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si les travaux intellectuels étoient perdus, si les siècles les engloutissoient sans retour, quel but l'homme de bien pourroit-il se proposer dans ses méditations solitaires? Je suis donc revenu sans cesse, dans cet ouvrage, à tout ce qui peut prouver la perfectibilité de l'espèce humaine. Ce n'est point une vaine théorie, c'est l'observation des faits qui conduit à ce résultat. Il faut se garder de la métaphysique qui n'a pas l'appui de l'expérience; mais il ne faut pas oublier que, dans les siècles corrompus, l'on appelle métaphysique tout ce qui n'est pas aussi étroit que les calculs de l'égoïsme, aussi positif que les combinaisons de l'intérêt personnel.

PREMIERE PARTIE.

DE LA LITTÉRATURE CHEZ LES ANCIENS ET CHEZ LES MODERNES.

CHAPITRE PREMIER.

De la première Epoque de la Littérature des

Grecs.

LES succès étonnans des Grecs dans la littérarature, et sur-tout dans la poésie, pourroient être présentés comme une objection contre la perfectibilité progressive de l'esprit humain. Les premiers écrivains qui nous soient connus, diroit-on, et en particulier le premier poète, n'ont point été surpassés depuis près de trois mille ans, et souvent même les successeurs et les

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imitateurs des Grecs sont restés bien au-dessous d'eux. J'ai compris sous la dénomination de littérature, la poésie, l'éloquence, l'histoire et la philosophie, ou l'étude de l'homme moral. Dans ces diverses branches de la littérature, il faut distinguer ce qui appartient à l'imagination, de ce qui appartient à la pensée: il est donc nécessaire d'examiner jusqu'à quel point l'une et l'autre de ces facultés sont perfectibles; nous saurons alors quelle est la principale cause de la supériorité des Grecs dans les beaux arts, et nous verrons ensuite si leurs connoissances en philosophie ont été au-delà de leur siècle, de leur gouvernement et de leur civilisation.

On peut marquer un terme aux progrès des arts; il n'en est point aux découvertes de la pensée. Or, dans la nature morale, dès qu'il existe un terme, la route qui y conduit est promptement parcourue; mais les pas sont toujours lents dans une carrière sans bornes.

Cette

observation me paroît s'appliquer encore à beaucoup d'autres objets que ceux qui sont uniquement du ressort de la littérature. Les beaux arts ne sont pas perfectibles à l'infini; aussi l'imagination, qui leur donna naissance, est-elle beaucoup plus brillante dans ses premières im

pressions que dans ses souvenirs même les plus heureux.

La poésie moderne se compose d'images et de sentimens. Sous le premier rapport, elle appartient à l'imitation de la nature; sous le second, à l'éloquence des passions. C'est dans le premier genre, c'est par la description animée des objets extérieurs que les Grecs ont excellé dans la plus ancienne époque de leur littérature. En exprimant ce qu'on éprouve, on peut avoir un style poétique, recourir à des images pour fortifier des impressions; mais la poésie proprement dite, c'est l'art de peindre par la parole tout ce qui frappe nos regards. L'alliance des sentimens avec les sensations est déjà un premier pas vers la philosophie. Il ne s'agit ici que la poésie, considérée seulement comme l'imitation de la nature physique. Celle-là n'est point susceptible d'une perfection indéfinie.

de

les

Vous produisez de nouveaux effets par mêmes moyens, en les adaptant à des langues différentes. Mais le portrait ne peut aller plus loin que la ressemblance, et les sensations sont bornées par les sens. La description du printemps, de l'orage, de la nuit, de la beauté, des combats, peut se varier dans ses détails; mais

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