corpora, natorum, ne voyez-vous pas les serpents se rouler alternativement autour des deux enfants? Le but de cet incident n'est pas seulement d'inspirer plus d'horreur et de pitié, mais aussi de conduire Laocoon contre les deux monstres: si les serpents l'atteignaient fuyant devant eux, comme la foule des Troyens, il n'aurait plus la dignité que lui conserve l'action, auxilio subeuntem, ac tela ferentem. Lorsque les serpents s'enlacent autour des enfants, les mots et l'harmonie offrent à peine une apparence d'efforts maintenant, corripiunt, spirisque ligant, ingentibus. Vous les suivez se roulant deux fois autour des flancs, deux fois autour du cou, et l'œil s'élève enfin jusqu'au-dessus de la tête: remarquez le mélange de ces mots, bis collo squamea circum terga dati, et l'ordre simple des mots suivants, superant capite et cervicibus altis. Les autres circonstances sont exprimées avec la même netteté et la même énergie. Dans ce vers, perfusus sanie vittas atroque veneno, l'état affreux du pontife inspire une horreur religieuse. La comparaison est ennoblie par les idées d'autel et de sacrifice: l'harmonie imitative en est parfaite, et surtout le mouvement de tête du taureau, excussit cervice securim. On s'étonne peut-être de ne pas trouver au dénouement une description plus complète : la mort de Laocoon n'y est pas même annoncée. C'est une nouvelle preuve de l'attention de Virgile à ne peindre que la vérité. En effet, Énée ne doit raconter que ce qu'il a vu ou entendu. Trop éloigné de Laocoon pour lire ses douleurs sur son visage, il n'a pu les concevoir que par ses cris, et ne pouvant peindre autrement ses souffrances, la comparaison en prolonge l'idée. D'un autre côté, Laocoon n'est pas déchiré par les serpents, comme le prouve la position de leurs têtes; on ne voit pas son sang couler, il est étouffé. Ainsi Énée ne doit avoir distingué que sa chute, et, en le voyant tomber, il ne pouvait pas même dire s'il était mort. Mais avant d'approcher du corps, la fuite des serpents et le lieu de leur retraite ont frappé les yeux et les esprits, at gemini lapsu..., Corpora natorum serpens amplexus uterque Tritonidis arcem: il fallait donc exprimer cette idée, avant d'annoncer la mort de Laocoon, que Virgile fait connaître quelques vers plus loin, scelus expendisse merentem Laocoonta ferunt. Pouvait-il rester le moindre doute sur la vérité des paroles de Sinon? A la vue de l'horrible vengeance de Minerve, le peuple tremblant reconnaît le crime de Laocoon et la justice de sa mort, scelus, merentem, sacrum robur, læserit, sceleratam hastam: enfin la conséquence naturelle, ducendum ad sedes simulacrum. En décrivant l'entrée du cheval dans Troie, le poëte conduit l'imagination sur les circonstances principales, et à chacune d'elles se joint l'expression de l'effroi. 1o Le colosse monte et passe par la brèche, scandit fatalis machina muros: après fœta armis, les chants religieux, et la confiance ingénue des enfants, forment un contraste effrayant avec la réalité du danger. 2o Le colosse entre et s'avance dans la ville, illa subit mediæque minans illabitur urbi : minans s'accorde avec la hauteur du cheval et avec l'idée de la catastrophe. Qu'il est touchant ce souvenir des pronostics, que les malheureux se rappellent après l'événement! Quelle amertume dans les regrets que le héros éprouve, en se souvenant qu'on pouvait sauver la patrie, sauver tant de gloire et de puissance, ô patria! 6 Divúm...! Il semble voir et entendre encore ce que les images et la cadence retracent d'une manière si parfaite, le cheval qui s'arrête, et les armes qui retentissent dans ses flancs, quater..., substitit, atque utero sonitum quater arma dedére. 3o Le colosse est placé dans la citadelle, sacratâ arce: le poëte a conservé pour At gemini lapsu delubra ad summa dracones Dividimus muros, et moenia pandimus urbis. O patria, o Divûm domus Ilium, et inclyta bello cette circonstance l'expression la plus horrible, monstrum infelix. Énée n'épargne plus les reproches à ses compatriotes ni à luimême, immemores, cæcique furore, miseri quibus ultimus esset ille dies, festá fronde... Les prophéties de Cassandre, et l'image des fêtes et de la joie devraient faire ressortir la crédulité et la folie des Troyens; mais tel est l'effet de tout le récit, que le lecteur ne voit dans ce langage que les regrets du héros; et ce qui paraîtrait d'abord devoir être évité avec soin devient la conclusion la plus naturelle et la plus pathétique. Virgile ne craint plus pour Énée et les Troyens le ridicule qui semblait devoir accompagner l'idée seule de l'entrée du cheval de bois dans les murs de Troie : nous aurions agi comme eux. х Quatre morceaux distincts vont offrir l'idée générale de la prise de Troie 1o l'entrée des Grecs; 2o le songe dans lequel Énée apprend d'Hector le malheur de sa patrie; 3o le spectacle que présente la ville en feu au héros placé sur le faîte de son palais; 4o le récit de Panthée. 1o L'entrée des Grecs. La nuit fatale s'annonce plus horrible que les autres nuits. Voyez la violence de ruit, l'effet de la consonnance et du monosyllabe à la fin du vers, oceano nox, l'immensité des ténèbres que ce vers semble peindre, involvens umbrâ magnâ terramque polumque. - Chaque image de la navigation nocturne ajoute à sa vraisemblance: le calme et le clair de lune si bien peints, tacitæ per amica silentia lunæ, le rivage connu, littora nota..., le flambeau du vaisseau d'Agamemnon, flammas regia puppis extulerat.-Lorsque les Grecs sortent des flancs du cheval, quelques images frappantes, et les noms réunis dans quatre vers, suffisent au poëte. L'occupation des portes et l'entrée de l'armée grecque ne sont exprimées qu'en trois vers: Énée doit porter l'attention et l'intérêt du lecteur sur le malheur des Troyens, plu Tunc etiam fatis aperit Cassandra futuris Vertitur interea cœlum, et ruit oceano nox, tôt que sur le succès de leurs ennemis. - Observez d'ailleurs que, pour prévenir les objections, Virgile profite des mouvements et de la fête du jour précédent, fessos artus..., urbem somno vinoque sepultam. 2o Le songe d'Énée. Vous sentez ce premier sommeil que le besoin du repos rend encore plus doux, prima quies, mortalibus ægris, et dont la douceur se prolonge avec ces mots, dono Dirúm, gratissima, serpit. Les images qui le troublent n'en paraissent que plus affreuses, ecce, mastissimus Hector, largos effundere fletus, raptatus bigis, aterque cruento pulvere, perque pedes trajectus lora tumentes; et lorsqu'après ce mouvement pathétique, hei mihi! qualis erat! les idées et la cadence de ces deux vers,qui redit... vel Danaûm......, ont rappelé toute la gloire d'Hector et peint la démarche du vainqueur, quel effet produisent les images suivantes, squalentem barbam, concretos sanguine crines!... Ce n'est pas seulement pour arrêter les yeux sur ce tableau que Virgile fait parler Ênée, ó lux Dardaniæ...: au milieu du vague des idées lugubres qu'il exprime, rien de plus vrai que ce désordre naturel au songe, et que l'erreur du Troyen qui paraît avoir oublié la mort d'Hector. Parmi tous les mouvements, remarquez l'effet des monosyllabes par lesquels, après chaque repos, la voix reprend avec effort, et fait entendre une harmonie lamentable.-Le retour inat Inclusos utero Danaos et pinea furtim Laxat claustra Sinon illos patefactus ad auras In somnis ecce ante oculos moestissimus Hector tendu du défenseur de Troie semble donner à Énée quelque espoir : la réponse en devient plus terrible, heu! fuge... Au lieu de prolonger les gémissements d'Hector, comme le sujet paraîtrait l'exiger, Virgile lui prête des phrases courtes, des expressions vives et rapides rien ne montre mieux qu'il n'y a pas de temps à perdre. C'est le plus brave des Troyens qui vient dire à Énée, fuge, nate dea; c'est Hector, le défenseur de la patrie, comme le rappellent ces mots, si Pergama dextrâ..., c'est Hector qui lui confie les dieux de Troie et le feu sacré, Hector qui lui ordonne d'abandonner Troie et de chercher une autre patrie. Ce songe n'est donc pas seulement un épisode: considéré comme tel, il produirait pour le moment un effet admirable; mais de plus le poëte en a fait une partie importante de l'action et un moyen de justifier la fuite du héros. 3o Énée sur le faîte de son palais.-L'éloignement de la maison d'Anchise, ainsi cachée par des arbres, justifie le réveil tardif d'Énée. Dans l'expression du tumulte qui l'arrache au sommeil, observez la gradation des idées, ce bruit confus, diverso miscentur mania luctu, qui, en s'approchant, magis atque magis, devient plus clair, clarescunt sonitus, et fait enfin reconnaître le bruit des armes, armorum ingruit horror. L'image nous peint le réveil subit du héros, et nous le voyons presque en même temps au faîte du palais, excutior somno..., ascensu supero. Au milieu de ce bruit épouvantable, la comparaison présente avec autant de justesse Quæ tantæ tenuêre moræ? Quibus Hector ab oris Diverso interea miscentur monia luctu; Adscensu supero, atque arrectis auribus adsto: |