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l'intérêt qu'ils portent au héros, dont ils partagent le destin, nos te, Dardaniâ incensa..., secuti, nos tumidum sub te... dquor, idem... tollemus in astra nepotes. Cette idée de grandeur et de puissance, ce langage majestueux, si flatteur pour les Romains, est inspiré par la circonstance; c'est encore un moyen de décider Énée à quitter la Crète pour l'Italie, mœnia magnis magna para... Les quatre vers suivants, que nous avons déjà vus au premier livre, renferment sur l'Italie des détails clairs et précis, est locus...: il n'y a plus à s'y tromper; hæ nobis propriæ sedes, hinc Dardanus ortus..., hæc lætus... haud dubitanda...; enfin l'ordre positif, Corytum... require..., Dictœa negat tibi Jupiter arva. - En éloignant l'idée d'un songe, Énée ajoute encore à la certitude, nec sopor illud erat...; mais ce qui complète l'effet du récit, c'est le discours d'Anchise. Telle est l'évidence de la révélation, qu'à l'instant même il reconnaît son erreur, agnovit prolem ambiguam... L'accord des prophéties de Cassandre avec les paroles des pénates, les noms mêmes qu'il se rappelle, ne laissent plus le moindre doute, et le lecteur conclut avec lui, cedamus Phœbo, et moniti meliora sequamur.Quelle vérité de langage! Remarquez surtout le naturel

Nos te, Dardanià incensâ, tuaque arma secuti,
Nos tumidum sub te permensi classibus æquor,
Idem venturos tollemus in astra nepotes,
Imperiumque urbi dabimus. Tu monia magnis
Magna para, longumque fugæ ne linque laborem.
Mutandæ sedes: non hæc tibi littora suasit
Delius, aut Cretà jussit considere Apollo.
Est locus, Hesperiam Graii cognomine dicunt,
Terra antiqua, potens armis atque ubere glebæ :
OEnotri coluêre viri: nunc fama minores
Italiam dixisse, ducis de nomine, gentem.
Hæ nobis propriæ sedes; hinc Dardanus ortus,
Jasiusque pater, genus a quo principe nostrum.
Surge age, et hæc lætus longævo dicta parenti
Haud dubitanda refer: Corythum terrasque require
Ausonias Dictæa negat tibi Jupiter arva. »

:

Talibus attonitus visis ac voce Deorum,

(Nec sopor illud erat; sed coram agnoscere vultus,
Velatasque comas, præsentiaque ora videbar :
Tum gelidus toto manabat corpore sudor),
Corripio e stratis corpus, tendoque supinas
Ad cœlum cum voce manus, et munera libo
Intemerata focis. Perfecto lætus honore,
Anchisen facio certum, remque ordine pando.
Agnovit prolem ambiguan, geminosque parentes,
Seque novo veterum deceptum errore locorum,
Tum memorat: « Nate, Iliacis exercite fatis,
Sola mihi tales casus Cassandra canebat;

de ces deux réflexions, sed quis ad Hesperia... littora..... aut quem tum vates Cassandra moveret.

Cette partie du troisième livre est sans contredit la moins intéressante. Mais gardons-nous de juger légèrement notre poëte: il faut approfondir, et nous trouverons qu'ici comme ailleurs, c'est le poëte du goût et de la raison. En effet, lorsque dans la suite nous voyons les Troyens s'établir en Italie par la force des armes, n'y aurait-il pas dans la conduite du pieux héros quelque apparence d'usurpation et de brigandage? Virgile met tout en œuvre pour prévenir l'accusation. Malgré les ordres d'Hector et de Créuse, Énée ne cherche pas une contrée lointaine : il veut d'abord fonder sa colonie dans la Thrace, ensuite dans l'île de Crète, sur des rivages abandonnés. Il est loin de songer à l'Italie; tellement que cet oracle d'Apollon, si clair pour le lecteur, les Troyens ne l'ont pas compris il faut que la peste et la famine les chassent de la Crète; il faut qu'une seconde révélation explique à Enée les paroles du dicu, et que ses pénates désignent eux-mêmes leur nouvelle demeure. Enfin le poëte veut qu'Énée paraisse uniquement obéir à la voix des dieux et du destin, qu'il ne lui soit plus permis de songer à s'établir ailleurs. Il reviendra encore plus d'une fois sur cette idée, et lorsque les Troyens arriveront en Italie, il ne nous restera pas le moindre doute sur la justice de la cause, de la guerre et du triomphe.

Les traditions populaires devant ajouter à la vraisemblance des merveilles et donner au poëme un air de vérité nationale, Virgile ne laisse pas même échapper celles dont la puérilité et le ridicule sont à peine excusés et couverts par leur antique naïveté et par les artifices de la poésie. Un oracle de Jupiter ou d'Apollon avait annoncé aux Troyens qu'ils ne parviendraient à s'établir en Italie qu'après avoir mangé leurs tables; il n'y avait pas de tradition plus répandue. Ces tables, comme nous verrons au septième livre, sont les pains sur lesquels leurs mets étaient d'abord placés et qu'ils mangent ensuite. S'il négligeait un fait aussi connu pour y

Nunc repeto hæc generi portendere debita nostro,
Et sæpè Hesperian, sæpè Itala regna vocare.
Sed quis ad Hesperiæ venturos littora Teucros
Crederet? aut quem tum vates Cassandra moveret?
Cedamus Phobo, et moniti meliora sequamur. »
Sic ait; et cuncti dictis paremus ovantes.
Hanc quoque deserimus sedem, paucisque relictis,
Vela damus, vastumque cavà trabe currimus æquor,

substituer ses propres inventions, Virgile craindrait que son poëme ne perdît le charme de la vraisemblance et de la vérité. Il va donc essayer d'adapter le récit au genre de l'épopée.

Prononcé par Jupiter et par Apollon, cet oracle ne serait qu'une plaisanterie indigne de la majesté des dieux, et le contraste de leur grandeur avec la petitesse du résultat, rendrait le récit plus ridicule. Ce n'est donc pas aux dieux, ce n'est pas à un mortel respectable que Virgile prêtera l'oracle, mais à des monstres que les détails avilissent. Il y a accord parfait entre les moyens et la fin. Les Troyens ne sont pas même exposés à un danger plus sérieux que celui de se voir enlever leur repas, et cependant le récit conserve la dignité épique.

Les modernes qui jugent sévèrement ce morceau devraient se transporter au siècle de Virgile. Les Harpies ne sont pas des monstres de son invention; ses contemporains étaient familiarisés avec l'image que d'autres poëtes en avaient tracée. Nous ne voyons pas même que chez les anciens ce récit ait été l'objet d'aucune critique. C'est un malheur pour lui d'y avoir introduit cinq ou six mots, qui révoltent notre délicatesse, et sans lesquels les Harpies n'offriraient rien de plus choquant que Polyphème et d'autres monstres. Virgile place les Harpies sur la route d'Énée, dans une des îles Strophades, où les Troyens sont portés par une tempête. L'idée dominante est moins la violence que l'obscurité. La flotte devant s'égarer, le poëte nous la montre loin de la terre, d'abord simplement, altum tenuére rates, puis d'une manière plus sensible, nec jàm ampliùs ullæ apparent terræ, enfin l'image la plus frappante, cœlum undiquè et undiquè pontus. Alors les nuages, tum mihi cœruleus..., imber, amènent l'obscurité et la tempête, noctem hiememque ferens... Viennent ensuite les détails de la tempête, continuò venti..., jactamur gurgite vasto, et d'une obscurité plus profonde, involvere diem nimbi, et nox...: le contraste du feu des éclairs ajoute à l'effet du tableau, ingeminant abruptis nubibus ignes. Les Troyens s'écartent de leur route, excutimur cursu, et

Postquam altum tenuêre rates, nec jam amplius ullæ
Apparent terræ, cœlum undique, et undique pontus,
Tum mihi cæruleus supra caput adstitit imber,
Noctem hiememque ferens, et inhorruit unda tenebris.
Continuò venti volvunt mare, magnaque surgunt

Equora; dispersi jactamur gurgite vasto.
Involvere diem nimbi, et nox humida colum
Abstulit; ingeminant abruptis nubibus ignes.
Excutimur cursu, et cæcis erramus in undis.
Ipse diem noctemque negat discernere cœlo,

cæcis erramus in undis; ce vers en exprime avec précision la double cause. Le poëte développe la dernière, ipse diem noctemque negat discernere cœlo... Palinurus..., tres... incertos... soles erramus.....; mais il n'insiste pas sur la violence du vent: car il veut que la flotte puisse aborder sans danger. L'impatience de voir la terre, quarto terra die... tandem..., justifie le débarquement, et plus loin servatum ex undis en fait sentir la nécessité. Le style coupé de ces deux vers, vela cadunt... peint l'empressement des Troyens; on sent les efforts des rameurs, adnixi...; torquent spu– mas est l'image précise de l'action et de son effet sur les flots.

Les deux premiers vers du portrait des Harpies en présentent l'idée générale, avec gradation d'énergie et d'horreur, tristius haud monstrum, sævior pestis, sævior ira Deûm, Stygiis sese extulit undis. Dans les détails, fædissima ventris proluvies offre une image dégoûtante et nuit aux diverses parties du récit, qui vont la rappeler: pallida semper ora fame n'exprime pas seulement une faim insatiable, mais les mots la peignent. Les détails justifient l'enlèvement des bœufs, dont les Harpies feront un crime aux Troyens, passim, campis, nullo custode: peut-on mieux prouver l'innocence de l'intention, Divos ipsumque vocamus in partem prædamque Jovem ?

La triple attaque des Harpies exigeant une triple description, Virgile présente trois fois de suite les mêmes détails, dans le même ordre, avec une admirable variété d'expression; chaque fois, le

Nec meminisse viæ medià Palinurus in undà.
Tres adeò incertos cæcà caligine soles
Erramus pelago, totidem sinè sidere noctes:
Quarto terra die primùm se attollere tandem
Visa, aperire procul montes, ac volvere fumum.
Vela cadunt, remis insurgimus; haud mora, nautæ
Adnixi torquent spumas, et cærula verrunt.

Servatum ex undis Strophadum me littora primùm
Accipiunt. Strophades Graio stant nomine dicta
Insulæ Ionio in magno, quas dira Celano
Harpyiæque colunt aliæ, Phineïa postquam
Clausa domus, mensasque metu liquêre priores.
Tristius haud illis monstrum, nec sævior ulla
Pestis et ira Deûm Stygiis sese extulit undis.
Virginei volucrum vultus, fœdissima ventris
Proluvies, uncæque manus, et pallida semper
Ora fame.

Huc ubi delati portus intravimus, ecce
Læta boum passim campis armenta videmus,
Caprigenumque pecus, nullo custode, per herbas.
Irruimus ferro, et Divos ipsumque vocamus

In partem prædamque Jovem : tum littore curvo

bruit des ailes, l'enlèvement des mets, les traces impures du passage des monstres: 1o magnis quatiunt clangoribus alas; diripiunt dapes; contactu omnia fædant immundo, tetrum inter odorem: 2o turba sonans prædam pedibus circumvolat uncis; polluit ore dapes: 3o sonitum per curva dedere littora; semesam prædam; vestigia fæda relinquunt. Ce qui déguise encore l'uniformité des détails, c'est la variété des impressions éprouvées par les Troyens, et la différence des mesures qu'ils prennent: 1o leur surprise et leur effroi, at subitæ horrifico lapsu...; 2o l'abri où ils doivent se croire en sûreté, rursùm in secessu longo, sub rupe cavatâ; ce vers peint l'enfoncement du lieu, dont l'enceinte et l'obscurité sont si bien décrites dans le vers suivant, arboribus clausi circum, atque horrentibus umbris; 3o les préparatifs de résistance, la vue et l'emploi des armes, qui ajoutent à l'importance de l'action..., arma capessant edico, et bellum..., dat signum Misenus..., invadunt..., sed neque vim plumis... En parlant des Harpies, Virgile ne pouvait pas écarter un des traits caractéristiques de ces monstres. Nous conviendrons cependant qu'il aurait dû moins offenser un sens plus délicat que la vue et l'ouïe, et pour échapper aux reproches des modernes, il suffisait peut-être de n'employer que des expressions telles que celles-ci, contactu omnia fædant immundo, polluit ore dapes.

Virgile arrive au but important du récit. La colère des Harpies permet de donner à la révélation de l'oracle ce ton de grandeur et d'emphase, qui pour le moment relève le sujet. Observez d'ailleurs

Exstruimusque toros, dapibusque epulamur opimis.
At subitæ horrifico lapsu de montibus adsunt
Harpyiæ, et magnis quatiunt clangoribus alas,
Diripiuntque dapes, contactuque omnia foedant
Immundo: tum vox tetrum dira inter odorem.
Rursum in secessu longo, sub rupe cavatà,
Arboribus clausi circùm atque horrentibus umbris,
Instruimus mensas, arisque reponimus ignem :
Rursum ex diverso cœli cæsisque latebris

Turba sonans prædam pedibus circumvolat uncis;
Polluit ore dapes. Sociis tunc arma capessant
Edico, et dirà bellum cum gente gerendum.

Haud secus ac jussi faciunt, tectosque per herbam
Disponunt enses, et scuta latentia condunt.
Ergo, ubi delapse sonitum per curva dedère
Littora, dat signum speculà Misenus ab altà
Ære cavo invadunt socii, et nova prælia tentant,
Obscenas pelagi ferro foedare volucres.

Sed neque vim plumis ullam, nec vulnera tergo
Accipiunt; celerique fugà sub sidera lapsæ,
Semesam prædam et vestigia foeda relinquunt.

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