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PRÉFACE.

Une analyse raisonnée devrait toujours accompagner l'explication des auteurs. Proportionnée à la force des élèves, et plus ou moins complète, suivant les divers degrés des études, elle ferait d'abord sentir et apprécier la valeur des mots et les tournures grammaticales, sans négliger la pensée, et de manière à s'élever avec le temps jusqu'au développement de tous les détails et des artifices. de la composition. C'était l'avis de Rollin. Après avoir analysé une fable de Phèdre avec son goût ordinaire, il ajoute: Je laisse au lecteur à conclure combien des histoires et des fables expliquées de cette sorte tous les jours pendant le cours entier d'une année, sont capables d'apprendre le latin aux enfants, et, ce qui est bien plus important, combien elles sont propres à leur former en même temps le goût et la raison. » Cependant Rollin ne parle ici que des élèves de sixième ou de cinquième. Exigeant pour les autres classes des développements plus étendus, il offre ensuite, comme modèles d'explications, les analyses parfaites d'un discours de Virgile et de plusieurs morceaux latins et français.

Il faut convenir que la plupart des maîtres sont loin de se conformer aux vues de Rollin : il en est bien peu qui, malgré ses avis, aient cessé de suivre la routine. L'explication se borne presque toujours au mot-à-mot suivi de la phrase française; et pendant toute la durée de leurs études, les élèves n'ont fait que du mot-à-mot

et du français; telle est même l'expression reçue. Aussi qu'en résulte-t-il? Après sept ou huit années d'explication, la plupart sortent de leurs classes, sans connaître aucun auteur, et sans en conserver d'autre impression durable que le souvenir de l'ennui causé par la traduction sèche et décousue d'un tissu de mots latins.

Un autre résultat funeste de cette manière d'expliquer les auteurs, c'est l'habitude de ne les considérer que par morceaux détachés. Il n'y a plus d'ensemble ni d'unité entre les parties principales de l'ouvrage, ni même entre les diverses sections des morceaux importants. La première création du génie reste dans l'ombre, et le jeune homme ne se doute pas des profondes combinaisons qui d'une foule de pensées ont formé un tout simple et de même nature. Les productions les plus parfaites ne sont à ses yeux qu'un assemblage confus des diverses parties d'un corps, dont il connaît à peine quelques membres. On conçoit combien ce genre d'explication est contraire au but véritable des études, et combien, en suivant la méthode ordinaire, ou plutôt avec cette absence de méthode, il est difficile de donner à l'esprit la justesse, au goût la pureté, à l'imagination l'étendue, que le maître s'est chargé de cultiver et d'accroître.

Sans doute l'intelligence du texte doit passer avant tout; et dans les premières années, le maître ne doit presque jamais avoir un autre but. Mais il arrive un moment où il doit présenter à l'élève autre chose que des mots, et s'occuper avec lui de l'intelligence et des détails de la composition. Il ne suffit pas de lui dire, c'est beau, c'est parfait il faut lui apprendre, pour ainsi dire, à rai

sonner son admiration; il faut lui montrer le but de l'écrivain, et les moyens employés pour l'atteindre; il faut, en entrant dans tous les détails, le mettre en état de se rendre compte à lui-même des beautés et des défauts de l'ouvrage.

Une longue expérience m'a mis à portée d'apprécier le service qu'on peut rendre aux jeunes gens par cet exercice de leurs facultés. Ce que j'offre au public n'est même que le résumé de ce que j'ai fait avec mes élèves sur le plus parfait de nos auteurs classiques. J'ose espérer qu'on y trouvera une méthode et des idées qui ne seront pas sans utilité pour la perfection des études.

Une analyse ne peut être claire qu'autant qu'elle est complète : nous avons donc considéré non-seulement le poëme entier, mais chaque morceau dans ses détails aussi bien que dans son ensemble par ce moyen le jeune homme y devra suivre avec facilité les combinaisons du génie; et sans autre secours, il pourra sur Virgile se former au développement des beautés, et tourner en habitude ces réflexions suivies, qui doubleront la force de son esprit. L'homme instruit lui-même, que son goût ramène de temps en temps vers les études de sa jeunesse, ne lirait peut-être pas sans fruit et sans plaisir un ouvrage qui lui donnerait, avec quelques idées nouvelles, un sentiment plus prompt et plus complet des beautés de la poésie.

Il m'eût été facile de citer tous les passages imités par Virgile ou d'après lui. Mais le but et le plan de mon travail me faisaient une loi de me renfermer dans Virgile seul. Comme il ne fait jamais rien sans raison, c'est chez lui que nous cherchons la raison de ses beautés et de ses défauts, sans nous exposer à porter l'esprit sur une foule

d'idées, d'actions et de personnages qui feraient à chaque instant perdre de vue notre étude principale.

Ce n'est pas une œuvre de prétention; c'est une œuvre de conscience. Cependant il ne faudra pas toujours avoir pleine confiance en mes jugements: quoique je ne déguise pas les reproches et les objections, j'ai pu quelquefois, malgré mes intentions, me laisser prévenir par mon admiration habituelle. Mais je prie de faire attention que dans les détails Virgile est toujours parfait; et comme dans une analyse complète, les détails forment la plus grande partie de l'ouvrage, il devient impossible que l'analyse de l'Énéide ne paraisse pas un panégyrique presque continuel. Je me trouve, pour ainsi dire, forcé de réserver toute ma sévérité pour le jugement général que je porte en terminant sur la nature du sujet et sur le plan du poëme.

Si je puis me flatter d'avoir secondé le zèle d'un grand nombre de professeurs, à qui il n'aurait manqué, pour faire un ouvrage du même genre, que la volonté de l'entreprendre, s'il devient pour les élèves un moyen de plaisir et de progrès dans leurs études, si les amis des lettres y trouvent des idées et quelque jouissance, ce sera le plus doux fruit des peines qu'il m'a coûtées; et d'ailleurs ces peines n'ont-elles pas été déjà pleinement compensées par le plaisir que j'ai si souvent goûté à deviner les secrets du génie de Virgile, à sentir ses inspirations, à pénétrer ses intentions, jusque dans les détails, dont le naturel et la simplicité cachent toujours la profondeur?

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