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BIOGRAPHIE GÉNÉRALE

DEPUIS

LES TEMPS LES PLUS RECULÉS
JUSQU'A NOS JOURS,

AVEC LES RENSEIGNEMENTS BIBLIOGRAPHIQUES

ET L'INDICATION DES SOURCES A CONSULTER;

PUBLIÉE PAR

MM. FIRMIN DIDOT FRÈRES,

SOUS LA DIRECTION

DE M. LE D' HOEFER.

Tome Vingtième.

PARIS,

FIRMIN DIDOT FRÈRES, FILS ET CE, ÉDITEURS,

IMPRIMEURS-LIBRAIRES DE L'INSTITUT DE FRANCE,

RUE JACOB, 56.

-

M DCCC LVII.

Les éditeurs se réservent le droit de traduction et de reproduction à l'étranger.

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DEPUIS LES TEMPS LES PLUS RECULÉS JUSQU'A NOS JOURS.

GEOFFRIN ( Marie-Thérèse née RODET, dame), née à Paris, en 1699, morte dans la même ville, en 1777. A l'âge de quatorze ans, elle épousa un riche bourgeois, nommé Geoffrin, dont la nullité, mise plus tard en évidence par le contraste de la sagacité de sa femme, donna lieu à beaucoup de plaisanteries. Il avait eu cependant le mérite de savoir amasser ou conserver une fortune très-considérable, qui permit dans la suite à sa fille de devenir marquise de La FertéImbault et à sa femme de conquérir une haute position, non pas seulement dans le grand monde parisien, mais dans le grand monde européen. Mme Geoffrin était parvenue au moins à la maturité de l'âge lorsqu'elle s'occupa de se créer un salon. En ce siècle de bureaux d'esprit, ainsi s'appelaient alors les sociétés littéraires, la création d'un salon était une affaire sérieuse, une entreprise difficile, dont la réussite faisait la gloire d'une femme. Mme Geoffrin avait reçu peu ou point d'éducation; mais l'habitude de réfléchir, contractée dès sa première jeunesse, et une remarquable finesse d'intelligence, suppléaient à ce qui lui manquait du côté de l'instruction. Ce fut du vivant de son mari qu'elle commença à se former une société des personnages éminents à divers titres. Les lettres, les sciences, les arts, la philosophie, la beauté, l'esprit, et même la noblesse de naissance étaient représentés chez elle par les plus grands noms de la France, tels que Diderot, Mairan, D'Alembert, Marmontel, Raynal, Vernet, Bouchardon, Vanloo, Latour, Soufflot, Saint-Lambert, Thomas, d'Holbach, le vicomte de Caylus, la comtesse d'Egmont, Mlle Lespinasse, la marquise de Duras, Mme de Brionne, et bien d'autres. Toutefois, cette belle compagnie n'aurait pas suffi à faire passer à la postérité le nom roturier de Geoffrin, si la femme, pleine de bonté, de sens et de raison, qui le portait n'avait possédé une grande NOUV. BIOGR. GÉNÉR. T. XX.

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fortune et n'en eût disposé avec une munificence de prince. Aussi la traitait-on de virtuose, quoiqu'elle n'eût point de talents, mais seulement le goût des beaux-arts; et les étrangers de distinction croyaient, disent les mémoires du temps, « n'avoir rien vu en France s'ils ne s'étaient fait présenter chez Mme Geoffrin ». Ce fut ainsi que le comte de Creutz, Horace Walpole, Hume, Gibbon, devinrent ses amis.

Mme Geoffrin disait d'elle-même qu'elle avait l'humeur donnante. En effet, on la voit donnant sans cesse, à tout propos, sous toutes sortes de prétextes, aux plus riches comme aux plus pauvres, aux plus orgueilleux comme aux plus humbles. Un jour, elle apprend que le jeune comte Stanislas Poniatowski, qui pendant son séjour à Paris allait fréquemment et familièrement chez elle, vient d'être mis en prison à la requête de ses créanciers: aussitôt elle paye les dettes du seigneur polonais. Un matin, ses gens lui racontent que la laitière qui débite son lait à la porte de sa maison a perdu une de ses vaches: Mme Geoffrin lui en donne deux, l'une pour réparer la perte qu'elle a faite, l'autre pour la consoler du chagrin qu'elle a eu. Une autre fois, Bouchardon, le fameux sculpteur, lui envoie deux beaux vases de marbre qu'elle lui avait commandés; en les examinant, Mme Geoffrin s'aperçoit qu'un des couvercles est cassé. Elle mande les ouvriers qui ont apporté ces vases; deux seulement se présentent devant elle. « Hélas, madame, disent-ils, celui de nos camarades à qui cet accident est arrivé n'ose pas paraître devant vous... Si le maître a connaissance de sa maladresse, il le renverra, et le pauvre homme a une femme et quatre enfants! >> - « Allons, allons, répond Mme Geoffrin, voilà qui est bien. » C'était sa phrase favorite; dans sa bouche elle signifiait : « Cela suffit... c'est assez. » Puis Mme Geoffrin en1

voie un de ses gens à l'atelier dire à l'ouvrier que M. Bouchardon ne sera pas instruit de l'accident, et lui fait remettre douze livres pour le dédommager de la frayeur qu'il a éprouvée. Ses deux camarades reçurent aussi quelques pièces d'argent, en récompense de leur bonne conduite à son égard. A une époque plus avancée de sa vie, Mme Geoffrin étant reçue au palais impérial de Vienne par Marie-Thérèse, remarqua dans son oratoire, garni de beaux tableaux, une place vide, et demanda à Sa Majesté la permission de remplir cette lacune. L'impératrice ayant accédé à sa demande, Mme Geoffrin, de retour à Paris, lui envoya une Vierge de Carlo Maratto. Elle reçut de Marie-Thérèse un magnifique service de porcelaine de Saxe. Ces échanges de cadeaux entre une souveraine et une bourgeoise ne sont pas communs.

Ce furent surtout les gens de lettres, et plus particulièrement encore, parmi ceux-ci, les encyclopédistes, qui ressentirent les effets de sa libéralité. C'étaient des cadeaux d'ameublements complets, des contrats de rentes viagères, des dons inattendus de sommes considérables d'argent, et des présents annuels, faits à époques fixes, véritables présents d'amitié qui consistaient ordinairement en objets sans valeur positive, et d'un choix bizarre, tels que, par exemple, la calotte de velours qu'elle donnait à chacun de ses convives du mercredi. Mme Geoffrin avait classé les habitués de son salon en trois catégories, les gens de lettres, auxquels elle joignait les savants... : c'étaient les convives du mercredi; les artistes, peintres, sculpteurs ou architectes, qui avaient leur couvert mis tous les lundis à la table de Me Geoffrin ( on ne voit pas qu'elle accueillit les musiciens); enfin, les gens du monde, c'est-à-dire des hommes et des femmes de la haute noblesse et les étrangers de marque...: ils composaient la société du soir. Quelques-uns restaient à souper, bien que chez Me Geoffrin ce repas fût, au contraire du diner, simple jusqu'à la frugalité. « Un poulet, une omelette, des épinards, voilà tout, dit Marmontel, qui avait le privilége de se mêler, quand cela lui plaisait, à la catégorie des artistes et à celle des gens du monde. Cette coutume de diviser, nous allons dire de parquer sa société, devait nuire à l'agrément des réunions qui avaient lieu chez Mme Geoffrin. Mais si ces divers groupes, qui se reformaient régulièrement aux mêmes jours et aux mêmes heures dans son salon, se fussent parfois rencontrés ensemble, il en serait résulté une variété et une animation qui n'étaient probablement pas du goût de la maîtresse de la maison. Très-simple dans sa toilette et dans ses manières, méthodique dans les actes ordinaires de la vie, Mme Geoffrin n'aimait pas l'imprévu; une société très-nombreuse, une conversation très-diversifiée lui eussent occasionné plus de fatigue que d'amusement, et puis elle voulait

bien

pour ses causeres un auditoire restreint, discipliné, qui la laissât toujours placer au moment opportun ses observations fines et les anecdotes piquantes, qu'elle disait d'ailleurs trèsbien. En cela, Mme Geoffrin usait incontestablement du droit de toute maîtresse de maison de se former une société à sa convenance; son unique tort était d'oublier que la domination d'une femme dans son salon doit s'exercer sans se faire sentir. Marmontel, un peu moins indulgent que ses commensaux Morellet, D'Alembert et Thomas, qui étaient, ainsi que Mile Lespinasse, sur la liste des pensionnés de Mme Geoffrin, Marmontel laisse percer sa désapprobation de l'absolutisme doucereux avec lequel elle gouvernait ses familiers, tantôt retenant un interlocuteur en deçà de la limite qu'elle posait arbitrairement à toute discussion politique, littéraire ou philosophique, tantôt s'ingérant dans les affaires de ses amis pour avoir le plaisir de les régenter, de les gronder, et se donner ensuite la satisfaction de les servir, soit de sa bourse, soit de son crédit. Tout en prêchant d'exemple la libéralité, elle aiguillonnait par ses paroles ceux de ses amis opulents dont la générosité se montrait paresseuse. « Il faut.. », disait-elle à Fontenelle quand elle voulait le forcer à sortir de ses habitudes de personnalité pour pratiquer la bienfaisance; et Fontenelle lui obéissait. En 1766, Voltaire ayant écrit à Me Geoffrin pour la prier d'intéresser le roi de Pologne an sort des Sirven, elle obtint de Stanislas Poniatowski un don de deux cents ducats pour ces victimes de l'intolérance religieuse. La lettre suivante, dont le roi accompagna la remise de cette somme à Mme Geoffrin, témoigne des sentiments d'affection qu'il lui avait voués.

« J'ai cru voir dans la lettre que Voltaire vous écrit la Raison qui s'adresse à l'Amitié en faveur de la Justice. Quand je ferai une statue de l'Amitié, je lui donnerai vos traits; cette divinité est mère de la Bienfaisance : vous êtes la mienne depuis longtemps, et votre fils ne vous refuserait pas, quand même ce que Voltaire me demande ne m'honorerait pas autant ».

Mme Geoffrin se trouvait en ce moment à la cour de Varsovie. Elle s'y était rendue, aux instantes sollicitations du prince qui l'appelait sa mère, en souvenir de la sollicitude toute maternelle dont elle lui avait donné des preuves, pendant son séjour en France. C'était la première fois que Mme Geoffrin s'absentait de Paris, et elle avait alors soixante-sept ans. La réputation dont cette femme singulière jouissait dans toute l'Europe, en sa qualité de protectrice et de bienfaitrice des gens de lettres et des philosophes, l'ayant précédée sur la longue route qu'elle avait eu à parcourir, elle s'était vue accueillie en tous lieux avec des honneurs infinis. A Paris, les détails de ce voyage alimentèrent pendant longtemps les conversations à la ville et à la cour. L'empereur d'Allemagne, curieux

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