; et crines effusa sacerdos
Ter centum tonat ore Deos, Erebumque, Chaosque,
Tergeminamque Hecaten, tria virginis ora Dianæ.
Sparserat et latices simulatos fontis Averni;
Falcibus et messæ ad lunam quæruntur ahenis
Pubentes herbæ, nigri cum lacte veneni;
Quæritur et nascentis equi de fronte revulsus

Et matri præreptus amor.

Ipsa molâ manibusque piis, altaria juxta,
Unum exuta pedem vinclis, in veste recinctà,

Testatur moritura Deos et conscia fati

Sidera; tum, si quod non æquo foedere amantes

Curæ numen habet, justumque memorque precatur.

s'il s'en dispense, s'il abandonne sans adieux une reine qui l'a reçu dans ses états, une femme qui l'a comblé de bienfaits et d'amour, n'aurons-nous pas droit d'accuser son cœur ? Pour sortir d'embarras, Virgile rejette encore sur les dieux la fuite précipitée des Troyens. Après la description précédente et l'effet que ce genre d'idées et d'action doit produire sur une imagination en désordre, on conçoit ce retour à la fureur que le poëte va préparer, et qui, pouvant porter la reine aux derniers excès, amène avec vraisem: blance un nouveau message de Mercure.

Les couleurs du récit continuent d'être en harmonie avec le sujet. Le poëte nous transporte au milieu de la nuit ; et pour faire ressortir l'agitation de Didon, il développe un tableau mélancolique du repos et du silence de la nature entière. Après l'idée générale, nox erat, nous voyons: 1o les diverses parties de l'univers, la terre où les animaux reposent, la mer et ses ondes paisibles, les cieux et le cours insensible des astres; la douceur et l'uniformité du son de l'a, ainsi que les repos nombreux indiqués par le sens, conviennent à l'idée de la nuit et du calme; 2o le silence de la nature; les premiers mots se font à peine entendre, tant ils sont courts, rapides et peu sonores, quum tacet omnis ager! Le prolongement de la phrase, et avec l'idée des animaux habitants de la terre, de l'air, des eaux et des bois, l'expression de la nuit, du sommeil et du silence où ils sont tous plongés, somno positæ, nocte silenti, enfin la lenteur du dernier vers et le genre d'idées qu'il exprime, lenibant curas et corda oblita laborum, tous ces détails et la cadence forment un contraste frappant avec la situation de Didon, qu'annoncent (si brusquement ces mots, at non et infelix animi, ainsi rapprochés du vers précédent : les mouvements et le style coupé des quatre vers rendent encore l'agitation plus sensible. Quelle hardiesse dans ces mots, oculisve aut pectore noctem accipit! Pour compléter la gradation, rien de plus beau que cette métaphore, qui retrace les bouillonnements d'une mer en courroux, magnoque irarum fluctuat æstu.

Nox erat, et placidum carpebant fessa soporem
Corpora per terras; sylvæque et sæva quiêrant
Æquora; quum medio volvuntur sidera lapsu;
Quum tacet omnis ager; pecudes, pictæque volucres,
Quæque lacus latè liquidos, quæque aspera dumis
Rura tenent, somno positæ sub nocte silenti
Lenibant curas, et corda oblita laborum.

At non infelix animi Phoenissa, neque unquam
Solvitur in somnos, oculisve aut pectore noctem
Accipit ingeminant curæ; rursusque resurgens

:

[ocr errors]

Comme nous l'avons déjà vu, Virgile sait à la fois raisonner, et conserver à la passion son langage et ses mouvements. Dans le monologue, où Didon va exprimer avec tant de vérité le trouble affreux de son âme, il achève de prouver qu'il ne lui reste aucun autre parti que la mort. Ne pourrait-elle pas épouser un des princes Africains, pour se soustraire à la vengeance des autres ? La réponse se trouve jointe à la question, irrisa, supplex, quos ego sim totiès... Ne pourrait-elle point partir avec les Troyens? Quoique ultima jussa annonce combien il en coûterait à son orgueil, ce projet conviendrait mieux à son amour : aussi faut-il plus de raisons pour le combattre. 1o L'ingratitude des Troyens, quiane... quelle force ajoute à l'expression la tournure et l'ironie, juvat, bene, memores, stat! 2o Fac velle fait sentir que cet obstacle ne suffirait pas; mais elle craint de n'être pas reçue sur la flotte le sentiment exprimé par ce mot hardi, superbis, joint à ratibus, ainsi que par invisam et les deux interrogations, amène cette réponse qui peint si bien l'amertume de ses regrets, nescis, heu, perdita, necdùm... 3o Dans quel état elle se représente sur la flotte des Troyens, sola, fugâ, et pour comble de tourments, nautas ovantes! Si du moins les Tyriens suivaient leur reine, omnique manu stipata meorum inferar! Mais cet espoir est aussitôt renversé, et quos Sidoniâ vix urbe revelli, rursus agam pelago... - Il ne lui reste donc qu'à mourir : elle porte la sentence, quin morere; elle la confirme comme juste, ut merita es, comme avantageuse, ferroque averte dolorem. Peut-on dire plus en moins de mots? L'alliance de ferro avec dolorem est pleine de beautés. — La gradation nous conduirait aux fureurs, que Virgile se ménage pour le départ des Troyens. C'est donc avec beaucoup d'art que, par

Sævit amor, magnoque irarum fluctuat æstu.
Sic adeò insistit, secumque ita corde volutat :
«En quid ago? rursusne procos irrisa priores
Experiar, Nomadumque petam connubia supplex,
Quos ego sim toties jam dedignata maritos?
Iliacas igitur classes atque ultima Teucrûm
Jussa sequar? quiane auxilio juvat antè levatos,
Et bene apud memores veteris stat gratia facti?
Quis me autem, fac velle, sinet, ratibusque superbis
Invisam accipiet? Nescis heu! perdita, necdum
Laomedonteæ sentis perjuria gentis!

Quid tum? sola fugâ nautas comitabor ovantes?
An Tyriis omnique manu stipata meorum
Inferar, et, quos Sidonià vix urbe revelli,

Rursus agam pelago, et ventis dare vela jubebo?
Quin morere, ut merita es, ferroque averte dolorem.

un mouvement naturel, il reporte Didon vers la source de son infortune. Quelle vérité dans le sentiment, et dans l'expression des reproches qu'elle adresse à sa sœur ! Comme elle regrette sa première innocence, non licuit... ! L'exagération, more feræ, convient à sa situation. Ne sent-on pas les remords de son infidélité et ses tourments pénétrer jusqu'au fond de l'âme, avec le dernier vers, e dernier mot, et le silence qui le suit, non servata fides cineri promissa Sichæo?

Le lecteur prévoit les dangers dont la fureur de Didon menace les Troyens. Mercure apparaît donc au moment nécessaire, et le départ subit se trouve justifié par l'ordre des dieux. Mais dans les détails approuverons-nous le sommeil d'Énée, jam certus eundi carpebat somnos? Tandis que Didon est en proie à ses douleurs, l'auteur de tant de maux goûte un profond repos! Ce n'est pas justifier le poëte que de dire, comme Delille, qu'il en avait besoin pour l'apparition de Mercure. Ne pouvons-nous pas dire avec le dieu, quoique dans un autre sens, nate deâ, potes hoc sub casu ducere somnos?· Énée ne devant pas hésiter, Virgile insiste sur la ressemblance du Dieu qui lui apparaît en songe avec celui qu'il a vu en plein jour, vultu eodem, omnia similis, vocem, etc... L'impression doit être forte et prompte. Tel est d'abord l'effet des premières interrogations, et de cette apostrophe, demens! Illa convient à la rapidité de la pensée. Et dans l'expression du danger, quelle énergie, dirum nefas versat, vario irarum fluctuat æstu (répétition d'ailleurs trop rapprochée, v. 532), præceps et præcipitare dans le même vers, ce tableau jam mare turbari trabibus...,

Tu, lacrymis evicta meis, tu prima furentem
His, germana, malis oneras, atque objicis hosti.
Non licuit thalami expertem sinè crimine vitam
Degere, more feræ, tales nec tangere curas!
Non servata fides cineri promissa Sychæo! »
Tantos illa suo rumpebat pectore questus.
Æneas celsâ in puppi, jam certus eundi,
Carpebat somnos, rebus jam rite paratis.
Huic se forma dei vultu redeuntis eodem
Obtulit in somnis, rursusque ita visa monere est,
Omnia Mercurio similis, vocemque, coloremque,
Et crines flavos, et membra decora juventæ :
«Nate deâ, potes hoc sub casu ducere somnos?
Nec, quæ te circum stent deinde pericula, cernis?
Demens! nec Zephyros audis spirare secundos?
Illa dolos dirumque nefas in pectore versat,
Certa mori, varioque irarum fluctuat æstu.
Non fugis hinc præceps, dum præcipitare potestas?
Jam mare turbari trabibus, sævasque videbis

fervere littora flammis. Enfin, la seule preuve que Mercure ait le temps de donner, varium et mutabile semper femina ! — La célérité du départ est vivement dépeinte par ces mots énergiques, subitis, corripit, sociosque fatigat, par ce discours subit, præcipites vigilate..., et par le mouvement qu'impriment aux paroles la rapidité de la mesure, la plupart des images, l'apostrophe et la prière, sequemur te..., adsis ó..., par l'action même d'Énée..., eripit ensem..., ferit retinacula, enfin par la briéveté et l'action rapide de chaque partie de ces deux vers, idem omnes simul ardor habet, rapiuntque ruuntque, littora....

Quoique la reine s'attende au départ d'Énée, cette fuite précipitée est un nouvel outrage. Dans l'agitation où nous l'avons laissée, et sur le point de se livrer à ses fureurs, elle se trouve ainsi amenée au comble de la rage; et sans s'arrêter à décrire son étonnement, le poëte peint aussitôt ses transports, terque quaterque manu..., flaventesque abscissa comas, proh! Jupiter... !

Lorsque Virgile a conduit les Troyens à Carthage, nous savons quel était son but. Il y arrive dans ce discours : c'est ici qu'il fait remonter à l'origine des deux peuples la rivalité de Rome et de Carthage. On sait l'opinion des anciens sur le pouvoir des imprécations, surtout quand elles étaient prononcées au moment de la mort. Celles de Didon seront accomplies par les infortunes du

Collucere faces, jam fervere littora flammis,

Si te his attigerit terris Aurora morantem.

Eia age, rumpe moras: varium et mutabile semper
Femina. » Sic fatus, nocti se immiscuit atræ.

Tum verò Æneas, subitis exterritus umbris,
Corripit e somno corpus, sociosque fatigat :
«Præcipites vigilate, viri, et considite transtris;
Solvite vela citi: deus, æthere missus ab alto,
Festinare fugam tortosque incidere funes
Ecce iterum stimulat. Sequimur te, sancte deorum,
Quisquis es, imperioque iterum paremus ovantes.
Adsis ô, placidusque juves, et sidera cœlo
Dextra feras. » Dixit, vaginàque eripit ensem
Fulmineum, strictoque ferit retinacula ferro.

Idem omnes simul ardor habet; rapiuntque, ruuntque;
Littora deseruêre: latet sub classibus æquor:
Adnixi torquent spumas, et cærula verrunt.
Et jam prima novo spargebat lumine terras
Tithoni croceum linquens Aurora cubile:
Regina e speculis ut primùm albescere lucem
Vidit et æquatis classem procedere velis,
Littoraque et vacuos sensit sine remige portus,
Terque quaterque manu pectus percussa decorum,
Flaventesque abscissa comas: « Proh Jupiter! ibit

« AnteriorContinuar »