rait-il pas aussi un peu de recherche? Après un tel tableau, rien de plus naturel que ce redoublement de fureur qui, sur les pas de Corèbe, l'amant de Cassandre, précipite les Troyens au milieu des ennemis, non tulit hanc speciem furiatâ mente..., consequimur cuncti... Un incident imprévu rend leur sort plus déplorable: victimes de leur ruse, ils sont exposés aux traits de leurs compatriotes, oriturque miserrima cædes... Ils ont en même temps à combattre les plus fameux héros, et l'armée grecque tout entière, ...acerrimus Ajax..., Dolopumque exercitus omnis: rien n'est oublié pour ajouter à la pitié et à leur gloire. La comparaison et la grande image qui la termine présente le tableau d'un désordre et d'un tumulte épouvantable. Enfin, la dernière ressource des Troyens contre le nombre des ennemis leur est enlevée, illi etiam..., clypeos mentitaque tela agnoscunt, obruimur numero. Corèbe tombe le premier au pied de l'autel dont son amante est prêtresse. Après l'éloge de Riphée, justissimus unus..., quelle touchante résignation, Dis aliter visum! Au souvenir de Panthée, de son ami, quelle pieuse douleur éclate avec ces mots et le mouvement, nec te tua plurima, Pantheu, labentem pietas...!—Un autre effet de l'émotion progressive d'Énée, c'est d'amener naturellement son apostrophe aux cendres d'Ilion et aux mânes de ses compagnons d'armes, noble et complète justification du héros qui leur a survécu, Non tulit hanc speciem furiatà mente Corobus, Iliaci cineres... Que peut-il faire avec les compagnons qui lui restent, Iphitus ævo jam gravior, Pelias... vulnere tardus? Cependant il ne fuit pas; remarquez l'expression, divellimur indè. Après avoir combattu jusqu'à l'extrémité, il va rejoindre d'autres guerriers, et se rend au lieu où le danger l'appelle, ad sedes Priami clamore vocati. En arrivant devant le palais, Énée présente le premier tableau qui frappe ses regards, celui de l'attaque et de la défense. D'abord l'expression générale, ingentem pugnam...; ensuite les détails: d'un côté les Grecs; suivant l'ordre des idées, on les voit se précipiter vers le palais, assiéger la porte, et, les échelles dressées, monter en présentant leurs boucliers aux traits, jusqu'au faîte, que déjà leurs mains vont saisir. Du côté des Troyens, le sentiment du désespoir se joint à chaque détail, culmina convellunt, quandò ultima cernunt, extremâ jam in morte: observez surtout l'expression noble et touchante que donnent à ce sentiment les souvenirs rappelés dans ce vers, auratasque trabes veterum decora alta parentum. La porte étant assiégée par les Grecs, Virgile a soin de prévenir toute objection sur l'entrée d'Énée dans le palais, limen erat cæcæque fores..., et pour que cette communication secrète ne semble pas se former au gré du poëte et suivant ses besoins, il ajoute ces détails touchants sur Andromaque et son fils, infelix quà se.....: Ilaci cineres, et flamma extrema meorum, Hic verò ingentem pugnam, ceu cætera nusquam Culmina convellunt: his se, quando ultima cernunt, le charme mélancolique de l'idée et de l'expression fait pour le moment une agréable diversion.-Énée monte au lieu du combat, sur le faîte du palais que les Grecs escaladent: cette position glorieuse pour le héros, est en même temps la plus favorable aux intentions du poëte, comme nous le verrons dans la suite. —La description de la tour et de sa chute est parfaite. Voyez s'il est possible de mieux peindre, d'abord sa situation et sa hauteur, in præcipiti stantem, summis... tectis, unde omnis Troja..., ensuite l'action progressive des Troyens, aggressi ferro..., jusqu'au moment où leurs efforts cessant avec ce mot, impulimusque, nous suivons la chute rapide de la tour de bois tombant de toute sa longueur sur les bataillons des Grecs, ea lapsa repentè..., latè incidit. Ast alii subeunt donne l'idée de la promptitude avec laquelle les morts sont remplacés. Après l'escalade, Virgile va peindre un autre genre d'attaque, et l'entrée des Grecs dans le palais.-Supposons que la porte cède aux efforts d'une foule de guerriers; le tableau se peindra moins vivement à l'imagination, que si nos regards s'arrêtent sur un héros, dont le nom et la vue offrent l'idée du courage, de la force et de la terreur. Ce héros, c'est Pyrrhus, le fils d'Achille. Le lieu qu'il occupe, vestibulum ante ipsum..., ses mouvements et l'éclat effrayant de son armure, fixent l'attention sur lui seul. L'objet de la comparaison ne s'accorde pas moins avec la haine d'Énée pour le destructeur de Troie et le meurtrier de Priam, que les détails avec l'idée de l'éclat et des mouvements du jeune guerrier. Obser Tectorum inter se Priami, postesque relicti A tergo, infelix quà se, dum regna manebant, Vestibulum ante ipsum primoque in limine Pyrrhus Qualis ubi in lucem coluber, mala gramina pastus, vez surtout dans les trois derniers vers ce renouvellement et cette activité de jeunesse dont les mouvements se peignent dans les diverses parties du corps, lubrica convolvit terga, sublato pectore arduus, linguis micat ore trisulcis. Virgile remplit et achève le tableau par l'énumération et l'action des guerriers à la tête desquels paraît Pyrrhus, unà ingens Periphas..., ipse inter primos..... 1o Pyrrhus fait une large ouverture à la porte. L'effet des coups sur laporte tout entière, limina perrumpit, postesque..., et sur la partie que le tranchant de la hache atteint, excisa..., les efforts et la résistance que supposent la plupart des verbes et les épithètes æratos, dura, firma, l'action successive de la hache, excisâ trabe, cavavit, ingentem lato dedit ore fenestram, de sorte qu'après la dernière image, l'œil plonge dans le palais avec ce mot, apparet, tous ces détails forment un tableau aussi animé que régulier. Le poëte peint aussitôt l'impression produite sur les Grecs et sur les Troyens: d'abord sur les Grecs, dont la vue pénètre dans le vaste enfoncement des corridors et des appartements, pensée admirablement exprimée par la répétition, apparent, et par la mesure ou la place de la plupart des mots : ensuite sur les Troyens, quoique le genre d'expression et l'harmonie des premiers vers semblent faire entendre les sons lugubres et l'horrible prolongement du tumulte et des gémissements, l'effroi des femmes, tum pavidæ..., offre une image encore plus vive et plus touchante : quel sentiment n'y ajoute pas oscula figunt! 2o Pyrrhus enfonce et renverse la porte. —Instat vi patriá est pour un Troyen une expression aussi terrible que précise de la Lubrica convolvit sublato pectore terga Arduus ad solem, et linguis micat ore trisulcis. force et de la fureur du fils d'Achille. Déjà la porte chancelle, labat, sous les coups exprimés par une image gigantesque, ariete crebro; elle sort de ses gonds, elle tombe, emoti..., procumbunt. A l'instant même, fit via vi peint l'impétuosité de la foule dont le poids rompt la barrière des guerriers, qu'ensuite elle égorge, rumpunt aditus, primosque trucidant: on voit enfin la rapidité de l'entière occupation du palais, et latè loca milite complent. La comparaison amenée par ce tour si vif, non sic, rappelle d'abord avec énergie et grandeur la résistance des Troyens, aggeribus ruptis..., oppositasque...; mais son effet principal est de remplacer le tableau de la fureur des Grecs, par une image de destruction, fertur in arva furens..., campos que per omnes cum stabulis armenta trahit. Car Virgile ne s'arrête pas à peindre les horreurs d'une place prise d'assaut, où l'on égorge tout ce qui n'est pas réservé pour l'esclavage. Devant l'infortune de Priam et de sa famille, peut-on s'occuper d'une autre infortune? Il porte uniquement la pensée et l'imagination sur le monarque, son épouse et ses enfants, vidi Hecubam, centumque nurus... Quelle image odieuse de la mort du vieux roi, per aras sanguine fœdantem quos ipse sacraverat ignes! Les fils de Priam et sa postérité sont comme enveloppés dans la ruine et sous la chute du palais, quinquaginta thalami, spes tanta nepotum, postes auro... superbi, procubuére. Chaque partie de ce tableau pourrait être le sujet d'un récit touchant et poétique; mais alors les infortunes de Priam et de sa famille sembleraient devenir le but de l'action. Virgile se contente de raconter le fait le plus important, la mort du monarque, et son récit est si bien combiné, que nous y retrouvons Hécube, ses filles, et la mort d'un fils de Priam. D'ailleurs ce vers, forsitan et Priami fuerint quæ fata requiras, détache cet événement de l'action principale, et annonce qu'il n'y est placé que pour satis Janua, et emoti procumbunt cardine postes. Forsitan et Priami fuerint quæ fata requiras. |