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Mais les officines de nos pères n'avaient rien de ce luxe qu'on rencontre actuellement dans nos pharmacies. C'étaient d'obscures petites boutiques ouvertes sur le devant, et encombrées de réchauds ardents et de mortiers employés à la préparation des médicaments. Ceux-ci étaient contenus dans de simples pots en terre cuite ou dans des boites, et étiquetés d'après la nomenclature de Galien ou de Mésué. Au fond de chaque boutique et dans une niche particulière, on voyait ordinairement une petite statue du Christ ou de la Vierge, ou celle de saint Côme.

Dans l'Occident, ce fut à Frédéric II que l'on dut la première organisation de la pharmacie. Ses ordonnances défendent à tout homme d'ouvrir une officine sans avoir subi auparavant un examen de la part d'un certain nombre de médecins et de maîtres apothicaires jurés. Ce prince ne se borna pas à cette mesure intelligente, il organisa aussi le système d'inspection des officines, et confia celle-ci aux examinateurs. En l'absence de médecins et d'apothicaires, des personnes notables étaient chargées de surveiller les pharmacies et d'assister à la confection des principaux médicaments1.

Partout où la science arabe avait pénétré, vers le milieu du Moyen âge, la pharmacie s'était développée sur une grande échelle; mais dans la France, la Grande-Bretagne et la Germanie, celle-ci restait dans l'enfance. Tout son bagage ne consistait que dans les rares recettes que les moines et les frères hospitaliers

1. BEGIN. Pharmacie du moyen âge. Paris, 1850, p. 2.

employaient pour les malades qui confiaient leur guérison à leurs prières, à leurs consolations et à leurs médicaments'. La médecine antique avait trouvé les éléments de sa thérapeutique tracés par la reconnaissance des malades sur les colonnes et les portes des temples d'Esculape. La pharmacie moderne recueillit ses premières notions dans les annales des monastères ou de la bouche des moines et des nonnes. Ce furent ces traditions, alors si respectables, qui formèrent le noyau de nos premiers ouvrages de matière médicale, et que la science progressive a eu tant de peine à bannir de la pratique.

Nos pharmacies ne furent dans l'origine que de simples entrepôts de médicaments. C'était Venise, Gènes ou Lyon qui, en recevant ceux-ci de première main, se chargeaient de les préparer et d'en approvisionner le reste de l'Europe. Pendant longtemps aussi, les officines n'eurent que de bien imparfaites notions à l'égard de leurs manipulations. Elles se guidèrent d'abord sur l'Antidotaire de Salerne; plus tard sur les ouvrages de Mésué et de Sérapion; ce ne fut que vers le milieu du xv siècle que Saladin d'Asculo, médecin de Naples, écrivit le premier traité de pharmacologie qui ait paru en Europe3.

1. Conjurationibus, potionibus, verbis, herbis et lapidibus. Bégin. Pharmacie du moyen dge. Paris, 1850, p. 1.

2. GALIEN. De antidotis, lib. II, p. 432. PLINE. Histoire naturelle, liv. XX, chap. xxiv. PAUSANIAS. Voyage en Grèce, liv. XX, chap. 11. SPRENGEL. Histoire de la médecine. Paris, 1815, t. II, p. 163-165, etc.

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3. SALADIN D'ASCULO. Compendium aromatariorum. Curieux livre qui révèle qu'à l'époque à laquelle il fut écrit, la parfumerie était confondue avec la pharmacie.

Cet exemple eut bientôt des imitateurs, et cette science s'enrichit successivement des écrits de Barthélemy Montagnana'; de G. Valla', et de Bassavola', qui honorèrent les dernières années du xv° siècle ou le commencement du xvi.

Les œuvres consacrées à l'histoire ou à la préparation des médicaments, se ressentaient, par leurs titres, de l'époque qui les produisit. Tels furent la Lumière des apothicaires', le Trésor des aromates", et le Grand luminaire ".

La toxicologie, qui n'a pris son rang dans les sciences que par les brillants travaux d'un des plus illustres chimistes de notre époque", comptait déjà, au Moyen âge, quelques importants essais. Les agents vénéneux avaient été étudiés par Arduino de Pesaro', qui, au xv siècle, pratiqua la médecine avec quelque éclat à Venise.

En traçant le tableau des premiers temps de la médecine moderne, nous avons eu à regretter les luttes énervantes et indignes d'elle, qui surgirent autour de son berceau. Si la Providence eût alors départi plus de sagesse et d'intelligence à ceux qui occupè

1. MONTAGNANA. Antidotarium. Paduæ, 1487.

2. G. VALLA. De simplicium natura liber unus. Strasbourg, 1528. 3. BASSAVOLA. Examen simplicium medicamentorum quorum usus est in publicis officinis. Romæ, 1530.

4. QUIRICUS DE Augustis de TertHONA. Lumen apothecariorum. Lugd., 1504.

5. PAULI SUARDI Thesaurus aromatariorum, sive antidotarium. Parisiis, 1624.

6 DE MANLIIS DE Bosco. Luminare majus, medicis et aromatariis necessarium. Lugd., 1528.

7. ORFILA, Toxicologie générale. Paris, 1843.

8. ARDUINO. De venenis. Venise, 1492.

rent les sommités du pouvoir, la plus noble des sciences eût évité ces déchirements et ces affronts. Si actuellement, pour compléter cette esquisse, nous fixons nos regards sur l'anatomie, nous la voyons aussi, mais par d'autres causes, ne s'avancer qu'au milieu des obstacles, hésiter longtemps, et ne prendre enfin son essor que vers les dernières années de l'époque à l'étude de laquelle cet ouvrage est con

sacré.

L'histoire de l'anatomie au Moyen âge est malheureusement fort stérile; aussi quelques lignes suffiront pour l'esquisser1.

Dans l'antiquité, Aristote avait fait faire de grands progrès à l'anatomie comparée, mais le respect dont la religion environnait les morts, empêcha l'anatomię humaine d'avancer dans la même proportion. Hérophile put cependant, à l'aide de la protection de Ptolémée Lagus, disséquer plusieurs hommes'; et il paraît qu'Érasistrate posséda aussi quelques notions sur notre organisme; mais le temps ayant anéanti les travaux de ces deux observateurs, nous ne les connaissons que par les extraits qu'en donne Galien.

Le génie de Galien, enchaîné par les mêmes pré

1. Comp. OTT. GOELICK. Introductio in historiam litterariam anatomes. Francofurti, 1738. — PORTAL. Histoire de l'anatomie et de la chirurgie. Paris, 1770. - LASSUS. Discours historique sur les découvertes faites en anatomie par les anciens et les modernes. Paris, 1783. — VERDIER. Encyclopédie méthodique. Paris, 1790, t. II, p. 613. - T. LAUTH. Histoire de l'anatomie. Strasbourg, 1815. P. RAYER. Sommaire d'une histoire abrégée de l'anatomie pathologique. Paris, 1818.-CARUS. Traité d'anatomie comparée. Paris, 1835. Introduction

2. GEOFFROY SAINT-HILAIRE ET SAVARY. Dictionnaire des sciences médicales. Paris, 1812, t. II, p. 38.

jugés, ne fit pas avancer notre anatomie autant qu'on aurait pu s'y attendre. Ne pouvant se livrer à la dissection de l'homme, le médecin de Pergame n'ouvrit que des singes, et ce fut d'après ces animaux qu'il écrivit son célèbre ouvrage d'anatomie humaine'.

Après ce grand homme, et durant toute la première moitié du Moyen âge, on abandonna absolument l'étude de l'anatomie. La religion nouvelle avait sanctifié les sépultures, l'anathème éloignait le scalpel de tout cadavre humain, et les tombes elles-mêmes se trouvaient placées sous la sauvegarde de la loi'.

L'empereur Frédéric II, qui semblait aspirer au titre de restaurateur des sciences et des arts, donna une salutaire impulsion aux études anatomiques. A la prière de son archiâtre Martianus, il institua une chaire dans laquelle l'anatomie humaine devait être exposée tous les cinq ans. L'empressement que montrèrent les médecins et les chirurgiens en suivant les cours nouvellement crées, engagea l'université de Bologne à imiter cette institution.

Nonobstant ce succès, à compter du règne de Frédéric II jusqu'au milieu du xv° siècle, les monarques n'accordèrent guère aux plus célèbres universités qu'un ou deux cadavres chaque année. Et, dans

1. DE BLAINVILLE, Histoire des sciences de l'organisation. Paris, 1845, t. I, p. 362, a démontré que ce fut du magot, simia inuus, L., dont il se servit à cet effet, comme étant l'espèce la plus rapprochée de l'homme qu'il put alors se procurer.

2. CASSIODORE rapporte que des comtes étaient chargés de pourvoir à la sûreté des sépultures et de punir sévèrement ceux que la cupidité ou la simple curiosité poussaient à violer ces asiles sacrés. Comp Encyc. méth, t. II, p 624.

3. Encyclopédie methodique.

4. VERDIER. Encyclopédie méthodique. Paris, 1790, t. II, p. 627.

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