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Il faisait de la terre un jardin de douceur
Et réparait le mal fait par le créateur.

Quand il se proclama Fils de l'Être suprême
Quel était son dessein? Se disant Dieu lui-même
Afin de laver Dieu de tous les maux humains,
Voulait-il, sur la croix où le clouaient nos mains,
Montrer que le bourreau, pour expier ses crimes,
Devenait la victime enfin de ses victimes?...

Que ta cendre tressaille, ô Christ, dans le tombeau!
L'univers n'est, hélas! ni meilleur ni plus beau.

Dieu, tu l'es devenu, comme le Bouddha, comme
François d'Assise, mais comme eux tu n'es qu'un homme,
Le plus grand, le plus saint, le plus pur, le plus doux
Des hommes, et l'on doit t'adorer à genoux.
O Christ, on t'a fait Dieu pour mieux t'être infidèle.
Homme, tout homme eût dû te prendre pour modèle,
Mais hypocritement ils ont dit : « Il est Dieu!

« Et qui de nous pourrait être semblable à Dieu? »
Dieu, tu l'es devenu dans l'idéal du monde,
Par ta pitié sans borne et par ta mort féconde
Qui nous donna l'amour, l'espérance et la foi,
Et seuls ceux-là sont Dieux qui sont pareils à toi.
O Fils de l'Homme, ô Christ, je t'aime et je t'adore
De tous les feux du vaste amour qui me dévore,
De toute la pitié qui déchire mon cœur,
Dès que j'entends gémir l'éternelle douleur,

Et de l'ardent espoir où mon âme s'embrase :
Car ta voix nous convie à la suprême extase,
Tu nous a délivrés du joug de tous les dieux
Et tu fais rayonner l'Homme au plus haut de cieux !

IV

Un long rugissement ébranla l'oratoire.
L'ange noir devant moi dressa sa tête noire
Et son torse d'ébène et ses sinistres bras.
Il leva sa tunique en riant aux éclats,
Du rire qui jadis incendia Sodome :

<< Baise humblement cela, cria-t-il : Voilà l'Homme! »

LE MARTYR

A Francis de Croisset.

Lié brutalement au tronc noir d'un vieil arbre
Et laissant le sang frais rougir ses membres blancs,
Le fier jeune homme, nu, beau comme un dieu de marbre,
Aux flèches des bourreaux offre ses jeunes flancs.

Mais leurs regards troublés craignent son regard tendre Et le rayonnement de sa chaste beauté.

Et, tremblants, ils voudraient fuir plutôt que d'entendre Sa caressante voix braver leur cruauté :

« Pourquoi me frappez-vous? Ma vie est innocente,
<< Mon cœur adolescent n'est gonflé que d'amour;
<< Mon esprit pur et doux et ma chair frémissante
«Ne cherchaient qu'à fleurir à la grâce du jour.

<< Ne baissez point les yeux ! Vous m'aimez; je vous aime. (( << Mon sang coule et pourtant j'ai cessé de souffrir : « Il inonde ma chair d'un bien-être suprême

«Et je sens tout mon cœur se fondre et défaillir.

«Que le ciel est brillant! Que la terre est splendide! « Quels parfums caressants voltigent dans les airs! << La brise fait vibrer une clarté candide; «La lumière ruisselle et dissout l'univers.

« Le monde entier n'est plus qu'une aveuglante flamme, « Elle brûle mes yeux, ivres de volupté,

« Elle coule en mon corps... elle envahit mon âme... « O Mort!... suprême extase!... éternelle clarté! >>

Mais les jeunes bourreaux, que ce spectacle étonne, Sentent sourdre en leur trouble un plaisir douloureux, Car la beauté du sang qui jaillit et bouillonne Suscite étrangement des frissons amoureux.

ORDO

Pendant qu'en l'ouragan des lanières d'éclairs Fouettaient les chênes noirs au bord des flots amers, Le pontife mourant cria dans la nuit sombre :

Ainsi le monstrueux chaos hurlait dans l'ombre
Et l'aveugle nature enfantait pour la mort,
Hommes, lorsque je pris pitié de votre sort.
Le hasard dévorait vos forces éphémères;
Autant de volontés, autant d'efforts contraires;
Rien n'arrivait à rien et des flots de sang noir
Noyaient hideusement tout rêve et tout espoir.
Car vos informes cœurs, mous et pourris de haine,
N'engendraient que le meurtre et votre âme était pleine
De reptiles gluants se dévorant entre eux.

L'homme haissait l'homme et la terre et les cieux.

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