Imagens das páginas
PDF
ePub

grands animaux que nos régions ont successivement possédés, et, tout en nous conduisant à assigner à la première apparition de l'Homme une date antérieure à celle admise par Cuvier, les documents que leur étude a fournis à la science ne contredisent en rien l'opinion également émise par ce grand naturaliste, que l'Homme n'a pas foulé le sol de l'Europe aux époques où y vivaient les Paléothériums et les Lophiodons, quoique ces dernières époques soient elles-mêmes bien postérieures à celles durant lesquelles tant de Reptiles bizarres ou de Poissons différents de ceux qui ont apparu plus tard peuplaient notre planète. Voyons donc quelles rectifications comportent les vues de Cuvier qui sont relatives à l'ancienneté de l'Homme dans nos contrées ainsi qu'aux espèces animales qui ont précédé la faune dont notre propre espèce fait partie et qu'elle domine par son intelligence.

Cuvier expliquait la disparition des Paléothériums et des animaux appartenant à la même population par une irruption des eaux marines. « Mais la mer, qui, dit-il, << avait recouvert ces terrains et détruit leurs animaux, laissa de grands dépôts qui << forment aujourd'hui, à peu de profondeur, la base de nos grandes plaines; <<< ensuite elle se retira de nouveau, et livra d'immenses surfaces à une population << nouvelle, à celle dont les débris remplissent les couches sablonneuses et limo<<< neuses de tous les pays connus. >>

Ce n'est qu'alors qu'il fait apparaître les grands pachydermes, les carnivores de genres encore existants et tant d'autres animaux terrestres dont il fait une population unique, << la population qui remplit nos couches meubles et superficielles, et qui <«< a vécu sur le dépôt dont nous venons de parler. » Il la caractérise ainsi : « Les << Pachydermes cependant y dominent encore; mais des Pachydermes gigantesques, << des Éléphants, des Rhinocéros, des Hippopotames, accompagnés d'innombrables << Chevaux et de plusieurs grands Ruminants. Des Carnassiers de la taille du Lion, « du Tigre, de l'Hyène, désolaient ce nouveau règne animal. »

La période des dépôts marins, par laquelle Cuvier séparait la venue des grands Pachydermes et l'extinction des Paléothériums, ne saurait, de son côté, être admise comme distincte, car les terrains qu'elle comprend sont en réalité contemporains de l'existence de ces Pachydermes, qu'il suppose plus récents, et l'on y trouve enfouis les débris de ces animaux à côté de ceux des Sirénides ou des Cétacés propres aux eaux marines, que nous ont conservés les faluns de la Touraine ainsi que les molasses de l'Anjou et celles du midi de la France. Ces grands Pachydermes sont les Mastodontes, divers Rhinocéros, les Anthracothériums, le Listriodon, les Chalicothériums et toutes les autres espèces enfouies dans les molasses lacustres de l'époque miocène ainsi que dans les marnes calcaires de la même époque géologique.

En effet, ce n'est que localement et dans des régions circonscrites de l'Europe que la mer a envahi les terrains précédemment occupés par la faune paléothérienne et les animaux terrestres, dont nous venons d'énumérer les genres, vivaient à peu de distance, mais concurremment, sur les parties alors émergées. De leur côté, les

Eléphants et les autres animaux diluviens n'avaient point encore apparu, et c'est pour avoir ainsi attribué à une même population des espèces qui ont vécu en des temps bien certainement différents, que les géologues qui ont les premiers admis une période quaternaire, avaient compris dans cette période, non-seulement les terrains diluviens, mais aussi les dépôts pliocènes et miocènes. Ces derniers, il est vrai, ont été bientôt rendus à la série tertiaire; mais, je le répète, les Mastodontes, les Eléphants européens et tous les autres quadrupèdes qui sont venus après les Paléothériums et les Anoplothériums ne constituent pas une population unique, dont les espèces aient été, à un certain moment, contemporaines les unes des autres, comme nous voyons nos mammifères sauvages actuellement existants avoir été contemporains des espèces anéanties de la période diluvienne.

On peut d'ailleurs établir, contrairement à l'opinion de Cuvier, que ces animaux ne se sont montrés que successivement et par faunes distinctes. Ce sont les débris osseux de leurs différentes populations qui caractérisent les terrains dont le dépôt a été contemporain de leur existence respective. Parmi ces différentes faunes, celle dont ont fait partie l'Éléphant mammouth (Elephas primigenius), le Rhinocéros à narines cloisonnées (Rhinoceros tichorhinus), le grand Hippopotame (Hippopotamus major), le grand Ours (Ursus spelæus), le grand Lion (Felis spelœa), la Panthère des cavernes (Felis antiqua), ainsi que les Hyènes auxquelles on a donné les noms d'Hyæna spelæa, intermedia et prisca, est la moins ancienne de celles qu'a produites notre sol et elle ne se distingue pas de celle qui vit encore aujourd'hui. On le prouve en établissant que les espèces, actuellement sauvages dans notre pays, en ont fait partie et sont, par conséquent, de la même date que les animaux éteints dont on vient de lire les noms. J'en ai déjà fait la remarque ailleurs: tout devrait conduire à penser que c'est avec cette population que l'Homme a apparu. Ne constitue-t-elle pas, en effet, l'une des principales divisions de la faune générale du globe telle que nous la voyons subsister encore en Afrique et dans l'Asie méridionale?

Que l'Eléphant mammouth ne soit, comme l'admettent Cuvier et de Blainville, qu'une race de l'espèce qui comprendrait aussi l'Elephas meridionalis et l'Elephas antiquus, supposés plus anciens que lui par quelques auteurs (1), cela importe peu pour la solution de la grande question qui va nous occuper. Il en est de même de la coexistence réelle ou supposée des Mastodontes et des Eléphants en Europe pendant les derniers temps de la période tertiaire. Ces problèmes secondaires auront, à leur tour, leur solution, s'ils ne l'ont déjà reçue; ce qu'il était utile d'établir tout d'abord, c'est l'ordre suivant lequel la série des faunes postérieures aux Paléothé

(1) MM. Gunn et King ont signalé dans les couches du Forestbed, en Norfolk, la réunion de ces trois espèces ou races d'Éléphants; de leur côté, MM. Anca et Gemellari donnent, comme se trouvant ensemble dans les terrains quaternaires de la Sicile, les Elephas antiquus, meridionalis, armeniacus et africanus.

riums et aux Anoplothériums a opéré son évolution et quelles sont les espèces les plus caractéristiques de chacune de ces populations successives.

Ne sont-ce pas, en effet, les différentes formes animales, propres à ces populations, que nous nous proposons de retrouver et de caractériser dans le but de reconnaître, par cette étude, celles d'entre elles dont l'Homme a été le contemporain? Les lois de la formation des espèces elles-mêmes nous sont inconnues. Nous ignorons aussi dans quelles conditions se sont accomplies, non-seulement ces apparitions successives d'êtres organisés, les uns animaux, les autres végétaux, que le globe a eus autrefois pour habitants; le plus souvent les causes de leur destruction nous échappent également. Nous ne savons pas davantage, dans certains cas, si les plus récentes de ces espèces proviennent de la transformation de celles qui les ont précédées, ni si celles que nous reconnaissons pour être de nouvelle formation, et dont la classe des Mammifères nous offre de si curieux exemples, ont eu une origine indépendante de celles dont elles ont pris la place. Même lorsque leurs caractères ne semblent être qu'une évolution régulière de ceux qui distinguaient ces dernières, il nous est impossible de décider si elles en descendent directement, car l'origine des espèces actuelles nous échappe aussi bien que celle des espèces propres aux âges précédents.

La science des naturalistes reste muette devant ces grands problèmes; leur imagînation et les vues spéculatives auxquelles elle a conduit quelques-uns d'entre eux ont seules répondu, mais, sans satisfaire les esprits qui ne se contentant pas d'hypothèses, si ingénieuses qu'elles soient, veulent des démonstrations rigoureuses. Nous devons donc nous résigner à en appeler de la science d'aujourd'hui à la science des âges futurs, non dans l'espoir de voir se réaliser les suppositions éphémères qu'il est libre à chacun de nous d'invoquer, mais pour lui demander des faits nouveaux qui permettent d'aborder avec quelque espoir de succès la solution de ces problèmes encore de longtemps insolubles.

Contentons-nous donc, en attendant que la lumière se fasse sur ces graves questions et que le grand jour ait succédé aux faibles lueurs que nous ne faisons encore qu'entrevoir, de rechercher les affinités qui rattachent les espèces les unes aux autres et de constater les différences anatomiques qui les séparent, que les caractères constituant ces différences n'aient qu'une durée limitée, ou qu'ils distinguent, dans la majorité des cas, des êtres n'ayant aucune parenté entre eux. N'est-ce pas, en effet, sur l'observation de ces caractères, quelles qu'en soient l'origine et la durée, que reposent les admirables conclusions auxquelles la zoologie et la botanique sont arrivées et les grandes découvertes de la science ne perdraient-elles pas toute la valeur qui les distingue si nous supposions que les espèces se transforment sans règle les unes dans les autres et que le hasard a seul présidé à leur apparition successive, décidé de l'époque de leur existence ou assuré leur étonnante répartition sur le globe?

On démontre qu'après l'extinction des Paléothériums et des autres quadrupèdes dont on retrouve les débris associés à ceux de ces animaux dans les gypses de Montmartre et dans les terrains de même date géologique, une nombreuse population de mammifères terrestres, fort différente de celle qu'ont plus tard enfouie les dépôts diluviens, s'est répandue sur une grande partie de l'Europe. C'est elle qui a laissé ses ossements dans les bancs de molasse et dans les autres dépôts réunis par les géologues sous la dénomination de miocène. J'en ai déjà donné l'énumération ailleurs (1) et j'aurai l'occasion d'y revenir dans une autre partie de cet ouvrage.

Aucun des étages de ce miocène, aucun des gisements qu'on en a signalés n'a encore fourni de fossiles susceptibles d'être attribués à l'Homme; il en est ainsi, non-seulement en Europe, mais aussi dans l'Inde, où d'abondants dépôts, appartenant à la même formation, renferment des fossiles analogues à ceux du miocène de nos contrées, mais différents de ces derniers par leurs caractères spécifiques.

La population animale qui a succédé à celle du miocène n'est encore connue que par un moindre nombre de ses espèces; peut-être a-t-elle été moins importante. Cependant les fossiles qu'on en recueille dans les terrains fluviatiles ou marins de Montpellier m'ont permis d'en reconstruire les principaux membres (2), et j'en connais maintenant vingt-deux espèces, les unes terrestres, les autres exclusivement marines. A la seconde catégorie appartiennent un Phoque, un Sirénide et quatre Cétacés. C'est à cette faune et aux étages géologiques qui lui correspondent que j'ai spécialement réservé le nom de pliocène. Plusieurs des espèces qui la composaient ont été retrouvées ailleurs qu'à Montpellier, mais les localités qui en ont fourni des ossements sont restées, jusqu'à ce jour, peu nombreuses. On peut citer parmi les principaux mammifères terrestres du pliocène le Mastodon brevirostre et le Rhinoceros megarhinus.

J'ai signalé, dans nos régions, une autre faune se rattachant à celles de la période tertiaire supérieure par la présence d'un Mastodonte (Mastodon arvernensis), dont l'espèce est même regardée, par plusieurs auteurs, comme ne différant pas du Mastodonte de Montpellier. Cette faune est celle du faux pliocène d'Auvergne. On en observe les restes dans les terrains volcaniques des environs d'Issoire (Puy-de-Dôme). Plusieurs des espèces qui l'ont constituée ressemblent déjà beaucoup à celles de l'époque qui va suivre; on en trouvera l'énumération dans mon précédent ouvrage (3). C'est une sorte de transition des dépôts tertiaires aux dépôts quaternaires, tels que les géologues les définissent à présent, et cependant on ne rencontre, non plus, avec les fossiles de cette faune aucun indice de la présence de l'Homme. Voilà donc quatre populations bien distinctes postérieures aux Paléothériums :

(1) Zoologie et Paléontologie françaises, p. 335.

(2) Ibid., p. 347.

(3) Ibid., p. 350.

celle du miocène, celle du pliocène de Montpellier, celle du faux pliocène d'Auvergne et celle du diluvium que l'on a séparée à tort, sous le nom de quaternaire, de la population maintenant existante.

Rappelons, dès à présent, que les ossements humains découverts à Denise, près le Puy-en-Velay (Haute-Saône), en 1844, ont précisément été attribués à ces étages, intermédiaires aux dépôts miocènes supérieurs et aux dépôts quaternaires, qui renferment les restes des derniers Mastodontes européens. Comme anthropolithes, ces fossiles sont incontestables, et, dans une visite que j'ai faite au gisement de Denise, j'ai moi-même trouvé, ainsi que l'a rappelé M. Aymard, une nouvelle dent humaine au même lieu et dans le dépôt qui avait fourni les portions de squelettes humains conservées au musée du Puy. L'usure avancée de cette dent doit faire supposer qu'elle a appartenu au plus âgé des deux sujets découverts antérieurement. L'opinion que ces débris remontent à l'époque tertiaire supérieur a reçu une sorte de sanction par les paroles suivantes de l'un des plus habiles paléontologistes français, Laurillard, le savant et modeste collaborateur de Cuvier : « Les ossements humains << découverts à la montagne de Denise, dans les couches volcaniques qui recèlent << également des ossements de Mastodontes et que quelques géologues regardent << comme les dernières assises de ces terrains (les terrains tertiaires), semblent << prouver que l'Homme était déjà répandu sur la terre lorsque ces dernières couches << se sont formées (1). » Malheureusement le gisement des anthropolithes de Denise n'a pas encore été déterminé avec une précision suffisante et rien ne prouve, à mon avis, du moins, qu'il fasse réellement partie de couches à Mastodontes et autres mammifères pliocènes que l'on rencontre auprès de cet endroit. Cette indication reste donc incomplète sous un point de vue important, celui de la stratigraphie, et l'on devra chercher d'autres preuves pour établir que l'Homme était déjà répandu dans nos contrées, alors qu'avait lieu le dépôt des derniers terrains tertiaires.

Le second fait qu'on a invoqué pour établir l'existence de l'Homme dans l'Europe centrale, vers la fin de la période tertiaire, telle que la comprennent les géologues, est emprunté au dépôt caillouteux de Saint-Prest situé à peu de distance de Chartres. Ce dépôt renferme de nombreux ossements de grands mammifères qui sont, pour la plupart, marqués, à leur surface, de stries comparables à celles qu'ont laissées, sur des os enfouis dans des dépôts plus récents, les couteaux en silex employés par les premiers hommes pour dépecer les animaux qu'ils se procuraient en chassant et les décharner. C'est M. Desnoyers qui a publié le premier ces remarques (2).

Les espèces que l'on a d'abord signalées à Saint-Prest sont le grand Eléphant (Elephas meridionalis), un Rhinocéros, alors considéré comme étant le Rhino

(1) Dicl. univ. d'hist. nat., t. XII, p. 615.
(2) Compt. rend. hebd., t. LVI, p. 1073; 1863.

« AnteriorContinuar »