Ce tableau magnifique de la gloire nationale achève de déterminer le but de l'action, et de fixer l'intérêt et l'attention du Romain sur la source de tant de puissance et de grandeur, sur l'établissement des Troyens en Italie. On ne voit pas la nécessité du message de Mercure; à moins que, pour le complément du morceau, Virgile ne veuille que Jupiter ne se borne pas à des paroles. La suite du récit suffisait pour justifier l'accueil que les Troyens reçoivent à Carthage. Outre ces détails, jussa facit, ponunt ferocia corda, regina quietum accipit in Teucros animum, quelques mots devraient peutêtre présenter ce message comme un moyen de prévenir l'influence de Junon; la liaison serait plus sensible. A la tristesse de Vénus, au langage majestueux de Jupiter, succède une scène, où la joie de la déesse et la légèreté de son déguisement contrastant avec la douleur et la gravité de son fils abusé, répandent un charme inexprimable. Vénus vient ranimer l'espoir d'Énée et préparer son arrivée à Carthage : il n'était pas besoin de justifier cette démarche d'une mère; mais il fallait montrer comment le héros abandonne ses compagnons, et va lui-même à la découverte. Ses inquiétudes et l'importance de l'action, exprimées dans les cinq premiers vers, le justifient d'abord; ensuite nous voyons la prudence du chef dans cette foule de mots et d'images accumulés en deux vers, in convexo, sub rupe cavatâ, arboribus clausam circum: horrentibus umbris, occulit : la flotte et les Troyens sont en sûreté. Sous son déguisement, Vénus conserve sa beauté. Quelles grâces répandent sur ce tableau la légèreté d'une cadence facile et variée, Hæc ait, et Maià genitum demittit ab alto, le genre d'expressions et d'images dont il se compose, virginis os... virginis arma spartanæ, vel qualis equos..., volucremque..., de humeris... arcum..., comam... ventis..., nodoque sinus collecta fluentes! Afin de n'être pas reconnue, et pour la vraisemblance, Vénus donne à croire qu'elle n'est pas seule dans la forêt : c'est une conséquence du prétexte qu'elle emploie, pour aborder Énée, monstrate mearum vidistis si quam... Cette image embellit le signalement, maculosæ tegmine lyncis; l'idée des cris est ennoblie par celle du courage, spumantis apri cursum clamore prementem. Énée répond à la double question de la chasseresse, neque audita, neque visa, ó..., il allait ajouter virgo; il s'arrête, et l'interrogation exprime vivement l'incertitude, quam te memorem? Le raisonnement vient à son aide, namque haud tibi vultus mortalis...; il conclut, ô dea certè, et ne conserve que ce doute gracieux, an Phœbi soror, an nympharum sanguinis una. Ne suivons-nous pas le mouvement de l'esprit passant à une idée nouvelle? Dès lors Énée ne parle plus qu'à une divinité, sis felix..., multa tibi ante aras... hostia, et, plus loin au commencement d'un autre discours, ô dea. On ne peut exprimer d'une manière plus heureuse la beauté de Vénus déguisée : c'est encore une déesse aux yeux d'Énée; et la pénétration du héros relève en même temps la dignité de son rôle. Le ton des derniers vers est bien celui de l'infortune, quo Cui mater medià sese tulit obvia sylvâ, Ac prior: «Heus, inquit, juvenes, monstrate mearum sub cœlo..., quibus orbis in oris jactemur, ignari... erramus... Rien de plus naturel que ces questions, que Vénus et le poëte attendaient pour donner les détails suivants. Remarquez d'abord la cadence et le tour gracieux des paroles de Vénus. En justifiant la dignité du costume, qui peut la trahir, ce vers y ajoute encore, purpureoque altè suras vincire cothurno. Ce style coupé convient au préambule, punica regna..., sed fines Libyci..., imperium Dido..., longa est...: après longæ ambages, cette image est remarquable, summa sequar fastigia rerum. Il y a beaucoup d'art à placer le récit des aventures de Didon immédiatement avant l'arrivée d'Énée à Carthage; mais le plus grand avantage que Virgile y trouve, c'est de pouvoir l'abréger, summa sequar..., ce qui devenait impossible, s'il était fait ailleurs par le poëte ou par Didon elle-même. Au commencement du récit, le changement de ton est sensible. Remarquez l'enchaînement clair et facile des faits et des circonstances. Pour caractériser la scélératesse de Pygmalion, le poëte rassemble en quelques vers les traits les plus énergiques, scelere ante alios immanior omnes, quos inter venit furor; l'impiété, impius ante aras; l'avarice, auri cæcus amore; la perfidie, clam, incautum superat; la cruauté envers une sœur, securus amorum germana, at ægram..., malus... Dans la découverte du crime, on trouve encore tout ce qui peut inspirer l'horreur et déterminer à une grande action; l'apparition de l'ombre, ipsa inhumati imago conjugis; la pâleur du spectre et ces formes dont l'imagination ne peut se rendre compte, ora modis attollens pallida miris; les circonstances principales, crudeles aras... Virgile Purpureoque altè suras vince cothurno. Punica regna vides, Tyrios et Agenoris urbem: Huic conjux Sichæus erat, ditissimus agri a soin de ne pas laisser au scélérat la jouissance du crime, portantur avari Pygmalionis opes pelago. Ce trait vif et précis termine heureusement cette partie du récit, dux femina facti. Observez ensuite la marche paisible des quatre vers, où nous voyons les Tyriens arrivés au terme de leurs travaux, devenére locos... Affectant de ne pas connaître Énée, et cherchant l'occasion de lui rendre l'espoir, Vénus devait terminer par ces questions, sed vos qui tandem, quibus ab oris, quòve...... Le langage sévère et majestueux du héros forme un contraste frappant avec les paroles de la déesse. L'idée générale, la durée et le nombre des infortunes sont d'abord exprimés avec autant de noblesse que d'énergie. — Énée répond ensuite à la première et à la seconde question de la déesse (qui tandem? quibus ab oris?), nos Troja antiqua... La répétition élégante, Troja, indique bien que dans ces contrées éloignées le nom de Troie pourrait être nouveau. Pius est le surnom d'Énée, comme Magnus et Augustus les surnoms de Pompée et de César (Octave): la célébrité du héros est un fait que lui-même devait connaître, famâ super æthera notus: observez d'ailleurs que la modestie n'est pas la vertu des héros antiques.-Énée répond à la troisième question (quove tenetis iter?), Italiam quæro patriam... L'état de la flotte à son départ, Crudeles aras trajectaque pectora ferro Nudavit, cæcumque domûs scelus omne retexit. bis denis navibus, et l'espoir que ce vers rappelle à Vénus surtout, matre dea monstrante viam, font ressortir les malheurs suivants, vix septem... supersunt, ipse ignotus, egens, Libya deserta peragro. Énée vient d'apprendre qu'il est en Afrique; il en tire cette conséquence, Europâ atque Asia pulsus: on le voit prêt à s'abandonner à toute sa douleur; mais Vénus ne peut plus longtemps supporter le désespoir de son fils, nec plura querentem passa..., medio interfata dolore est. Quelle vérité! Quel naturel! Observez encore dans le discours de Vénus la grâce de l'expression, et d'abord l'élégance de cette tournure négative, haud, credo, invisus cœlestibus auras vitales carpis... Afin de ne pas trahir sa divinité, elle fonde sa prédiction sur un art connu des mortels, ni frustra augurium vani docuére parentes.-Le nombre des cygnes est égal à celui des vaisseaux qu'Énée croit perdus les autres rapports sont aussi faciles à saisir. En opposition avec les dangers que peignent ces mots, æthereâ quos lapsa plagá Jovis ales aperto turbabat cœlo, remarquez l'image répétée de la joie, l'expression générale, lætantes, les détails, nunc terras capere, aut captas jam despectare videntur, ludunt stridentibus alis, enfin le signe le plus éclatant, cantusque dedére: une image si vive et si belle de la sécurité qui succède au danger, ne doit-elle pas réveiller l'espoir d'Énée? Pour achever de rassurer son fils, Vénus se fait connaître en partant. Considérez sa position par rapport au héros, dont elle s'éloigne, avertens...; nous ne la voyons avec lui que par-derrière. Virgile peint 1o le cou de la déesse, roseâ cervice refulsit; remar Matre deâ monstrante viam, data fata secutus: " Quisquis es, haud, credo, invisus Coelestibus auras Perge modò, et, quà te ducit via, dirige gressum. » |