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s'étonnera peut-être du silence de Godefroi; mais récemment choisi par l'armée tout entière qui ratifie, sans le savoir, le choix du ciel, il la conduit. au siége de Solime, après avoir enflammé tous les cœurs par une harangue pleine de l'esprit divin. Arrêté un moment dans sa marche par une ambassade du monarque égyptien, il vient de faire éclater sa foi, sa piété, sa constance et sa sagesse, devant tous les Croisés, qui bientôt indignés des menaces d'Argan, et sans attendre la réponse de leur général, se sont écriés tous ensemble : « La guerre! la guerre!» Ensuite, on l'a entendu confirmer le vœu de ses braves compagnons; il n'a donc besoin de parler, ni pour accroître leur estime et leur confiance, ni pour exciter leur zèle. Mais le Tasse observe ici d'autres convenances que nous ne devons pas méconnaître : Godefroi garde le silence parce qu'il est trop profondément ému pour parler; il pleure, il souffre, et il prie au-dedans; d'ailleurs la raison, et surtout sa piété, suffiraient pour l'empêcher de troubler par des discours le recueillement et les regrets des soldats de la foi. Quel orateur pourrait égaler l'impression produite par la contrition et les soupirs, par l'hu

leur montrer le chemin de la sainte cité, terme de leurs nobles travaux. «A chaque instant ils regardent si quelque rayon ne perce pas l'obscurité de la nuit. » (Fin du 2o chant.)

milité sincère, et la douleur long-temps muette de l'armée, en présence de la tombe du Christ? Le Tasse lui-même n'a pas pu triompher de la difficulté de faire succéder des paroles à l'éloquence d'une pareille scène 1. Pour laisser à la situation tout son effet magique sur notre imagination, il fallait que le bruit de la guerre et le cri d'alarme vinssent seuls interrompre les secrètes prières et le calme imposant de la religieuse armée.

M. de Chateaubriand a imité, dans son Itinéraire, la description du Tasse; mais, soit en

On éprouve du moins quelque plaisir en voyant que le poëte n'ait pas mis dans la bouche de Godefroi, les froides antithèses qui offensent la majesté du sujet, dans cette strophe que je ne cite pas sans regret :

« C'est donc ici, ô seigneur! que tu as laissé la terre arrosée de mille ruisseaux de ton sang; et ce souvenir douloureux ne me fait pas du moins verser deux fontaines vives de pleurs amers! O cœur de glace, tu ne te fonds pas par les yeux, et tu ne coules pas changé en larmes! O cœur de rocher! quoi, tu ne te brises pas? tu n'es pas déchiré? Ah! tu mérites bien de pleurer éternellement, si tu ne pleures pas aujourd'hui.» Virgile ne manque jamais ainsi de naturel dans l'expression des sentiments, et l'antiquité n'a guère connu ce misérable abus d'esprit. M. Baour-Lormian a senti la nécessité de corriger le texte; il aurait dû pousser la liberté jusqu'à donner au Tasse le naturel et l'âme qui lui manquent dans cette circonstance.

parlant de la ville sacrée, soit en décrivant le saint sépulcre et les lieux qui l'environnent, il n'est pas parvenu à saisir le caractère vraiment religieux du sujet; ses tableaux manquent de poésie; ses paroles manquent d'inspiration.

Avant le Tasse, l'Homère portugais avait su éviter la faute de Virgile; voici ce qu'on lit dans son poëme :

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Déjà le soleil naissant éclairait les collines qui entendent murmurer les eaux du Gange. Le calme régnait sur les flots, et la joie dans les cœurs, quand, de la cime du grand mât, les nochers aperçurent la terre qui s'élevait devant eux. «Amis, s'écria le pilote de Mélinde, si j'en crois mes yeux, c'est la terre de Calicut. Oui, c'est elle; et si l'Inde est le terme de vos efforts, réjouissez-vous, vos travaux sont finis. A ces paroles du pilote, à l'aspect du rivage, Gama ne peut retenir ses transports. Attendri, hors de lui-même, il fléchit le genou, lève les mains au ciel, et lui rend grâces, de son bonheur.

» Deux fois heureux, il apercevait enfin cette terre si long-temps désirée, et venait d'échapper aux horreurs d'un naufrage qui semblait inévitable 1. »

L'habile et nouveau traducteur de Camoëns, compare judicieusement la tempête du sixième livre dans les Lusiades avec la tempête du premier livre de l'Enéide. Non-seulement

Ce petit nombre de paroles suffit pour montrer le poëte fidèle à la peinture des mœurs, et le héros fidèle à son caractère. Remarquons en passant que le salut de Gama et de ses compagnons semble être le fruit d'une éloquente prière qu'il venait d'adresser au ciel. Pour ne rien omettre d'utile à la situation, le poëte célèbre avec enthousiasme, dans le peuple de la Lusitanie, dont les héros viennent d'aborder en Asie, après tant de périls et de travaux, le plus petit des peuples par le nombre, et le plus grand par les exploits; forme tout-à-fait contraire à celle des autres poëtes, toujours occupés à élever l'origine de ceux qu'ils chantent : forme nouvelle qu'il ne faudrait pas imiter sans réflexion, mais qui, choisie par le génie, ajoute ici beaucoup à l'intérêt en nous pénétrant d'admiration pour Gama et pour des compagnons dignes de lui. Virgile, trop préoccupé des Romains, ne peut parvenir à se passionner pour les Troyens ; leur présence n'inspire

la description du poëte portugais se fait remarquer par le mouvement et la chaleur, mais elle est encore pittoresque et pleine d'harmonie imitative. Même après l'apparition du Neptune de Virgile, dont la présence apaise la mer et rend la sérénité à toute la nature, on peut sourire à l'heureuse fiction du Camoëns qui fait expirer la colère des aquilons devant les nymphes envoyées par Vénus, protectrice des Lusitaniens.

pas sa muse; Camoëns aime, admire et chante les Portugais, et ne voit rien au-dessus d'eux dans le monde.

Il serait difficile au poëte latin de résister à l'autorité de cette comparaison avec deux hommes de génie qui l'ont imité, en le corrigeant par les conseils d'une critique judicieuse. Les Troyens ne se montrent pas ici sous un jour favorable; et, pour le fils d'Anchise, quelque pressé qu'il soit d'exécuter la volonté d'un père, et de consulter la sibylle de Cumes, il devrait d'abord, comme guerrier, comme roi, comme favori des dieux, réchauffer l'indifférence, ou éveiller l'enthousiasme des siens par quelques sublimes paroles. Ce soin était plus important, plus digne de lui que la curiosité qui l'arrête si long-temps devant les tableaux que nous allons voir gravés sur les portes du temple d'Apollon.

« Dédale fuyant le royaume de Minos, si l'on en » croit la renommée, osa se confier sur des ailes >> rapides à l'océan des airs; à travers une route nou» velle, il vogua vers les glaces de l'Ourse, et s'arrêta »> enfin comme un oiseau léger sur les hauteurs de » Chalcis. A peine rendu à la terre, le premier soin » du hardi voyageur fut, ô Phébus! de te consa» crer ses rames aériennes 1 et de t'élever un vaste

Le texte dit: Remigium alarum, expression juste et pit

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