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les deux idées principales, celles du salut et de l'honneur, miseretque, pudetque, mises en rapport avec la patrie, les Dieux et Énée, forment la conclusion la plus vive et la plus éloquente.

Il s'agit maintenant de faire échapper Turnus d'abord avec vraisemblance, ensuite avec honneur. Quelques-uns des détails précédents prouveraient assez qu'il pourrait sauter du haut des retranchements (v. 558); mais alors le héros, maître d'une partie du mur, ne devrait-il pas s'y maintenir et donner à ses soldats le temps de l'escalader? Virgile a donc soin de ne pas présenter cette idée. Il lui donne par le fleuve un moyen de retraite aussi vraisemblable et plus merveilleux. Quant à l'honneur, les détails vont le laisser intact. Turnus ne fuit pas; il se retire devant l'ennemi, paulatim excedere pugnâ, ce que la comparaison rend encore plus sensible telle est l'exactitude et la clarté des rapports, qu'on pourrait remplacer le nom du lion par celui de Turnus territus est peut-être un peu fort, mais asper, acerbà tuens, y joint aussitôt l'expression terrible du courage, que complète l'image de cette marche rétrograde, retro redit, et neque terga..., haud aliter dubius Turnus....., improperata vestigia; enfin les deux vers suivants, et surtout la terreur des Troyens relèvent assez la gloire du héros, quin etiàm bis..., bis confusa fugâ per muros agmina vertit. — Il n'y a pas de honte pour Turnus à sentir ses forces faillir après un combat si inégal: toute sa gloire lui reste avec son courage. Le poëte commence donc par éloigner le secours de Junon qui jusquelà devait soutenir le héros : quatre vers suffisent; la vivacité de l'action ne permettait pas plus de détails. Vous voyez d'un côté la multitude, et de l'autre un homme seul; ce vers l'exprimait d'abord, sed manus è castris properè coit omnis in unum : les détails

Talibus accensi firmantur, et agmine denso
Consistunt. Turnus paulatim excedere pugnâ,
Et fluvium petere ac partem quæ cingitur undà.
Acriùs hòc Teucri clamore incumbere magno,
Et glomerare manum. Ceu sævum turba leonem
Quum telis premit infensis, at territus ille,
Asper, acerbà tuens, retro redit; et neque terga
Ira dare aut virtus patitur; nec tendere contrà,
Ille quidem hoc cupiens, potis est per tela virosque :
Haud aliter retro dubius vestigia Turnus

Improperata refert, et mens exæstuat irâ.
Quin etiam bis tum medios invaserat hostes;

Bis confusa fugâ per muros agmina vertit.

Sed manus e castris properè coit omnis in unum;

Nec contrà vires audet Saturnia Juno

Sufficere; aeriam coelo nam Jupiter Irim

suivants le font mieux sentir encore. Comment parer à la fois tant de coups, nec clypeo, nec dextrá..., injectis sic undique telis obruitur? N'entend-on pas cette grêle de traits retentir sur son casque, strepit assiduo cava tempora circum tinnitu galea. Déjà son armure est endommagée, saxis solida æra fatiscunt, discussæque jubæ capiti. Enfin il est poursuivi de près non-seulement par la foule des Troyens, ingeminant hastis et Troes, mais par leurs guerriers les plus fameux, et ipse fulmineus Mnestheus. L'état de son corps complète le tableau, tum toto corpore sudor..., nec respirare potestas, et piceum flumen agit... Turnus va donc succomber... Tout à coup avec toutes ses armes, comme l'honneur l'exigeait, nous le voyons s'élancer dans le fleuve, tùm... præceps saltu... omnibus armis... ; et ne semble-t-il pas dans les détails des derniers vers, que le poëte respire enfin avec le héros, suo cum gurgite flavo..., mollibus extulit undis, lætum sociis, ablutâ cæde, remisit !

Les trois parties principales du neuvième livre se représentent facilement à l'esprit du lecteur : 1o L'arrivée des Rutules devant le camp des Troyens, 2o l'épisode de Nisus et d'Euryale, 3o l'assaut. Les divisions particulières de chaque récit et surtout des deux derniers ne sont pas moins remarquables ni moins faciles à saisir.

Demisit, germanæ haud mollia jussa ferentem,
Ni Turnus cedat Teucrorum moenibus altis.
Ergo nec clypeo juvenis subsistere tantùm,
Nec dextrâ valet: injectis sic undique telis
Obruitur! Strepit assiduo cava tempora circum
Tinnitu galea, et saxis solida æra fatiscunt,
Discussæque jubæ capiti; nec sufficit umbo
Ictibus; ingeminant hastis et Troes, et ipse
Fulmineus Mnestheus: tum toto corpore sudor
Liquitur, et piceum (nec respirare potestas)
Flumen agit; fessos quatit æger anhelitus artus.
Tum demum præceps saltu sese omnibus armis
In fluvium dedit: ille suo cum gurgite flavo
Accepit venientem, ac mollibus extulit undis,
Et lætum sociis, ablutà cæde, remisit.

LIVRE DIXIÈME.

La situation des Troyens ne permet pas de différer longtemps le retour d'Énée, et quand même ces guerriers abattus pourraient encore soutenir un second assaut, la crainte de répéter les mêmes combats et des tableaux du même genre, suffirait au poëte pour ramener le héros. Son bras va sauver l'armée troyenne et ravir la victoire à Turnus : tel est maintenant l'objet de l'action, conséquence naturelle et nécessaire de l'action précédente. La première partie seule se distingue du récit principal, et demande une attention particulière.

En approchant du dénouement, Virgile se trouve forcé d'écarter ou du moins d'affaiblir l'intervention des Dieux. En effet si Turnus succombe, Junon est avec lui vaincue par un mortel. Le poëte ne peut donc justifier la victoire, sans le secours de Jupiter, le seul de tous les Dieux qui puisse enchaîner ou vaincre la haine de Junon. Mais Homère lui-même se garde bien de lancer Jupiter dans les combats. On connaît sa toute-puissance: un mot de sa bouche, un signe de sa tête suffit pour faire trembler les Dieux et l'univers. Ne devant agir que par sa parole, ses ordres souverains vont condamner au repos l'implacable ennemie d'Énée et des Troyens.

Il en doit coûter au poëte d'ôter ce ressort à l'action; mais il ne peut plus différer davantage : car Énée va triompher de tous les obstacles; à compter du dixième livre, ses combats n'offriront qu'une suite de victoires, jusqu'au dénouement qui accomplit ses projets. On ne peut plus longtemps lui laisser Junon pour adversaire, et le poëte se détermine enfin à l'éloigner, ou plutôt à la

PANDITUR interea domus omnipotentis Olympi,
Conciliumque vocat Divûm pater atque hominum rex
Sidcream in sedem, terras unde arduus omnes,
Castraque Dardanidùm adspectat populosque Latinos.
Considunt tectis bipatentibus; incipit ipse:

« Cœlicolæ magni, quianam sententia vobis

réduire à un genre d'action tel, que la victoire reste glorieuse, sans paraître invraisemblable.

Nous apprenons même que Jupiter avait déjà déclaré sa volonté, abnueram bello Italiam concurrere Teucris..., v. 8 : c'est un moyen de justifier la réserve de Junon dans le neuvième livre et la mollesse de son intervention. Le caractère de la déesse rend assez vraisemblable, que, malgré la défense de Jupiter, elle ait encore secondé les ennemis des Troyens: c'est sa désobéissance, autant que le besoin du poëte, qui donne lieu à l'assemblée des Dieux, où la volonté suprême est annoncée avec toute la solennité de l'Olympe et confirmée par le serment inviolable.

Dans ce début majestueux, formé d'un petit nombre d'idées et de mots imposants, panditur intereà..., remarquez surtout le jugement rigoureux du poëte, qui, loin de s'abandonner à son imagination, la concentre, pour ainsi dire, dans l'idée principale, et nous annonce aussitôt le but de l'assemblée, par l'image même qui complète la majesté du tableau, terras unde arduus omnes castraque Dardanidúm aspectat populosque Latinos.

Quoique Jupiter ait en vue la haine de Junon et ses dernières actions, il s'adresse en même temps à tous les Dieux : l'expression générale des reproches et de la défense sied mieux à la majesté. Pour soutenir la pensée, rien de plus heureux que cette sublime perspective de la seconde guerre punique et d'Annibal, adveniet justum..., quùm fera Carthago...: quelle énergie, quelle grandeur dans cette concision et dans l'image, exitium magnum, atque Alpes immittet apertas! Le dernier vers, nunc sinite, placitum læti..., achève de caractériser ce discours. Le poëte en fait remarquer la brièveté, Jupiter hæc paucis; la puissance et la majesté s'expriment en peu de mots; at non Venus... pauca...

C'est son père que Vénus implore, 6 pater, le plus puissant des

Versa retro, tantùmque animis certatis iniquis?
Abnueram bello Italiam concurrere Teucris :
Quæ contra vetitum discordia? quis metus aut hos,
Aut hos arma sequi, ferrumque lacessere suasit?
Adveniet justum pugnæ (ne arcessite) tempus,
Quum fera Carthago Romanis arcibus olim
Exitium magnum atque Alpes immittet apertas:
Tum certare odiis, tum res rapuisse licebit.
Nunc sinite, et placitum læti componite fœdus. »
Jupiter hæc paucis; at non Venus aurea contrà
Pauca refert:

«O pater, o hominum Divùmque æterna potestas!

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Dieux, 6... æterna potestas, le seul qui puisse la sauver dans son infortune, aliud quid sit...; peut-elle mieux préparer la bienveillance et l'intérêt de Jupiter que par cet exorde respectueux et touchant? 1o Vénus excite la pitié pour les Troyens. Dans le tableau de leur situation, voyez d'abord la vive image des ennemis vainqueurs et surtout de Turnus, cernis ut insultent..., Turnusque feratur... tumidusque secundo Marte ruat; ensuite le carnage au dedans même du camp, non clausa tegunt..., quin intra portas..., et inundant sanguine fossa; enfin l'absence d'Énée, Æneas ignarus abest. La comparaison avec le destin de Troie produit d'autant plus d'effet, qu'à l'idée du danger présent, se joint aussitôt la perspective d'un danger plus grand encore, nec non exercitus alter, atque iterum surgit..., Tydides : à ce nom de Diomède, tels sont les souvenirs et la terreur de Vénus, qu'elle s'écrie, equidem credo mea vulnera restant, et déjà elle intéresse Jupiter au sort qui menace la divinité de sa fille, et tua progenies mortalia demoror arma. 2o Vénus excite l'indignation contre Junon. En même temps qu'elle inspire la pitié par cette apparente résignation, si sinè pace tuâ... Italiam petiére, luant peccata..., les promesses de Jupiter ainsi rappelées font vivement sentir au souverain des Dieux sa puissance compromise, ...cur nunc tua quisquam vertere jussa potest? Dans cette énumération vive et rapide, quid repetam exustas classes, quid..., elle paraît par la tournure attacher moins d'importance aux premières actions qu'elle rappelle, afin de porter l'attention du dieu sur celle qui

Namque aliud quid sit quod jam implorare queamus?
Cernis ut insultent Rutuli, Turnusque feratur
Per medios insignis equis, tumidusque secundo
Marte ruat: non clausa tegunt jam moenia Teucros;
Quin intra portas atque ipsis prælia miscent
Aggeribus murorum, et inundant sanguine fossæ.
Æneas ignarus abest. Nunquamne levari
Obsidione sines? muris iterum imminet hostis
Nascentis Troja; nec non exercitus alter,
Atque iterum in Teucros Ætolis surgit ab Arpis
Tydides. Equidem, credo, mea vulnera restant,
Et tua progenies mortalia demoror arma!
Si sinè pace tuâ atque invito numine Troes
Italiam petière, luant peccata, neque illos
Juveris auxilio: sin tot responsa secuti,

Quæ Superi Manesque dabant, cur nunc tua quisquam
Vertere jussa potest? aut cur nova condere fata?
Quid repetam exustas Erycino in littore classes?
Quid tempestatum regem ventosque furentes

Eolià excitos? aut actam nubibus Irim?

Nunc etiam Manes (hæc intentata manebat

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