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un ouvrage1, dans lequel il essaye de prouver que l'Allemagne est le pays de l'Europe le plus anciennement peuplé, et que, par conséquent, c'est dans la langue de ses habitants qu'on doit trouver l'origine de la langue latine 2. Il cherche ensuite à justifier ce système par une nomenclature assez étendue de mots latins et allemands qui ont la même signification dans les deux langues; mais il lui resterait à démontrer que les Latins ont reçu ces mots des Allemands, au lieu de les leur donner.

Les Osservazioni critiche intorno la moderna lingua latina del signor Paolo Zambaldi, Venise, 1740, in-8o, n'ont laissé à aucun de leurs lecteurs l'audace d'écrire deux phrases en latin. D'Alembert et tous les gens sensés n'ont cessé de crier à l'impertinence, lorsqu'il s'est agi de prose et surtout de vers faits de nos jours en soi-disant latin. Il est clair que la langue des Romains serait pire que de l'arabe pour un Romain ressuscité qui entendrait un de nos latinistes. Les acceptions usuelles, les allusions locales, les conventions traditionnelles n'existent plus pour nous, et cependant, c'est toujours d'excellent latin que nos pédants croient composer.

PRONONCIATION DU LATIN. La manière dont les anciens prononçaient le latin est un grand sujet de controverse parmi les nations modernes. Chacune le prononce comme sa propre langue, et rit beaucoup de la prononciation des autres. Le genre humain est ainsi fait, toujours satisfait de lui-même et toujours intolérant. Un phi

1 De origine linguæ lat. tractatus, 1720, in-4.

2 La proposition contraire serait presque admissible; puisqu'il paraît prouvé que le latin a une grande affinité avec le sanscrit, et que de ce dernier dérive l'allemand.

lologue infatigable, frappé de toutes ces prétentions ridicules, s'est occupé de recueillir les diverses opinions des savants à ce sujet, et le résumé de ces opinions est, dit-il, celui-ci 1:

C, chez les Romains, avait toujours le son dur de K; il avait dans dicis, la même valeur que dans dico. T avait toujours le même son, celui qu'il a dans artes, et jamais celui de S, que nous lui donnons dans artium. U se prononçait comme ou, et W; selon d'autres, plutôt comme O bref que comme ou. Um, am, à la fin des mots, étaient des syllabes sourdes, muettes, dans lesquelles M, se faisait à peine sentir : ce qui porterait à le croire, c'est qu'elles s'élidaient dans les vers. Enfin, pouvait fort bien ne pas avoir la valeur d'une consonne que nous lui attribuons.

Les deux phrases qui suivent sont un spécimen de cette prononciation présumée :

In Latio decus pronunciationis et eloquentiæ est Cicero. In lathio dekous pronwnkiationis et éloquenthiæ est ikero.

Utinam Ciceronem audivissemus, Romani, ut pronunciaremus voces vestras ut decet.

Outinam kikeronem audiwissemous, Romani, out pronwnkiaremous wokes westras out deket.

Ce mode de prononciation se rapproche beaucoup plus de celui des Italiens, des Allemands et surtout des Hongrois que de tout autre.

Cette question restée si douteuse, l'intolérance, mainte et mainte fois, ne s'est pas fait scrupule de la trancher. Ramus raconte qu'un bénéficier fut privé de ses revenus

1 Peignot, Essai sur l'origine de la langue française, Dijon, 1835, in-8.

pour avoir prononcé quisquis et quanquam comme nous le prononçons aujourd'hui, au lieu de kiskis et kankan.

LATIN DE CUISINE. Il a fallu lutter longtemps contre l'obstination des tribunaux français à faire usage du latin dans leurs actes. En 1490, Charles VIII avait prescrit d'écrire les dépositions en français; en 1510, Lou's XII fut obligé de renouveler cet édit. Ce que ces deux rois avaient exigé pour les dépositions, François Ier l'étendit en 1532 aux actes des notaires, et en 1539, par l'ordonnance de Villers-Cotterets, à toutes les espèces d'actes judiciaires. Cependant, vingt-six années après cette ordonnance, les cours supérieures persistaient encore dans l'emploi de la langue latine pour les réponses sur requêtes et pour les enregistrements des lois roya'es, » quoique les requêtes et les lois elles-mêmes, au bas desquelles on les inscrivait, fussent en langue française, et on fut forcé de le leur interdire en 1563 par l'ordonnance de Roussillon. Bien plus, en 1629, c'est-à-dire quatre-vingt dix ans après l'ordonnance de Villers-Cotterets, et soixante-six après celle de Roussillon, on eut encore à faire la même défense, pour les procédures et jugements, aux tribunaux ecclésiastiques (Code Michaud, art. 27).

Cet amour opiniâtre du latin se justifiait-il au moins par une connaissance approfondie de cette langue? Nous allons, par quelques citations empruntées à des documents authentiques, mettre le lecteur en état de répondre lui-même à cette question.

1248. « On a donné à cens une vigne qui est auprès de Vif... quæ vinea est apud MONTATAM de Vivo. › — Acensement, dans Valbonnais, Hist. de Dauphiné, t. I, p. 96.

1276. En Dauphiné, au x siècle, on punissait les

adultères en les faisant trotter nus à travers la ville où ils avaient commis leur crime. « On la fit trotter dans la grande rue, et elle était échevelée et nue jusqu'à la ceinture... Fuit TROTTATA per magnam CARRERIAM et erat DECHEVELATA et nuda usque ad corrigiam. » - Enquête

tirée du Mss. de Thomassin.

1451. Interrogée sur le danger auquel nous nous exposerons... Interrogata de Dangerio in quo nos ponebimus. » - Procès de Jeanne d'Arc, Mss. lat. B. 12, no 5965, f. 81.

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Idem. «Si elle le tenait, elle le ferait mettre en quatre pièces... Si TENERET eum, feceret ipsum scindi in quatuor Ibid. f. 87.

PECIAS.

Idem. « Qu'ils n'empêchassent son voyage... Ne impedirent suum VOYAGIUM. Ibid. f. 88.

Idem. « Il y avait cinquante flambeaux ou torches... Erant quinquaginta tædæ scu torCHIÆ. » Ibid f. 91.

Idem. «Ils voulaient faire une escarmouche... Volebant facere unam ESCARMOUCHAM. » — Ibid f. 96.

Idem. « D'un bout à l'autre... AB UNO BUTO usque ad alium. - Ibid. d. f. 96.

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1456. Elle gardait les troupeaux à son tour... Animalia custodiebat AD TURNUM. » - Procès de révision de Jeanne d'Arc, Mss. lat. B. 12, n° 5970, f. 52, 55, 54, etc.

Idem. « Elle se mit sur le bord du fossé... Posuit se suprà BORDUM FOSSATI. » Ibid. f. 66 1.

Nous ne multiplierons pas ces exemples: ils sont choisis, pour la plupart, dans deux procès célèbres dont les juges étaient des personnages versés dans le droit canonique et

1 Voyez le mémoire de M. Berriat-Saint-Prix, dans sa collection des Mémoires de la Société des antiquaires de France, l. VI.

dans le droit civil, et des documents empruntés à la justice ordinaire ne pourraient que donner une idée plus défavorable de la latinité du temps. La ténacité des hommes de robe, à vouloir parler une langue qu'ils savaient si mal, ne s'explique donc que par ce funeste esprit de routine si commun chez les individus, si commun surtout dans les corporations, mais qui heureusement perd tous les jours de son empire à l'époque où nous vivons.

Quand Molière écrivait dans son Malade imaginaire : Donamus tibi puissanciam medicandi, purgandi, seignandi, etc..... l'art, comme cela arrive si souvent dans la caricature et dans le sérieux, l'art restait, on peut le dire, au-dessous de la nature, et les échantillons que nous avons donnés de ce latin de palais, justifient pleinement, on en conviendra, le titre que nous avons cru devoir mettre en tête de ce chapitre 1.

1 C'est la barbarie de ce soi-disant latin qui avait déterminė François Ier à le proscrire des actes du Parlement; voici en quelle circonstance : « Sa Majesté s'étant informée d'un courtisan, quel arrêt on avait rendu dans un procès de conséquence où il était demandeur, et qui venait d'ètre jugé au Parlement; le seigneur lui répondit : « Sire, étant venu en poste, sur l'avis de mon procureur, pour me trouver au jugement de mon procès, à peine aije été arrivé que votre cour du Parlement m'a DÉBOTTÉ. Vous A DÉBOTTÉ! lui dit le roi, qu'entendez-vous par là?- Oui, Sire, au moins la Cour, en prononçant, s'est servie de ces termes: DICTA CURIA DEBOTAVIT et DEBOTAT dictum actorem, langage qui parut, dit-on, si ridicule au roi et à ceux qui l'accompagnaient, qu'il résolut de défendre à son Parlement de s'en servir dans la suite. » Dr. du Radier, Tablettes histor., II, 152.

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