exacte observation des convenances : les noms d'Anchise et de Priam ajoutent à l'importance des présents offerts par le pieux Troyen au vieux roi Latinus. Non content d'accueillir les Troyens dans son royaume, Latinus propose à Énée la main de sa fille. En admettant que dès lors il puisse songer à cette union, ne serait-il pas convenable et même naturel d'attendre au moins l'arrivée du héros, qu'il n'a jamais vu? Virgile tâche de justifier cet empressement du vieux roi. Nous avons remarqué le but et l'effet de son premier discours : maintenant voyez cette attitude de la réflexion, defixa... obtutu tenet ora, soloque immobilis hæret, intentos volvens oculos, connubio natæ... moratur. Le poëte semble nous faire penser avec Latinus, et reconnaître avec lui l'époux destiné à Lavinie, hunc illum fatis... portendi generum...: enfin la gloire de sa postérité, hinc progeniem..., totum quæ viribus occupet orbem; et alors il n'hésite plus, tandèm lætus ait... Dans le discours, Virgile rappelle encore l'oracle de Faune, et présente sous une autre forme les raisons de Latinus, est mihi nata... Cependant malgré les efforts et l'adresse du poëte, le lecteur pensera toujours que le roi pouvait Huc repetit; jussisque ingentibus urget Apollo Tyrrhenum ad Thybrim, et fontiş vada sacra Numici. Munera, relliquias Trojà ex ardente receptas. Hoc pater Anchises auro libabat ad aras; Hoc Priami gestamen erat, quum jura vocatis Talibus Ilionei dictis defixa Latinus Obtutu tenet ora, soloque immobilis hæret, sans risque attendre quelques jours, et l'on aperçoit trop le besoin de ne pas différer la proposition. Au reste, dans le ton du discours, et surtout dans le style coupé du début, dans ce mélange d'expressions nobles et familières, vous reconnaissez le caractère de Latinus. Les cent coursiers choisis dans les haras du roi, ce genre de présent qu'on ne fait point à un peuple ennemi, confirme les promesses du roi des Latins et l'assurance de la paix. C'est d'ailleurs un moyen de terminer le récit avec une magnificence digne de l'ambassade. Ces trois vers resplendissent de l'éclat de la pourpre et de l'or, instratos ostro..., fulvum mandunt aurum. Remarquez l'expression poétique et merveilleuse de l'ardeur et de la légèreté des coursiers destinés au héros, semine ab æthereo..., Circe... nothos furata... Enfin les derniers mots et le résultat de l'action présentent la situation des Troyens sous l'aspect le plus favorable, talibus donis....., pacemque reportant. Nous ne voyons plus en eux qu'un peuple ami des Latins, et dans Énée que l'époux destiné à Lavinie par Latinus lui-même. Les passions et l'intérêt d'Amate et de Turnus suffiraient à l'historien pour soulever les peuples d'Italie : sous la main du poëte, ce récit va s'embellir des merveilles de l'épopée. : Depuis la fin du cinquième livre, la protection de Neptune a préservé les Troyens des fureurs de Junon mais au moment où ils se croient parvenus au terme de leurs travaux, nous voyons tout à coup reparaître l'implacable déesse, ecce autem.,. sæva Non patrio ex adyto sortes, non plurima colo Hæc effatus, equos numero pater eligit omni. Jovis conjux... Ce qui frappe d'abord, c'est la ressemblance de cette situation avec celle du premier livre : la répétition d'une scène aussi remarquable peut à peine être excusée par les nouvelles beautés qu'elle fait naître. La brièveté et les proportions du premier récit n'avaient pas permis de peindre avec autant de détails et de grandeur la position de Junon, auras invecta tenebat, ex æthere longè..., prospexit ab usque Pachyno. Peut-on mieux motiver son dépit, lætum Ænean, moliri jam tecta, jam fidere terræ ? On sent l'énergie de stetit acri fixa dolore, et l'accord de quassans caput avec les mouvements des paroles suivantes, heu! stirpem invisam ! Dans le premier monologue, Junon n'exprimait que d'une manière générale l'inutilité de ses efforts, mene incepto desistere victam. Maintenant que de nouveaux affronts ont encore accru son dépit et sa fureur, elle les repasse tous dans l'amertume de son âme. Après l'expression générale, fatis nostris contraria fata Phrygum, la pensée se développe. 1o Le siége, la prise, et l'incendie de Troie, num Sigeis occumbere campis, num capti potuere capi, num incensa cremavit Troja viros? Quelle concision, quelle beauté dans les trois interrogations suivies de cette réponse désespérante, per medias acies, per medios ignes invenére viam! (ce n'est pas, malgré l'énergie de l'expression, que nous approuvions le jeu de mot emprunté à Ennius, capti capi). Quelle rage dans le calme ironique de la déesse raisonnant avec elle-même sur l'impuissance de sa divinité et de sa haine, at, credo, mea numina tandèm fessa jacent, odiis aut exsaturata quievi! 2o Le dernier mot, quievi, amène le tableau de ses fureurs depuis la ruine de Troie, quin etiàm..., per undas...: excussos au lieu de pulsos, infesta, ausa sequi, font bien sentir à quels excès s'est portée sa haine, dont les détails et la cadence de ce vers, absumptæ in Teucros vires cœlique Sæva Jovis conjux, aurasque invecta tenebat, marisque, expriment avec, tant d'énergie les efforts et l'étendue. Les dangers qu'elle leur a suscités, et la violence du mouvement, quid Syrtes, aut Scylla mihi, quid vasta Charybdis..., forment un contraste parfait avec le calme actuel des Troyens et avec l'expression de leur sécurité, optato conduntur Thybridis alveo, securi pelagi atque mei ! Les vers suivants sont de beaucoup inférieurs à ceux du premier livre qu'ils rappellent; cependant ils sont encore remplis de beautés. La brusquerie et l'énergie de ces mots, quod scelus... tantum... merentem, produisent un grand effet. En laissant de côté les vers correspondants du premier monologue, nous pourrons encore admirer ceux-ci, ast ego, magna Jovis conjux... L'emphase de l'expression, la grandeur et la multiplicité des efforts, nil linquere inausum..., memet in omnia verti, forment l'opposition la plus humiliante avec ces mots ainsi rejetés, vincor ab Eneâ. Enfin le mépris de Junon pour elle-même et pour sa puissance nous conduit naturellement à cette conséquence, quod si mea numina non sunt magna satis..., flectere si nequeo superos, Acheronta movebo: ce vers admirable exprime la pensée principale du discours, dont le but est d'amener l'action de la déesse recourant aux enfers pour accomplir sa vengeance. Le poëte pourrait, comme dans le premier livre, terminer ici le monologue, et faire aussitôt évoquer Alecton. Mais il profite de cette occasion, pour réfuter une objection toute naturelle sur l'acharnement de Junon, qui sait bien devoir un jour fléchir sous la loi du destin. C'est même un nouveau moyen de peindre la violence et l'excès de sa haine. Quand elle a si bien reconnu que les destins l'emporteront, non dabitur..., esto........, atque immota manet fatis..., peut-on porter plus loin la rage que dans cette réponse, at trahere, atque moras tantis licet addere rebus? Quelle énergie Absumptæ in Teucros vires cœlique marisque : Quid Syrtes aut Scylla mihi, quid vasta Charybdis Ipse Deùm antiquam genitor Calydona Dianæ : Quod scelus aut Lapithas tantum, aut Calydona merentem Quæ potui, infelix! quæ memet in omnia verti, Vincor ab Æneà! Quòd si mea numina non sunt Magna satis, dubitem haud equidem implorare quod usquam est Non dabitur regnis (esto)prohibere Latinis, Atque immota manet fatis Lavinia conjux : At trahere, atque moras tantis licet addere rebus; la répétition de at licet donne à cette horrible pensée, amborum populos exscindere regum ! Comme elle se délecte dans l'alliance des idées de l'hymen et des images les plus affreuses de la guerre, hâc gener atque socer coeant mercede suorum, sanguine dotabere, virgo, Bellona pronuba! Lorsqu'elle compare Vénus avec une mortelle, Énée avec Paris, ne sent-on pas toute l'expression du mépris dans les premières images, face prægnans, enixa, ignes jugales, et dans la place même de partus suus et de Paris alter? Enfin, malgré son aveu précédent, et suivant la nature de la passion qui se plaît à s'abuser, le dernier vers annonce encore un reste d'espoir, funestæque iterum recidiva in Pergama tædæ. La colère produit sur la pensée et la parole le même effet que sur le visage : plus elle est violente, plus elle dégrade. Quoique dans ce monologue on reconnaisse encore la reine des Dieux, elle y conserve moins de dignité que dans le premier. Nous trouvons la même différence entre les deux récits, et de chaque côté l'harmonie la plus parfaite avec la situation et les discours de Junon; dans le premier livre, la description de l'antre d'Éole et le tableau sublime de la tempête; maintenant, le portrait d'Alecton et l'horrible action du monstre infernal. Quelques mots suffisent pour peindre la furie, d'abord les traits qui conviennent au rôle qu'elle va jouer, tristia bella, iræque, insidiæque... cordi, ensuite l'expression la plus énergique de l'horreur qu'elle inspire, odit et ipse pater....., enfin l'activité que retrace sa figure, tot sese vertit in ora, tàm sævæ facies, et surtout la dernière image, tot pullulat atra colubris. Junon flatte Alecton comme Éole sur sa puissance; mais quelle différence de ton At licet amborum populos exscindere regum. |