Imagens das páginas
PDF
ePub

XXIII

« MON CHER SOCRATE,

« Une épée ! une épée, une arme quelconque pour me venger! Sais-tu que je suis le plus outragé des hommes? j'en suis le plus malheureux. Un évènement horrible m'est survenu; horrible! horrible! mais une épée avant tout! Par où commencer? où puiser assez de sang-froid dans ce moment, car je tremble encore de la tête aux

pieds, et j'ai du feu dans les veines depuis cette insulte; où puiser du sang-froid pour te dire ce qui m'est arrivé il y a une heure? Il n'y a qu'une heure que je sors des Tuileries, où j'ai reçu un soufflet sur la joue de tous les miens. Liras-tu ces lignes brisées et salies par les convulsions de ma main, effacées par mes pleurs? oui, effacées par mes pleurs! Je pleure, Socrate; je n'ai plus qu'à mourir ; mais une épée, mon Dieu! et que je ne meure qu'après m'être couvert du sang si bon de la vengeance.

« Oui! on m'a dit en face, et toute la cour et tout Paris ce soir le saura; on en rira au théâtre et dans les salons; on m'a dit, j'ai peur de

le répéter; sais-tu quoi?

Mais que tu es heureux, Socrate, toi qui n'es rien, qui n'as rien, qui ne veux rien; oui! Socrate, remercie Dieu de n'avoir ni père, ni mère, ni famille! Comme je changerais ma vie pour ta vie! Et comme tu perdrais au change, mon ami! Ton camarade avait raison; les hommes ne savent pas ce qu'ils veu

lent. J'étais fier, je te l'ai écrit et je t'ai presque rendu jaloux de mon orgueil; j'étais fier de

m'appeler d'un grand nom, de compter des hé

[ocr errors]

ros tout le long de ma race! Fat! impudent! ceci m'a été dit; et qu'ai-je de mieux à faire que d'y croire, si je ne sais pas me venger?

[ocr errors]

être reçu

[ocr errors]

«Or, comme je te l'apprends, je suis allé aux Tuileries ce soir, à cinq heures, pour page. J'avais d'abord à faire mes preuves; cérémonie insignifiante, pensais-je, ferme et bien assis, comme je le suis, sur mes titres de noblesse. Depuis trois mois, le juge d'armes avait en sa possession la collection de pièces établissant ma filiation nobiliaire. Aucune difficulté ne s'était présentée à lui dans l'examen de mes titres, et j'avoue qu'il a employé ce soir toute sa vaste science pour me sauver le déshonneur dont je t'écris l'histoire. Suis-moi bien, je t'en prie. Nous étions assis autour d'une table, tous les jeunes gens destinés à être pages. Beaucoup de parens assistaient à la cérémonie ; leur présence n'ajoutait pas peu à ma timidité. Heureusement,

aucun de nous n'avait à parler. Le juge d'armes seul avait une fonction délicate à remplir, au milieu de tant de susceptibilités intraitables.

<< Enfin il commence; il parle, on écoute; il discute un peu, glisse avec prudence sur les titres équivoques, y supplée sans affectation par des passages historiques, des réponses royales, et il conclut toujours, comme de raison, à l'admission du candidat. Au bruit des félicitations des amis et des parens, mon nom est jeté; le juge d'armes compte les quartiers de ma maison, dresse, avec des éloges pareils à ceux qu'il avait prodigués aux autres, mon arbre généalogique, et il va prononcer le mot : admis, quand un des jeunes gens déjà reçus arrête la parole du juge d'armes, et lui dit.....

<< Socrate! j'aurai la vie de cet homme tout entière. Figure-toi un fat, blond comme une femme, à l'oeil bleu, y voyant à peine, me regardant avec indifférence derrière le verre de son lorgnon, se balançant, frêle comme la petite canne d'ébène avec laquelle il jouait!.

[ocr errors]

la

«Mais j'oublie de te rapporter sa remarque. Monsieur, fait-il observer au juge d'armes, ne vous semble-t-il pas, comme à moi, que preuve la plus convaincante de la fausseté des armes généalogiques est dans l'emploi impossible de la couleur sur couleur, ou du métal sur

métal,

Jamais cela ne fit aucun doute, répliqua le juge d'armes, auquel adhèrent en souriant les autres pages et les assistans.

-Très bien, répond mon fat : - et si quelqu'un, parmi nous, avait des armes ainsi blasonnées, elles seraient notoirement fausses; il

[ocr errors]

serait indigne de figurer avec nous au rang des

pages.

-Sans doute, répond encore le juge d'ar

mes. Mais pourquoi ces questions?

Oh!

pour rien. Seulement je me permettrai de faire observer, sans en rien conclure de

fàchcux,

un

, que les armes de M. de Levert sont

peu contre la vraisemblance.

<< Toute l'assemblée me regarde. Il

y a

des

« AnteriorContinuar »