v. 40-58. doit l'irriter davantage, nunc etiam manes..... movet...... (voy. liv. VII, V. 557). Les détails en font sentir l'horreur et les effets déplorables. 3o Vénus excite à la fois la pitié pour les Troyens et pour elle-même, et l'indignation contre Junon. Après cette expression des espérances qu'elle abandonne, nil super imperio moveor, l'abattement du désespoir peut-il se peindre mieux que par la simplicité et la négligence apparente de la tournure et de ces mots, speravimus ista..., vincant quos vincere mavis? Elle ne craint plus de nommer son ennemie, tua conjux dura; mais en rappelant les liens qui unissent Jupiter à Junon, elle ajoute aussitôt pour elle-même, genitor; et si Vénus peut se permettre cette attaque directe, c'est surtout lorsque son désespoir maternel va remuer tous les cœurs en sa faveur et contre l'auteur de tant de maux. Quoi de plus touchant que cette affreuse situation d'une mère, qui, désespérant de sauver son fils, n'ose plus demander que le salut de son petit-fils, liceat..., liceat superesse nepotem, Eneas procul...? Quel accent de douleur dans les détails et dans sa résignation! Les noms et la nature de ces lieux, Amathus, Paphos, Cythera, cette destinée sans gloire, positis inglorius armis, l'abattement que peint ce style coupé, font ressortir la grandeur du sacrifice, et Jupiter n'en sent que mieux la violation du destin, magna ditione jubeto Carthago premat Ausoniam.... Enfin qui ne serait ému au souvenir de tant de malheurs retracés dans ce style et rappelés dans cet ordre, quid pestem belli..., Argolicos... ignes, totque maris vastæque exhausta pericula terræ? Mais le comble du pathétique, c'est de rendre la situation présente encore Sors rerum) movet, et, superis immissa repentè, Et, quamcumque viam dederit fortuna, sequatur: plus lamentable, en réduisant ses vœux pour les Troyens à cette prière, Xanthum... redde, oro, miseris, iterumque revolvere casus da, pater, Iliacos Teucris. Observez dans tout ce discours l'ac cord des pensées et du style avec le caractère de la déesse, sa terreur au souvenir de Diomède, le sacrifice de la gloire guerrière, son abattement, ses pleurs, et quelquefois l'artifice le mieux déguisé. Regia joint à Juno et l'énergie de acta furore gravi, la coupe même, et ce peu de mots, annoncent l'orgueil et la violence de la réponse. Quel emportement dans cet exorde impétueux et dans l'énergie des premières expressions, quid me alta silentia cogis rumpere...! 1o Junon rejette sur Énée lui-même les malheurs de son peuple, Ænean... quisquam... subegit bella sequi... Comme elle connaît les oracles, ce n'est que dans le délire de sa haine, qu'elle s'écrie, esto, Cassandræ impulsus furiis: plusieurs de ses pensées n'ont de force que pour elle ou par l'énergie de la tournure et de l'expression; mais l'apparence de la vérité suffit à sa fureur; c'est le langage de la nature. Ce qui suit est plus fort de raison, num linquere castra: aussi comme elle insiste sur l'imprudence d'Énée, vitam committere ventis, puero summam belli..... credere... et sur le but de son voyage, qu'elle veut rendre odieux, ...gentes agitare quietas! Dans ces interrogations répétées, ne semble-t-elle pas jouir de la faute du héros et des Dieux qui le protégent, surtout lorsqu'empruntant les paroles mêmes de Vénus, elle s'écrie avec ce ton d'ironie et d'amertume, quis deus..., quæ dura potentia..., ubi hìc Juno, demissave nubibus Iris. 2o Turnus mérite plutôt qu'Énée la protection des Dieux. Junon donne Non satius cineres patriæ insedisse supremos, aussi pour mère au Rutule une déesse, cui diva Venilia mater: la comparaison est outrageante pour Vénus. Mais observez surtout du côté de Turnus la justice de l'attaque et de la défense, Italos Trojam circumdare flammis, patriâ Turnum consistere terrâ....., du côté d'Énée l'usurpation et le brigandage, face Trojanas atrâ....., arva aliena jugo premere....., gremiis abducere pactas. Tel est l'effet de cette concession ironique, indignum est Italos..., qu'ensuite elle ne sait plus comment qualifier la conduite des Troyens, quid face...? quid soceros...? le mouvement ajoute encore au sentiment de l'injustice. 3o La conséquence est toute simple : lorsque Vénus protége Énée, tu potes Ænean.., peut-on faire un crime à Junon de protéger Turnus, nos aliquid Rutulos contrà juvisse nefandum est? Remarquez dans ce dernier vers la modestie de l'expression, et le contraste avec la protection puissante et merveilleuse de Vénus cependant Junon ne rappelle pas les actions les plus honorables pour le héros, manibus subducere Graiûm, proque viro nebulam et ventos obtendere inanes. 4o Jusqu'ici le langage de l'emportement n'a point troublé l'ordre des idées. Maintenant Junon saisit quelques-unes des pensées frappantes de Vénus, et les lui renvoie avec autant de brusquerie que d'amertume. Æneas ignarus abest: ignarus et absit. Peut-elle mieux exprimer son mépris que par l'opposition entre la nature des lieux où règne Vénus, est Paphus Idaliumque tibi, et celle de l'Italie si peu faite pour le fils de la molle déesse, quid gravidam bellis urbem et corda aspera tentas? Enfin, s'emparant encore de la touchante péroraison de Vénus, elle s'en fait une arme contre son ennemie : c'est la partie du discours la plus pénible pour la protectrice de Troie ; c'est celle sur laquelle Junon insiste avec le plus de cruauté et de plaisir. Comme elle plaint ces malheureux Troyens, an qui miseros Cui Pilumnus avus, cui diva Venilia mater: Est Paphos, Idaliumque tibi, sunt alta Cythera : Conamur? nos? an miseros qui Troas Achivis Troas...! A la grandeur de la guerre, consurgere in arma Europamque Asiamque, elle oppose la honte des motifs, furto, Dardanius adulter, fovi cupidine. Que d'interrogations, dont chacune forme un trait de plus en plus acéré! Chaque pensée, chaque expression est un triomphe pour Junon, qui se présente partout en opposition avec Vénus, nos ne tibi..., nos an qui Troas..., me duce, aut ego tela dedi... Sûre alors d'avoir rejeté les torts sur Vénus, et satisfaite de sa vengeance, Junon termine brusquement par cette expression et avec ce ton de mépris, nunc sera querelis.., irrita jurgia jactas. La reine des dieux a conservé son caractère : sa justification est une invective continuelle contre sa rivale et contre le mortel qu'elle déteste. Après les discours des deux déesses, le poëte ne saurait mieux peindre l'agitation des dieux et le bruit de l'Olympe prêt à éclater en dispute, que par le genre et la gradation des termes et des images de la comparaison, depuis l'expression simple, flamina prima, jusqu'aux derniers mots qui présagent la tempête, nautis prodentia ventos. Ce tableau du frémissement général rend encore plus sublime celui du silence subit des dieux et de la nature entière, tum pater omnipotens..., eo dicente...: remarquez surtout la cadence et les images des deux derniers vers, la place même des trois verbes, silet, posuere, premit. Ce vers, accipite ergo animis, atque hæc mea figite dicta, annonce le caractère du discours de Jupiter. Ses paroles ont la précision et l'énergie de la puissance, qui veut être entendue à demi-mot. Cependant quelques pensées devraient offrir moins d'obscurité : il est difficile de comprendre secat spem: après nec Objecit? Quæ causa fuit consurgere in arma Tum pater omnipotens, rerum cui summa potestas, Rutulos solvo, ne faudrait-il pas aussi nec Trojanos? Observez la brièveté imposante des dernières phrases. Un autre caractère de ce discours, c'est que le dieu suprême y reste inaccessible à la passion: son impartialité entre les deux peuples en forme la pensée principale. Il se soumet lui-même à l'arrêt du destin, fata viam invenient; ce sont les derniers mots : qui des Dieux oserait se plaindre de l'arrêt? — Le serment de Jupiter est ici mieux placé que dans le neuvième livre (v. 106). Ce vers est fameux, annuit et totum nutu tremefecit Olympum: le premier mot sans césure figure le mouvement de la tête, et la faiblesse du moyen rehausse jusqu'au sublime l'effet de la puissance exprimé dans le reste du vers. Le dernier trait peint encore l'empire de Jupiter sur les dieux, cœlicolæ medium quem ad limina ducunt. Les deux déesses ennemies animent du feu de leurs passions cette assemblée des dieux, que le dieu suprême domine de sa puissance et de sa majesté : l'intérêt en égale la grandeur et la magnificence. Le poëte y réduit à l'inaction la haine de Junon; mais les alarmes de Vénus et du lecteur n'ont point cessé : l'impartialité de Jupiter ne permet pas encore d'entrevoir la fin des malheurs d'Énée et des Troyens. Le retour d'Énée forme un des récits les plus compliqués de l'Énéide. 1o Le héros devant sauver les Troyens réduits à l'extrémité, Virgile renouvelle à nos yeux le tableau de l'assaut, qu'il n'aurait pas le temps de décrire au moment du debarquement. 2o Avant le retour, il faut raconter le résultat du voyage. 3o La revue des troupes jointe au récit de la navigation devient le moyen le plus poétique et le plus intéressant pour l'Italie de faire connaître la force de l'armée tyrrhénienne, et de justifier l'importance de la bataille qu'Énée va livrer en débarquant. 4o Pour justifier la Tros Rutulusve fuat, nullo discrimine habebo: Surgit; Coelicolæ medium quem ad limina ducunt. |