rende encore plus odieuse la férocité du vainqueur, hæc mea dicta referte Evandro, qualem meruit Pallanta remitto. Quelle ironie cruelle dans la générosité de Turnus, quidquid solamen humandi est largior...! Son attitude, pendant qu'il dépouille le corps inanimé, complète l'intention du poëte, lævo pressit pede... Virgile s'est préparé dans ce récit le parallèle le plus avantageux pour Énée : à la férocité du Rutule, profitant sans ménagement de sa supériorité sur son jeune adversaire, il opposera plus loin la générosité du héros troyen et sa conduite envers le fils de Mézence (v. 810). Mais la mort du fils d'Évandre aura des suites encore plus importantes : le poëte veut qu'elle amène le dénouement du poëme, la mort de Turnus. Énée, prêt à épargner son rival abattu à ses pieds ne l'immolera qu'à Pallas, son courroux se réveillant tout à coup à la vue du baudrier de son jeune ami. Il faut donc que ce baudrier soit assez remarquable pour qu'Énée en garde le souvenir, et d'abord pour que Turnus l'enlève et s'en pare dans les combats: tel est le but de ces trois vers, impressumque nefas..., cæsa manus juvenum...: ce qui ajoute à la vraisemblance, c'est que, pour Turnus descendant de Danaus, l'action représentée est un sujet de famille. Afin que le lecteur lui-même n'oublie pas l'enlèvement du baudrier, Virgile en fait dès ce moment pressentir la conséquence dans ces cinq vers, où la joie et l'emportement de Turnus..., ovat..., gaudetque, nescia mens hominum servare modum..., forment un contraste si frappant avec le sort qui l'attend, et dont la mort de Pallas et ces dépouilles mêmes sont déjà présentées comme la cause, tempus erit quùm..., intactum Pallanta, spolia ista... Admirez en même temps l'a Corruit in vulnus; sonitum supèr arma dedêre; Et terram hostilem moriens petit ore cruento. «Arcades, hæc, inquit, memores mea dicta referte Quisquis honos tumuli, quidquid solamen humandi est, dresse du poëte à déguiser ses besoins! On croirait qu'il n'a d'autre intention que de nous consoler par l'espoir de la vengeance et par les reproches que nous adressons avec lui au cruel vainqueur. Son émotion va croissant jusqu'à la fin: qui ne partage son attendrissement et son admiration, socii multo gemitu lacrymisque..., o dolor...? Mais remarquez surtout comme il insiste sur la gloire de Pallas, atque decus magnum rediture parenti, hæc te prima dies..., quùm tamen ingentes... : il en fait dès ce moment la consolation d'Évandre et le sentiment qui l'empêchera plus loin de regretter son alliance avec Énée (liv. x1, v. 164). Troisième partie de la bataille : la fureur et les exploits d'Énée, cherchant Turnus, pour venger Pallas. A la nouvelle de la mort de Pallas, Énée doit se livrer à toute sa douleur. S'il ne l'exprimait que par ses discours, nous ne le verrions instruit de ce malheur qu'après la bataille; mais Virgile en fait un moyen d'intérêt et de gradation pour la bataille ellemême. Ce n'est point en paroles, mais en action, qu'il va nous peindre la douleur d'Énée. Il se fait un bouleversement dans son âme: le plus doux, le plus compatissant des héros devient cruel, impitoyable: c'est l'Achille d'Homère répondant à ceux qui lui demandent la vie : Patrocle est bien mort. Ses sentiments, son langage et ses actions, dans leurs plus grands excès, ne sont que l'énergique expression de son amitié et de son désespoir : il devient aussi farouche que Turnus par tendresse et par sensibilité. Énée est tout entier à la vengeance de Pallas: c'est la pensée et le sentiment qu'il fallait d'abord déterminer comme principe et fondement de l'action et du récit. Après l'expression générale de la fureur et du carnage, proxima... metit gladio, latumque ardens limitem agit ferro, nous en voyons aussitôt le but, que le mouvement rend encore plus sensible, te, Turne, superbum cæde nová quærens, et la cause de ses transports se retrace en quelques mots Oderit. At socii multo gemitu lacrymisque Nec jam fama mali tanti, sed certior auctor avec ces noms et ces souvenirs touchants, Pallas, Evander, in ipsis omnia sunt oculis, mensœ..., dextræque... Si le héros épargne d'abord quelques ennemis, c'est pour les immoler sur le bûcher de Pallas, offrande sanglante justifiée par l'exemple d'Homère, par les mœurs des anciens et par les combats de gladiateurs dans les funérailles des Romains. Il égorge ensuite sans pitié; ce n'est encore que pour venger son ami. Magus invoque des noms et des titres auxquels le pieux Énée n'aurait pas résisté avant la mort de Pallas, per patrios Manes, per spes surgentis Iuli, hanc animam serves natoque patrique: quelle est la réponse du héros? belli commercia Turnus sustulit..., Pallante perempto, hoc patris Anchisa Manes, hoc sentit Iulus. C'est donc à Pallas qu'il immole Magus. La description achève de peindre son âme impitoyable, galeam lævâ tenet, atque reflexâ cervice, orantis... La religion même n'arrête plus le bras d'Énée: il immole ce prêtre d'Apollon et de Diane, dont les ornements décrits avec éclat annoncent le caractère sacré, infula cui sacrâ... - Mais nulle part sa fureur et ses transports ne forment un contraste plus fort avec son caractère ordinaire que dans le récit de la mort de Tarquitus dont Cæde novâ quærens. Pallas, Evander, in ipsis Inde Mago procul infensam contenderat hastam : << Argenti atque auri memoras quæ multa talenta, Nec procul Hæmonides, Phoebi Triviæque sacerdos, l'audace avait redoublé son courroux, Tarquitus exsultans... Il ne reste pas seulement inflexible à la prière, tùm caput orantis...; il y joint ce mouvement contre le cadavre, truncumque tepentem provolvens, et dans ses paroles l'horrible jouissance que supposent les détails, non te optima mater condet humi..., patriove... sepulcro, alitibus linquere feris, aut... pisces... Les noms accu mulés dans ces deux vers, protenus Antæum et Lucam..., amènent avec la comparaison, Ægeon qualis..., ces images de force et de grandeur qui achèvent de frapper l'imagination : l'idée répétée du nombre contribue surtout à l'effet poétique, centum brachia, centenasque manus, quinquaginta oribus, tot clypeis, tot enses. Enfin telle est la terreur qu'inspire Énée par sa démarche et par l'expression de sa fureur, que sa vue seule fait fuir les chevaux épouvantés, longè gradientem et dira frementem ut vidére, metu versi..., effunduntque ducem... Quoique plus étendue, la der Instaurant acies Vulcani stirpe creatus Cæculus, et veniens Marsorum montibus Umbro. Dixerat ille aliquid magnum, vimque affore verbo Protinus Antæum et Lucam, prima agmina Turni, In medios, fraterque Liger; sed frater habenis nière action n'est pas moins rapide, et elle peint aussi vivement la passion du guerrier. Ce qui anime surtout le récit ce sont les paroles de Liger et d'Énée; d'abord cette insulte, non Diomedis equos... cernis..., à laquelle le héros ne répond qu'avec son javelot, jaculum nam torquet in hostem..., ensuite les supplications du même guerrier invoquant la valeur du Troyen, per te, per qui te talem, vir Trojane..., et cette réponse ironique, haud talia... dicta dabas..., fratrem ne desere frater. On ne sent pas aussi bien l'ironie des paroles qu'Énée adresse à Lucagus mourant, nulla tuos currus fuga.... La fureur du héros et le tableau de ses exploits laissent dans l'esprit l'idée d'un carnage effroyable, dont ces derniers mots ne sont que l'image fidèle, talia... edebat... funera, torrentis aquæ vel turbinis atri more furens. C'est le moment que le poëte choisit pour annoncer la sortie des Troyens assiégés dans leur camp et pour ajouter encore au danger des Rutules; mais, dans la crainte de troubler l'ordre du récit, il ne consacre que deux vers à cette partie de l'action, tandem erumpunt...... Quatrième partie :Turnus éloigné du champ de bataille. Flectit equos; strictum rotat acer Lucagus ensem. Irruit, adversàque ingens apparuit hastà. Cui Liger: << Non Diomedis equos, non currum cernis Achillei, Dicta volant Ligeri: sed non et Troius heros Dicta parat contrà; jaculum nam torquet in hostem. «Per te, per qui te talem genuêre parentes, Vir Trojane, sine hanc animam, et miserere precantis. Dicta dabas morere, et fratrem ne desere frater. » More furens. Tandem erumpunt, et castra relinquunt |