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les sciences et les arts, et à encourager ceux qui les cultivaient. Le roi suivait avec confiance ses conseils, et il fut longtemps l'oracle et le favori de la cour et de la nation. Tout s'inclinait devant le mérite et la vertu de ce grand homme; et lorsqu'il prononça l'éloge de Théodoric dans le sein du sénat, entraînés par l'éclat de sa parole, les sénateurs lui décernèrent une couronne et le proclamèrent le prince de l'éloquence.

Mais cette haute destinée ne suivit pas Boëce jusqu'à sa fin. Théodoric, devenu vieux, et rongé par les soupçons, ne vit alors qu'un conspirateur dans son respectable ministre, et il le congédia.

Quelque temps après, Boëce eut le courage, en plein sénat, d'exposer devant son souverain, l'émouvant tableau des misères publiques et les justes réclamations de la nation : « Nous respectons l'autorité royale, s'écriait-il dans son discours, lui laissant le droit de distribuer ses faveurs où elle veut, comme le soleil ses rayons; mais nous demandons la liberté, le plus précieux privilége de cet empire.... Nul aujourd'hui ne peut être riche impunément : les pierres même répètent les gémissements du peuple.... » Mais Théodoric, indigné de cet audacieux langage, condamna à mort l'habile homme d'État qui avait tant contribué à l'éclat de son règne, et peu de temps après celui-ci subit son supplice au milieu d'affreuses tortures.

Boëce peut être regardé comme le savant le plus remarquable de son époque. Il s'était formé en étudiant à fond et en traduisant les œuvres d'Aristote, d'Euclide, d'Archimède et de Ptolémée. Ses ouvrages

annoncent qu'il avait embrassé toutes les sciences connues de son temps. On a de lui un Traité d'arithmétique et quelques ouvrages de théologie et de philosophie.

Considérés dans leur ensemble, les travaux du ministre de Théodoric semblent être le lien qui rattache les deux extrêmes de la civilisation: ils apparaissent au Moyen âge comme un trait d'union tiré entre l'antiquité et les temps modernes, et leur auteur ne semble avoir appelé à lui toutes les ressources de la littérature païenne que pour façonner la rude enfance du christianisme barbare".

Dans les moments de loisir que lui laissaient les affaires publiques, ce grand homme ne dédaignait pas de s'occuper de la construction d'instruments de mathématique ou de mécanique. On dit qu'il avait exécuté des cadrans indiquant tous les mouvements du soleil, et des clepsydres d'une extrême simplicité qui, à l'aide d'une seule boule d'étain remplie d'eau et tournant sur elle-même sans rouages et sans ressorts, traçaient la marche du soleil, de la lune et de divers astres. Les chroniqueurs du temps racontent même que Théodoric ayant envoyé en présent l'un de ces instruments au roi des Bourguignons, ces peuples grossiers s'imaginèrent que quelque divinité infernale se trouvait cachée dans la boule lui imprimer ses inexplicables mouvements. Cassiodore, qui fut longtemps principal ministre

1. BOECE. De Sever. Boetii arithmetica. Venise, 1488.

pour

2. BOECE. Opera omnia cum comment, diversorum. Basileæ, 1570. 3. GERVAISE. Histoire de Boëce, Paris, 1715.

de Théodoric, et dont le grand savoir et l'équité concoururent tant aussi à l'illustration de son règne, a laissé également de nombreux écrits. Malgré le fardeau que lui imposait la gestion de l'État, il ne s'en occupait pas moins de projets concernant les sciences et la religion. Après avoir été le conseiller intime de plusieurs souverains, parvenu à un âge fort avancé, il se retira dans un monastère de la Calabre, qu'il avait fait bâtir sur une de ses terres, et où il mourut vers le milieu du vi° siècle. Là, Cassiodore comblé d'honneurs et de richesses par les princes qu'il avait servis, établit, parmi les moines placés sous sa direction, une espèce d'université, où l'on exposait l'ensemble des études divines et humaines1.

Fort de son érudition solide et variée, Cassiodore avait écrit une histoire universelle qui embrassait tous les faits de l'humanité depuis les plus anciens temps jusqu'à son époque. Il avait aussi composé une histoire des Goths, qu'on ne connaît que par l'abrégé qu'en a donné Jornandès. Enfin, il a aussi écrit un Traité des arts libéraux, espèce de recueil consacré à exposer tout ce que l'on savait alors sur l'arithmétique, la géométrie, l'astronomie et la mécanique'.

Avec la race mérovingienne s'étaient éteintes les dernières traditions de la vie publique léguées à la Gaule par le génie de l'antiquité; et sous cette série de rois énervés qui la terminent, la puissance morale de la nation paraissait s'être exilée avec sa

1. ROHRBACHER. Histoire universelle de l'Église catholique. Paris, 1849. 2. JORNANDES. De rebus gothicis. Amstel., 1665.

3. CASSIODORE. Magni Aurelii Cassiodori opera. Paris, 1589.

force et sa gloire. Au vir° siècle, partout l'histoire de l'esprit humain offrait le plus affligeant tableau.

L'Europe centrale, déchirée par ses luttes sanglantes, abandonne tout travail intellectuel pour ne songer qu'à ses périls. Les efforts civilisateurs des apôtres de l'Évangile, se trouvent étouffés au milieu de cette conflagration générale; la religion, menacée de toutes parts par le cimeterre de l'islamisme, semblait sur le point de succomber, lorsqu'au commencement du siècle suivant, Charles Martel anéantit l'armée des Sarrasins dans les champs de l'Aquitaine.

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Quelques années après, Charlemagne saisit les rênes de l'État, et son épée sans cesse tendue et menaçante, consolide l'indépendance de son empire, et met un frein aux envahissements des barbares. Ce grand monarque, après avoir fondé sa puissance par le glaive, étend sa renommée en protégeant les lettres et les sciences, et rehausse la majesté de son trône en l'environnant de tout ce que l'Europe possède d'hommes éminents'. Aussi, attirés par la haute considé– ration dont il environne le savoir et par l'espoir d'obtenir ses bienfaits, des savants de tous les pays viennent apporter leurs lumières à sa cour parmi eux, on comptait principalement Alcuin, enlevé à l'Angleterre; Théodulfe, Goth de nation et né en Italie; Leidrade, archevêque de Lyon, dont la patrie

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1. ALCUIN. Alcuini opera. 1617, p. 1386. J. UNOLDI ORAT. De socictate litteraria a Carolo Magno instituta. Ienæ,

1752.

originaire était le Norique; Eginhard, qui fut l'historien du 1x siècle, et le secrétaire intime de Charlemagne 1.

Le moine de Saint-Gall, dans sa tremblante adulation pour la puissance carlovingienne, trace un tableau saisissant de la majesté de Charlemagne, qu'il surnomme le terrible. Il le représente s'exaltant dans sa force et sa gloire au milieu de tous les rois vaincus par son épée; là fulminant de colère contre ceux qui restent encore indociles à ses ordres, et, ailleurs, tendant une main amie à ceux qui s'inclinent devant son étoile. Ce récit peut être véridique, mais, selon nous, le grand conquérant s'est environné d'une gloire encore plus durable en présidant les assemblées des hommes d'élite de son royaume. Le burin de l'histoire est muet à l'égard de beaucoup de ces infimes souverains que le chef des Francs enchaînait aux marches de son trône, tandis qu'il a religieusement transmis aux siècles futurs les noms des savants qui rehaussèrent l'éclat de sa couronne.

Charlemagne ne se borne pas à réunir près de lui des savants et des hommes de lettres; aussitôt que sa puissance fut affermie, il donna à l'instruction publique sa première organisation en fondant des écoles dans toute l'étendue de son vaste empire. Il les établit dans les seuls lieux où elles pouvaient l'être, dans les monastères et les cathédrales; les chanoines et les

1. Comp. GUIZOT. Histoire de la civilisation en France. Paris, 1847, t. II, p. 203. GAILLARDIN. Histoire du moyen âge. Paris, 1845, t. I, p. 346. DESMICHELS. Hist. génér. du moyen dge, t. II.

2. WALAFRIDE STRABON OU STRABUS. Moine de Saint-Gall.

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