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Quinze jours après, Socrate décachetait la lettre suivante, qu'avaient précédée sans doute deux ou trois autres lettres dans lesquelles Washington s'occupait un peu moins de lui, et un peu plus de la santé de son ami.

XXX

DE WASHINGTON A SOCRATE.

« Un jour, deux Français qui voyageaient en Allemagne s'arrêtent pour dîner à l'auberge d'une petite ville. Ne supposant pas, avec raison, chez leur hôtesse une profonde connaissance de leur langue, ils s'épuisent en efforts de toutes sortes pour lui faire comprendre leur désir de manger un lièvre rôti, Ils parlent latin,

s'accroupissent à terre pour imiter les bonds du lièvre, rien ne frappe l'intelligence des gens de l'auberge. Ces pauvres Français seraient morts de faim si l'hôtesse, désespérée, ne se fùt enfin écriée: Mon Dieu! si ces messieurs parlaient français !

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Compare-moi, ami, à ces deux voyageurs : je songeais à vaincre l'impossible, quand le facile était à ma portée. Incendier le couvent où s'est retirée la jeune miss, ce qu'à ma place tu aurais réalisé sans doute; forcer l'abbé Ronsin à m'y introduire avec lui, violence à laquelle je ne penserai pas une seconde fois, vu que l'abbé Ronsin a été enfin nommé grand-vicaire dans le midi, ne sont que deux projets entre les mille que je ruminais depuis un mois, nuit et jour, à toute heure, quand le courage me vint de lui écrire et de lui demander tout simplement un rendez-vous. Elle s'y est trouvée avec une exacte précision. Ainsi, grace à ma timidité, j'ai obtenu un mois plus tard ce que j'aurais pu avoir un mois plus tôt.

« Ce qui m'est survenu depuis plus d'un mois que je ne cesse de la voir ne vaudrait pas les frais d'un récit, s'il n'était convenu entre nous que nous ne mesurerions jamais l'importance de nos relations écrites à l'estime du monde. Nous écrivons pour nous; le facteur aurait seul le droit de se plaindre de l'épaisseur de nos lettres Amuse-toi donc ou ennuie-toi, comme il te plaira, à me lire à ta petite croisée du côté du jardin; et quand tu seras las, quitte-moi pour la vue de tes marais et de ton horizon de Vincennes.

A

« Si tu connaissais le Jardin des Plantes, tu pardonnerais sans doute au Jardin des Tuileries de n'avoir pas de cèdres. On Y voit des cèdres, des nopals, des palmiers, des lataniers, et les plus rares productions de chaque règne. Tu serais enchanté surtout du jardin en luimême, non pas le dimanche quand il est plein d'un gros peuple avide de faire une lieue pour manger du pain d'épice qu'on vend à sa porte ou pour agacer des singes; mais les jours de la

semaine, lorsque les belles allées de marronniers balancent leurs panaches fleuris dans l'air calme de l'après-midi, et que les oiseaux jouent de

vant vous.

«J'ai choisi, ami, cette promenade pour mes rendez-vous avec miss Alice. Nous sommes

sonne,

à peu près sûrs de n'y être rencontrés par perles Parisiens n'allant jamais où ils n'ont pas l'espoir d'être foulés ou fusillés, selon les temps. C'est à peine si nous coudoyons dans les allées quelques rares couples, parlant bas et montrant pour nous la même réserve d'attention que nous avons pour eux. Les amans et les conspirateurs se reconnaissent de loin.

« Il y a mille endroits charmans pour causer dans les allées du Jardin des Plantes. Nous nous assîmes à notre première rencontre au pied d'un cèdre apporté d'Afrique par Jussieu dans le fond de son chapeau; c'est une histoire touchante que vous racontent, pour quatre sous de pain. d'épice, les marchandes établies, tous les jeudis, autour du vieux cèdre.

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