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presque en même temps que l'instinct conservateur de la vie, et la pitié pour les autres se développe presque aussitôt que la crainte du mal qui peut nous arriver à nous-mêmes. Je ne désavoue certainement pas tout ce que la saine philosophie peut ajouter à la morale de sentiment; mais comme on feroit injure à l'amour maternel, en le croyant le résultat de la raison seulement, il faut conserver dans toutes les vertus ce qu'elles ont de purement naturel, en se réservant de jeter ensuite de nouvelles lumières sur la meilleure direction de ces mouvemens irréfléchis.

La philosophie peut découvrir la cause des sentimens que nous éprouvons; mais elle ne doit marcher que dans la route que ces sentimens lui tracent. La providence a répété deux fois de certaines vérités à l'homme, pour qu'elles ne pussent échapper ni à son intérêt, ui à ses recherches.

L'homme qui s'égare dans les sciences physiques, est ramené à la vérité par l'application qu'il doit faire de ses combinaisons aux faits matériels; mais celui qui se consacre aux idées abstraites dont se composent les sciences morales, comment peut-il s'assurer si ce qu'il imagine

sera juste et bon dans l'exécution? comment peut-il diminuer les frais de l'expérience, et présager l'avenir avec quelque certitude?

qu'en soumettant la raison à la vertu.

Ce n'est

Sans la

vertu, rien ne peut subsister; rien ne peut réussir La consolante idée d'une provi

contre elle. dence éternelle peut tenir lieu de toute autre réflexion; mais il faut que les hommes déifient la morale elle-même, quand ils refusent de reconnoître un Dieu pour son auteur.

CHAPITRE VII.

Du Style des Ecrivains et de celui des
Magistrats.

AVANT

ANT que la carrière des idées philosophiques excitât en France l'émulation de tous les hommes éclairés, les livres qui discutoient avec finesse des questions de littérature ou de morale, lorsqu'ils étoient écrits avec élégance et correction, obtenoient un succès du premier ordre. Il existoit, avant la révolution, plusieurs écrivains qui avoient acquis une grande réputation, sans jamais considérer les objets sous un point de vue général, et en ramenant toutes les idées morales et politiques à la littérature, au lieu de rattacher la littérature à toutes les idées morales et politiques.

Maintenant il est impossible de s'intéresser fortement à ces ouvrages, qui ne sont que spirituels, n'embrassent point les sujets qu'ils traitent dans leur ensemble, et ne les présentent jamais que par un côté, que par des détails qui ne se rallient ni aux idées premières, ni aux impres

sions profondes dont se compose la nature de l'homme.

Le style donc doit subir des changemens, par la révolution qui s'est opérée dans les esprits et dans les institutions; car le style ne consiste point seulement dans les formes grammaticales: il tient au fond des idées, à la nature des esprits; il n'est point une simple forme. Le style des ouvrages est comme le caractère d'un homme; ce caractère ne peut être étranger ni à ses opinions, ni à ses sentimens ; il modifie tout son être.

Examinons donc quel style doit convenir à des écrivains philosophes, et chez une nation libre.

Les images, les sentimens et les idées représentent les mêmes vérités à l'homme sous trois formes différentes; mais le même enchaînement, la même conséquence subsistent dans ces trois règnes de l'entendement. Quand vous découvrez une pensée nouvelle, il y a dans la nature une image qui sert à la peindre, et dans le cœur un sentiment qui correspond à cette pensée par des rapports que la réflexion fait découvrir. Les écrivains ne portent au plus haut degré la conviction et l'enthousiasme, que lors

qu'ils savent toucher à-la-fois ces trois cordes, dont l'accord n'est autre chose que l'harmonie de la création.

C'est d'après la réunion plus ou moins complette de ces moyens d'influer sur le sentiment, l'imagination ou le jugement, que nous pouvons apprécier le mérite des différens auteurs. П n'y a point de style digne de louange, s'il ne contient au moins deux des trois qualités qui réunies sont la perfection de l'art d'écrire.

Les apperçus fins, les pensées subtiles et deliées qui n'entrent point dans la grande chaîne des vérités générales, les rapports ingénieux, mais qui exercent l'esprit à se séparer de l'ame, plutôt qu'à faire un avec elle pour se fortifier l'un par l'autre, ne placent point un auteur au premier rang. Si vous détaillez trop les idées, elles échappent aux images et aux sentimens, qui rassemblent au lieu de diviser. Les combinaisons abstraites que le sentiment repousse, et qui dessèchent l'imagination, ne conviennent pas davantage à cette nature universelle dont un beau style doit représenter le sublime ensemble. Les images qui ne répandent de lumière sur aucune idée, ne sont que de bizarres fantômes ou des tableaux de simple amusement.

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