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XXIX

Courbé sous son inquiétude, le duc se promenait dans son cabinet, hésitant s'il préviendrait ou non son fils du départ de Socrate. Washington n'est plus un enfant, se disait-il; le temps n'est plus où j'amusais son imagination avec le prétexte romanesque d'une correspondance feinte. Depuis plusieurs années il n'ignore pas que rien

n'est plus réel que cette liaison de mon choix. Mon rôle de père serait compromis si je le terminais par un coup de théâtre, par une surprise indigne de ma gravité. Avec les enfans, le mystère a quelquefois son utilité, avec les hommes jamais. Le mensonge n'est que l'élément du mal. Ma conscience m'invite donc à ne rien cacher à mon fils.

Le duc fit appeler Washington, et d'une voix lente il lui dit, après l'avoir prié de s'asseoir près de lui:

- Je vous dégage, mon fils, des liens d'affection que ma trop grande confiance en certains principes avait tenté d'établir entre vous et Socrate. Votre correspondance avec lui cesse dès ce moment; votre père n'a plus à vous demander la continuation de ce sacrifice de temps et de travail. Il vous remercie d'une complaisance devenue inutile.

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Mais, mon père, reprit Washington étonné, d'où vous vient cette résolution?

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plication n'apporterait aucun changement à la résolution. Socrate quitte la France demain et l'Europe dans quelques jours.

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vous ne le voudrez pas pour lui, pour vous, pour moi aussi...

- Je vous répète, mon fils, ajouta le duc avec un ton mêlé de plaisir, d'autorité et de douleur. je vous répète que ce jeune homme partira demain; un navire sous voile pour le cap de BonneEspérance l'attend au Hâvre.

Et moi je vous dis qu'il ne partira pas............

Mon fils!...

Non! il ne partira pas. Quoi! après me l'avoir imposé comme un ami, comme un frère; après m'avoir laissé pendant huit ans verser la confidence de mes peines et de mes plaisirs dans le coeur de cet ami, après m'avoir inspiré l'espoir de l'avoir à vingt ans pour frère d'armes,

pour compagnon de la vie, vous me l'enlevez tout à coup. Pardon! mon père, mais il est un âge où l'obéissance filiale a quelquefois besoin de peser les raisons de l'autorité paternelle. Dans cette occasion je ne comprends pas le langage de la vôtre.

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Tu as du coeur, mon enfant, viens, et que je bénisse ta désobéissance. Tu aimes, c'est bien ; aimer c'est la source du beau et du vrai; pourquoi la source a-t-elle été empoisonnée chez toi, empoisonnée par ton oncle et par ta mère? Ce cri généreux qui t'échappe m'apprend tout ce qu'ils m'ont enlevé.Quel homme! quel sage tu eusses été, livré à ta noble nature, qu'eût dirigée ma pensée! N'y pensons plus.

Le duc passa sa main sur ses yeux.

Ecoutez, mon fils, vous avez tort de vous opposer au départ de Socrate. D'abord, en l'abandonnant, je lui assure une fortune presque aussi grande que la vôtre; ensuite, si je consentais à le laisser demeurer en France et libre au

près de vous, songez que vous auriez la responsabilité de sa conduite. Il serait en droit d'accuser de cruauté ou de folie celui qui lui aurait ouvert les abîmes du monde sans en savoir le chemin. J'ai succombé à l'entreprise lorsqu'elle était possible; la mènerez-vous à bien, vous qui n'avez pas trop de votre propre prudence pour vous conduire? Si vous vous trompiez, mon fils, si vous vous perdiez avec lui, envisagez un instant la sombre agonie que vous donneriez à ma vieillesse. Nous nous serions mis à deux, le père et le fils, pour distraire de son repos, de son innocence et de son bonheur, une créature tranquille qui ne nous demandait rien.

Il est rare que la raison, exprimée à propos, ne produise pas son effet; rien n'était plus sensé, en ce moment, que la parole du duc de Levert. Le père et le fils allaient se quitter avec assez d'accord, quand on remit au duc la réponse à la lettre qu'il avait écrite quelques heures auparavant à la supérieure de l'hospice des Orphelins, pour lui annoncer le départ de Socrate.

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