Imagens das páginas
PDF
ePub

LE TE DEUM DU PAUVRE

Nous vous louons, Seigneur, nous vous glorifions,
O Sabaoth, dieu des armées,

Nous, les pauvres, de qui le nom est : légions,
Sombres légions affamées!

Aux riches vous donnez les précieux métaux,
Les femmes, les joyaux, les fêtes

Dans les parcs merveilleux et les divins châteaux
Où chantent d'élégants poètes,

Les vierges au cœur pâle et toujours noble et pur
Grâce aux gouvernantes suaves,

Les jeunes gens hardis et savants, au bras dur,
Dressés à la traque aux esclaves,

Les princes, les sénats, les troupeaux d'habits noirs
Et les tribunaux à tout faire,

Les évêques, dorés comme leurs ostensoirs,
Adorant César aurifère,

Les fusils, les canons, les bataillons sacrés
Montant la garde autour des banques,
Enfin, les fous hurleurs, démagogues jurés,
Jouant le peuple en saltimbanques.

Vous nous donnez (béni soit votre nom divin!)
L'horrible détresse sans aide,

La faim sans aliment, la faiblesse sans vin,
Le feu des fièvres sans remède,

Les cris de mort au fond des berceaux innocents,
Les pleurs des femmes accouchées

Et les délits honteux de nos adolescents
Et de nos filles débauchées !

Vous qui nous octroyez les prostitutions
Et les déshonneurs et les lèpres,

Seigneur, Dieu des bontés et des compassions,
Depuis matines jusqu'à vêpres

Nous vous adorons, nous célébrons à genoux
Votre sainte munificence;

Vos dons miraculeux sont bienfaisants et doux,
La peste même vous encense.

Que tes séraphins blonds parfument avec soin
D'oliban, d'encens et de myrrhė

Nos prières, de peur qu'elles sentent le foin
Du grabat où l'infirme expire,

La débauche écœurante et les fades graillons
Dans les gamelles refroidies,

L'âcreté du trois-six, le fumet des haillons,
La puanteur des maladies

En commun, les relents du sommeil à plusieurs
Dans les mansardes trop étroites,

Et l'odeur de l'usine où les noirs travailleurs
Vont faire broyer leurs chairs moites !

O Dieu juste, Dieu bon, Dieu sage, Dieu puissant, Père, ta bonté nous écrase.

Mange, voici nos chairs! Bois, voilà notre sang! N'entends-tu pas nos cris d'extase?

Perce de clous sanglants nos pieds nus et nos mains! Couronne d'épines nos têtes!

Nous prions, nous chantons, nos cœurs saignants sont De tes gloires et de tes fêtes!

[pleins

Tels, du fond des douleurs, hurlent au ciel profond
Ces chœurs qui font pleurer les anges.

O Christ, pardonne-leur! Sans savoir ce qu'ils font,
Les pauvres chantent tes louanges.

L'ARTISTE MAUDIT

Dans le plus dur métal je creuse mon image
Où je grave à jamais ma sombre volonté,
Pour qu'à travers le temps au monde épouvanté
Elle porte un horrible et mortel témoignage.

Ceux qui contempleront ce lugubre visage
Clamant les coups reçus, l'idéal insulté,
La bonté bafouée et l'amour souffleté,
Sentiront dans leur chair s'imprimer mon ouvrage.

Plus de pardon! Justice! Il est temps de punir! L'art est un dieu vivant qui venge ses prophètes : Je ferai choir vos fils à défaut de vos têtes!

Ils souffriront les maux que l'on m'a fait souffrir;
Car, expert dans mon art et savant en magie,
Je frapperai les cœurs à ma morne effigie.

« AnteriorContinuar »